Pour ou contre : le leasing social à 100 euros mensuels peut-il démocratiser la voiture électrique ? (Marie Chéron face à Julien Pillot)

Le leasing, ou location longue durée, d'une voiture à 100 euros par mois est la mesure phare du gouvernement pour convertir les Français au véhicule électrique. Mais entre la défiance des automobilistes à l'égard de ce type de motorisation et le risque industriel de soutenir l'importation de véhicules chinois, la voie du gouvernement est étroite. Le leasing social à 100 euros peut-il démocratiser la voiture électrique ? C'est le débat de la semaine entre Marie Chéron, responsable des politiques véhicules pour l'ONG Transport & Environment, et Julien Pillot, économiste et enseignant chercheur à l'INSEEC.
Marie Chéron et Julien Pillot.
Marie Chéron et Julien Pillot. (Crédits : Reuters)

Une voiture électrique en leasing à 100 euros par mois. La promesse d'Emmanuel Macron lors de la campagne présidentielle de 2022 est simple comme un slogan publicitaire. Le géant chinois de l'automobile SAIC ne s'est d'ailleurs pas privé de le reprendre pour faire la promotion de son offre d'une MG électrique... à 99 euros par mois. Derrière ce chiffre de 100 euros, les conseillers du gouvernement s'activent pour trouver la bonne formule économique. L'équation présente deux inconnues : comment convaincre les automobilistes les plus modestes de passer à l'électrique et comment éviter de subventionner l'importation de voitures chinoises aux dépens du made in France ?

Lire aussiPour ou contre : la commande publique doit-elle privilégier le « made in France » ? (Gabriel Colletis face à Elie Cohen)

Encore faudrait-il qu'il existe des modèles français ou européens abordables. Le récent accrochage entre Carlos Tavares et Bruno Le Maire a montré que c'était encore loin d'être acquis. Alors que le ministre de l'Economie lui réclamait de construire des petits véhicules électriques en France, notamment la Peugeot 208e, le directeur général de Stellantis a répondu que les coûts de production élevés en France rendait ce scénario improbable. Le débat reste ouvert puisque Renault a décidé de construire tous les véhicules de la marque aux losanges dans l'Hexagone. Les Français quant à eux ne semblent pas plus pressés de basculer vers l'électrique. Seul un Français sur quatre envisage en effet d'acheter une voiture électrique cette année selon l'Ifop. Alors, le leasing social peut-il démocratiser la voiture électrique ?

POUR

Deux constats s'imposent : d'abord la voiture électrique est encore trop chère et ensuite l'offre automobile ne répond pas aux besoins réels d'une partie de la population. La moitié des Français, qui ne peut pas se passer de voiture au quotidien, aurait besoin de véhicules plus petits, plus simples et moins chers. Sur un marché automobile devenu irrationnel, les constructeurs se focalisent sur la rentabilité, en produisant des véhicules plus lourds, plus chers, plus polluants avec une montée en gamme depuis les années 2000. Les prix ont été tirés un peu plus à la hausse par les difficultés logistiques de la filière après la pandémie. Avant même de parler d'électrification, la question du renchérissement des véhicules pose la question de la responsabilité sociale, non assumée, des constructeurs automobiles.

Dans ce contexte, le leasing social contribuera à démocratiser le véhicule électrique, uniquement si les conditions sont réunies pour ne pas en faire une énième subvention publique mais bien une mesure d'accompagnement écologique, sociale et industrielle. À l'Etat de fixer ces contreparties dans un contrat avec les constructeurs, les spécialistes du leasing et les acteurs territoriaux.

La voiture électrique à 100 euros par mois doit d'abord être utilisée comme un levier de politique industrielle pour orienter la production vers des véhicules plus légers, plus sobres, fabriqués et recyclés en France. Pour cela, il faut de la conditionnalité. En France, l'Etat soutient le secteur automobile, un des ultimes piliers de son industrie, mais sans conditionnalité à l'image du bonus écologique qui coûte environ 1 milliard d'euros par an. Soutenir le leasing social ne doit pas s'ajouter aux aides existantes, ce qui ne serait pas tenable sur la durée. Cette aide, ciblée sur ceux qui en ont besoin, doit progressivement prendre le relais des aides existantes, non ciblées. Nous estimons, sur la base de l'étude menée par Cways avec Transport & Environnement (T&E), à 800 millions annuels le besoin de financement pour le leasing social.

Lire aussiPour ou contre : faut-il durcir la réglementation contre les Airbnb ? (Iñaki Echaniz face à Dominique Debuire)

A l'image des réclamations de Bruno Le Maire à Carlos Tavares pour faire produire la Peugeot 208e en France, on voit que l'Etat peine à reprendre la main vis-à-vis des constructeurs. Ceux-ci ont une vision mondiale et peuvent mettre en concurrence les régions du monde pour s'implanter. Il y a un véritable enjeu, économique et social, à faire en sorte que le leasing social concerne des véhicules fabriqués en France et en Europe.

