Pourquoi les prix alimentaires tirent l'inflation à la hausse

En Europe, l'inflation peine à baisser, en raison notamment des prix de l'alimentaire de détail qui restent élevés malgré le reflux des cours des matières premières agricoles depuis quelques mois. Les ménages ont commencé à réduire leur consommation, alors que les négociations annuelles entre industriels et distributeurs n'avancent pas en France malgré les pressions du gouvernement.
Robert Jules
A cause de l'inflation, la baisse des dépenses alimentaires s'établit à 8,5% sur un an.
A cause de l'inflation, la baisse des dépenses alimentaires s'établit à 8,5% sur un an. (Crédits : Reuters)

Casse-tête pour la Banque centrale européenne (BCE) et source de tensions pour les gouvernements, l'inflation persiste à rester élevée en Europe, les prix de l'alimentaire ayant pris le relais de ceux de l'énergie depuis quelques mois. Si les cours du gaz naturel et du baril de pétrole ont baissé respectivement de plus de 60% et de plus de 30% sur un an, il n'en est pas de même pour l'alimentation. Alors qu'en zone euro, l'inflation s'établissait à 7 % en avril, après 6,9 % en mars, « la hausse des prix des produits alimentaires reste toutefois élevée, à 13,6 % en avril contre 15,5 % en mars », soulignait Christine Lagarde, présidente de la BCE, le 4 mai, après avoir annoncé une nouvelle hausse des taux, de 25 points de base.

+15% en France

En France, si l'Insee prévoit qu'après le pic de 5,9% sur un an atteint en avril, l'indice des prix pourrait ralentir à 5,4% d'ici la mi-juin, l'institut des statistiques pointe le problème posé par la modification de sa composition au fil des trimestres, avec une prépondérance des prix de l'alimentaire en hausse de 15%. La France n'est pas une exception. En Allemagne, « malgré l'atténuation des problèmes d'approvisionnement, la pression sur les prix alimentaires reste élevée et la majorité des commerces de détail s'attend à ce que les prix continuent d'augmenter à court terme », note cette semaine Patrick Höppner, de l'institut Ifo, qui fait également part d'« une pénurie de personnel qualifié qui reste un problème urgent pour de nombreux commerces d'alimentation. »

Cette situation inédite brouille les pistes pour anticiper l'évolution des prix. « De la fin des années 1980 jusqu'à la pandémie, le panier alimentaire dans les pays riches augmentait d'environ 2% par an. C'était six fois plus l'an dernier et la tendance s'est encore renforcée début 2023 dans plusieurs pays européens », constate Bruno Cavalier, chef économiste chez Oddo BHF.

Comme d'autres segments de l'économie, le secteur alimentaire a subi différents chocs sur la production et la distribution entraînés par l'apparition en 2020 de la pandémie du Covid-19 et ses confinements généralisés qui se sont amplifiés avec l'invasion de l'Ukraine par l'armée russe en février 2022. En outre, ce conflit meurtrier et destructeur qui dure toujours oppose deux pays producteurs majeurs de céréales et d'engrais.

Pourtant, après avoir flambé durant une partie de l'année 2022, les prix des produits alimentaires refluent depuis quelques mois (voir graphique, l'indice FAO).

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indice FAO

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Paradoxalement, à la différence de l'énergie, cela ne se reflète pas dans le prix final pour le consommateur. « Il y a toujours un certain délai dans le processus de transmission des prix de gros au prix de détail. Cela dépend en partie du degré de concurrence de la filière. Entre le producteur et le consommateur agissent en effet un grand nombre d'intervenants, fabricants, transporteurs, distributeurs, chacun ayant une marge à défendre », explique Bruno Cavalier. Et cela dépend aussi des pays. Elle est plus rapide dans les pays anglo-saxons et en Allemagne que dans les pays du sud de l'Europe.

Dialogues de sourds entre industriels et distributeurs

En France, cela pourrait même prendre plus de temps en raison du dialogue de sourds entre les producteurs du secteur agroalimentaire et les distributeurs qui ont entamé leurs négociations annuelles, sans résultat pour le moment. Les premiers sont mis sur la sellette car ils profitent de la baisse des coûts de production tout en bénéficiant des prix de vente élevés ce qui leur permet d'augmenter leurs marges. « Le secteur alimentaire est l'un de ceux où l'expansion des marges bénéficiaires a été la plus forte, amplifiant un choc de prix qui venait à l'origine de perturbations exogènes liées à la pandémie », rappelle Bruno Cavalier. Les profits unitaires du secteur ont ainsi bondi de plus de 50% depuis 2019, dont presque la moitié en 2022.