Par ailleurs, une des questions clé est de savoir qui pourra bénéficier du leasing social. Sur ce point, il faut cibler les personnes des classes moyennes ou précaires, aujourd'hui éloignées du véhicule électrique et pourtant dépendantes de leur voiture au quotidien. 900.000 personnes pourraient en bénéficier selon nos calculs chez Transport & Environnement. En complément, pourquoi ne pas intégrer des critères de métiers ? Emmanuel Macron parlait des infirmières, le leasing pourrait s'ouvrir plus largement aux métiers dits « essentiels » à d'autres professionnels de santé, aux enseignants etc. Toucher les bonnes personnes implique aussi de trouver les bons relais pour informer les automobilistes. Voilà où les acteurs locaux, collectivités par exemple, peuvent jouer un rôle intéressant.

Ultime condition : sécuriser le contrat de leasing social. Alors que l'électrique génère encore une certaine défiance, les panels d'automobilistes que nous avons interrogés s'inquiètent des coûts cachés en cas de panne et de réparation. Il va de soi que le contrat doit être transparent et minimiser les risques.

Enfin, le leasing social doit être mise en place progressivement, quitte à commencer doucement sur les volumes de véhicules électriques disponibles neufs made in France or Europe existants (Zoé, R5, 208...) pour ensuite être étendu à l'occasion, aux véhicules rétrofités, et, pourquoi pas, aux vélos cargos.

Par ailleurs, si effectivement le leasing à bas prix se déploiera plus facilement avec les citadines et micro-cars, le besoin de disposer ponctuellement d'un véhicule familial est une préoccupation légitime. Pourquoi ne pas intégrer un leasing social de courte durée ? Enfin, si le prix des voitures particulières est un sujet, celui des utilitaires des artisans et petites entreprises ne l'est pas moins : le leasing social d'utilitaires électriques mériterait d'être expérimenté par exemple dans les zones à faibles émissions.

Le leasing social peut démocratiser le véhicule électrique en le rendant accessible à ceux qui en sont éloignés, s'il peut s'appuyer sur une diversité de modèles qui correspondent à des besoins réels et des usages concrets. Ce sera alors un formidable outil en faveur d'une transition juste.

CONTRE

La question est toute rhétorique : le leasing à 100 euros par mois a naturellement le potentiel de démocratiser le véhicule électrique puisque cette mesure permet de desserrer le principal frein à leur acquisition : le prix. Il faut bien admettre que le bonus écologique associé à l'achat de véhicules électriques a jusqu'ici surtout bénéficié aux ménages aisés, mais s'est cependant montré insuffisant pour rendre ces véhicules accessibles aux classes populaires dont le parc automobile est vieillissant.

Or, ce sont ces mêmes classes populaires qui se trouvent souvent reléguées en zones péri-urbaines et pour lesquelles une application trop brutale du dispositif ZFE occasionnerait des difficultés supplémentaires à relier les centres-villes, y compris pour des motifs professionnels. Outre de limiter ce risque de fracture sociale en ne réservant pas l'acquisition des véhicules électriques aux seuls ménages aisés, l'augmentation du nombre de ces véhicules en circulation aurait deux autres vertus : l'amélioration de la qualité de l'air dans les zones congestionnées, et un effet d'entrainement industriel dont bénéficierait l'ensemble de l'écosystème, des constructeurs aux opérateurs de bornes de recharge, en passant par les (futures) usines de recyclage de batteries.

Il nous semble toutefois que la question devrait plutôt être posée ainsi : « le leasing à 100€/mois pour les véhicules électriques est-il souhaitable ? ». Posée ainsi, la question appellerait une réponse nettement plus nuancée.

Tout d'abord, à périmètre technologique constant, le bilan écologique global des ces véhicules est loin d'être flatteur. En cause, le dopage métallique dont ils font l'objet, notamment au niveau des batteries de la structure en aluminium, et dont l'extraction tout comme le raffinage est hautement énergivore et extrêmement préoccupante sur le plan environnemental (et social). Ce qui fait que ces véhicules débutent leur cycle de vie avec un déficit environnemental relativement à des véhicules thermiques de gamme comparable, déficit pouvant être gommé à l'usage à condition de rouler beaucoup et avec de l'énergie aussi décarbonée que possible.

Lire aussiPour ou contre : la hausse des taux rend-elle la dette publique incontrôlable ? (Jean-Yves Archer face à Eric Berr)

Il faudrait ensuite considérer l'ensemble des implications induites par un parc électrique augmenté dans l'Hexagone. Quelles sont nos capacités à répondre à une demande électrique croissante et quels impacts sur les prix de l'énergie ? Le déploiement du réseau de recharge peut-il suivre le rythme ? Quelles nouvelles dépendances envers les pays exportateurs de métaux critiques allons-nous dessiner, et pour quelles conséquences géostratégiques autant qu'économiques ?

Loin d'être anodines, ces interrogations ont parfois fait l'objet de travaux qui peinent à rassurer faute de prendre la problématique dans son ensemble. A titre d'exemple, les conflits d'usage de métaux critiques, en quantité limitée, n'est jamais clairement posée. Ce sont pourtant ces mêmes métaux qui sont nécessaires à la fabrication de batteries, de composants électroniques qui envahissent notre quotidien (et notamment les véhicules), et de capacités de production électriques, notamment d'ENR.

Enfin, en l'état actuel, seuls certains véhicules chinois, ou des modèles intégralement produits en Chine (à l'image de la Dacia Spring), affichent un prix inférieur ou égal à l'objectif de 100 euros par mois. Les véhicules français et européens seront plus onéreux, y compris si l'on tient compte des différentes aides à la réindustrialisation auxquelles seront éligibles les constructeurs : selon les calculs de l'ONG Transport et Environnement, les tarifs iront de 116 euros par mois pour une mini-citadine à 275 euros par mois pour une berline compacte. Comprendre par là que si l'objectif est de soutenir l'industrie européenne, le leasing à 100 euros par mois impactera durablement les finances publiques.

Mais quand bien même nous ferions état d'un certain protectionnisme de bon aloi, tant qu'une part substantielle des intrants (métaux critiques en tête) et du processus de fabrication des véhicules électriques restera sous contrôle d'intérêts étrangers, nous continuerons de subventionner massivement la compétitivité... d'entreprises extra-européennes.

Commentaires 13
à écrit le 19/07/2023 à 8:48
Signaler
Dans le rayon "tout changer pour que rien ne change", nous avons l'incitation a consommer au dessus de nos moyens, a consommez toujours plus d'électricité, a avoir un véhicule qui dort sur le bord de la route... tout cela pour ne pas éviter "les dépl...

à écrit le 19/07/2023 à 8:20
Signaler
"Seul un Français sur quatre " C'est énorme, cela prouve que le lavage de cerveaux, à tort ou a raison là n'est pas la question, fonctionne bien quand même

à écrit le 18/07/2023 à 12:06
Signaler
Le site du gouvernement portant sur le "leasing" est très instructif. En ses termes doux, il alerte sur l'effet "piègac"; compte tenu des engagements auxquels l'intéressé doit se soumettre. La durabilité des véhicules acuels est telle qu'on pourrait ...

à écrit le 18/07/2023 à 11:24
Signaler
La location longue durée c'est bien pour les "riches" (qui peuvent assumer financièrement ce type de services). Les constructeurs n'ont aucune envie de perdre des fortunes et mettant à la disposition d'automobilistes désargentés des voitures élect...

à écrit le 18/07/2023 à 10:42
Signaler
Le problème de l'auto électrique ne se situe pas sur son financement, mais sur sa longévité et donc son amortissement. Payez 25, 30 ou 45.000€ pour une voiture et voir celle-ci ne plus rien valoir au bout de 8 ans car les batteries mortes, la voituyr...

à écrit le 18/07/2023 à 10:38
Signaler
Pour démocratiser, il faudrait pouvoir recharger dans toutes les copros et dans tous les HLM. L'électrique reste surtout accessibles aux propriétaires de pavillons et de copro très récentes.

à écrit le 18/07/2023 à 9:54
Signaler
ZFE = inconstitutionnel tout est dit !

à écrit le 18/07/2023 à 9:17
Signaler
Encore un effet de manche de l'État paternaliste qui conduira au décrochement du troupeau. Consternant.

à écrit le 18/07/2023 à 9:11
Signaler
Contre toutes ces subventions et chaque de l état pour obliger par l argent à changer ses habitudes de vie soit par ce système ou par les taxes abusives. De plus est l égalité de faire des chèques à certains et imposer d autres fortement et des op...

à écrit le 18/07/2023 à 8:41
Signaler
Effectivement un français sur quatre n'a aucun sens critique. Attendons quelques années pour voir Renault boire le bouillon avec ses véhicules made in France car il les vendra à perte ou ne les vendra pas. L'absence de compétence économique du mond...

à écrit le 18/07/2023 à 7:40
Signaler
"Seul un Français sur quatre " C'est énorme, cela prouve que le lavage de cerveaux, à tort ou a raison là n'est pas la question, fonctionne bien quand même

le 18/07/2023 à 9:36
Signaler
Pourtant, la recette est si bien connue, autant en économie comportementale (EC) qu'en finance comportementale (FC). Une dose de behaviorisme (théorie qui limite la psychologie à l'étude du comportement), une dose pavlovienne (théorie de Pavlov sur l...

le 19/07/2023 à 8:22
Signaler
Ok vieux mais je vois pas l'intérêt si j'ai pas le droit de te répondre, ce qui discrédite de fait chacune de tes réponses soit dit en passant.

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.