Devant le mécontentement des consommateurs, le gouvernement met la pression. « Les industriels ne jouent pas le jeu, ils refusent de revenir à la table de négociation pour négocier les prix à la baisse », déclarait jeudi soir le ministre de l'Economie Bruno Le Maire, annonçant qu'il les recevrait mercredi prochain. « Si jamais les industriels de l'agroalimentaire refusent de rentrer dans cette négociation, ce qu'évidemment je ne peux pas imaginer, nous emploierons tous les instruments à notre disposition, y compris l'instrument fiscal, pour récupérer des marges qui seraient des marges indues faites sur le dos des consommateurs », a menacé Bruno Le Maire. Selon la ministre déléguée au Commerce, Olivia Grégoire, le reflux des prix dans l'alimentaire n'interviendra pas avant la rentrée.

Mais un autre phénomène pourrait jouer sur le marché, celui du comportement des ménages. « Il n'y a pas d'exemple dans le passé de réduction significative du volume des dépenses alimentaires en réponse à une hausse des prix. Or c'est exactement ce qu'on observe depuis que le choc de prix actuel a débuté », note l'économiste d'Oddo BHF. En France, au premier trimestre 2023, la corrélation est parlante. La baisse des dépenses alimentaires s'établit à 8,5% sur un an, alors que la hausse des prix est de 13,1%, selon les données officielles.

Des hausses de prix qui sont allées trop loin?

Les autres grandes économies en Europe voient également les consommateurs adopter une attitude similaire (voir graphique). « La baisse des volumes consommés peut donc être le signe que les hausses de prix sont allées trop loin, ce qui ne peut manquer de provoquer une pression pour obtenir soit des hausses de salaires, soit des baisses de prix », avertit Bruno Cavalier.

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dépenses alimentaires

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Une hausse salariale généralisée serait de nature à maintenir les prix élevés. Ce que veulent éviter pour le moment les gouvernements, d'autant que Christine Lagarde a averti que « la guerre de la Russie contre l'Ukraine pourrait à nouveau provoquer une hausse des coûts de l'énergie et des produits alimentaires ».

En réalité, la seule certitude est qu'il reste encore trop d'inconnues pour pouvoir clairement anticiper le moment où s'atténuera le choc d'inflation.

Robert Jules
Commentaires 6
à écrit le 14/05/2023 à 14:55
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Je suis très infidèle aux super et hyper et autres marchés et je zappe selon mes humeurs mais le constat est le meme partout. Les prix qui ont beaucoup augmentés sont les aliments pour animaux. Certains hausses frisent le 100%. Nourriture sèche ou hu...

à écrit le 13/05/2023 à 10:42
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"Les ménages ont commencé à réduire leur consommation" Pendant ce temps : Les dépenses consacrées aux vacances de printemps cette année ont augmenté de "37% par rapport à 2019 et de 39% par rapport à 2022", indique lundi 8 mai sur franceinfo Jean...

à écrit le 13/05/2023 à 10:21
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"ils refusent de revenir à la table de négociation pour négocier les prix à la baisse" légalement, c'est une fois par an, pas plus. Le Gvt n'avait pas voté une loi comme quoi quand les distributeurs et les producteurs industriels n'arrivaient pas à ...

à écrit le 13/05/2023 à 4:13
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Demandez a lemaire, il a la solution, le genie de bercy." Nous allons mettre la Russie a genoux".

à écrit le 12/05/2023 à 22:40
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L'argent ne se mange pas. L'état français a déversé des milliards d'euros dans l'économie, mais c'est pas ça qui donne plus de nourriture, donc le prix de la nourriture augmente

à écrit le 12/05/2023 à 17:45
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Deux phénomènes sont à l'oeuvre et ils font comme si de rien n'était. La shrinkflation ou réduflation consiste à réduire la quantité ou la qualité d’un produit sans que son prix soit modifié. Les coûts de production augmentent alors dans une moindre ...

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