
En 2008, Nicolas Sarkozy, alors Président de la République avait lancé, bravache : « Désormais, quand il y a une grève dans ce pays, personne ne s'en aperçoit ». Si l'ancien locataire de l'Elysée était aussi sûr de lui, c'est parce qu'il venait de reformer une partie des régimes spéciaux.
Reste que cette petite phrase avait fait office de provocation pour les syndicats qui n'avaient pas manqué de lui montrer, deux ans plus tard, que des grèves pouvaient encore bloquer le pays. Malgré sa réforme des régimes spéciaux, le secteur des transports s'était largement mobilisé.
En 2010, la mobilisation avait, en effet, été suivie. Plus de 14 cortèges s'étaient enchaînés contre le passage de l'âge de départ à la retraite de 60 à 62 ans, dans le privé. Certains avaient réuni jusqu'à un million de personnes.
Un tiers des postes aujourd'hui en télétravail
Cette performance, les syndicats rêvent aujourd'hui de l'atteindre. Jeudi, toutes les centrales appellent à la mobilisation. Mais douze ans après, la donne a changé. Le monde du travail s'est transformé. Le Covid est passé par là.
Les sociétés, y compris les plus petites, ont appris à s'organiser pour ne plus être en 100 % présentiel. Aussi, le blocage des transports à la Ratp, ou à la SNCF - où le mouvement s'annonce aussi très suivi jeudi - n'aura certainement pas le même impact. « On estime qu'il y a aujourd'hui un tiers des postes télétravaillables, surtout des cadres et des managers, mais pas seulement ... rappelle Mathieu Plane, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Surtout nous n'avons aucun recul pour déterminer les effets d'une grève. »
En décembre 2019, lors du dernier conflit contre la réforme des retraites - à l'époque, Edouard Philippe et Emmanuel Macron voulaient instaurer une réforme par points-, les transports avaient observé une grève perlée, pénalisant les voyageurs et les actifs. Avec le télétravail, les nuisances pourraient être moindres.
Autre inconnue : l'inflation de 2023...
Enfin, autre questionnement : contrairement à 2010 ou même à 2019, l'inflation est là, forte comme on ne l'a pas vue depuis 30 ans : perdre une journée de salaire est plus difficile quand on peine à boucler son budget. « Aujourd'hui, dans les entreprises, la préoccupation qui arrive en tête, ce sont les salaires, le pouvoir d'achat, assure un membre du MEDEF, pas vraiment les retraites. »
Sans oublier, la lassitude qui guette les manifestants : les dernières mobilisations - comme en 2016 ou 2018, contre la loi El Khomri et les ordonnances travail, ou même 2019 - n'ont pas réussi à faire infléchir le gouvernement.
Enfin, la crainte de violence. Les modes opératoires se sont radicalisés, pas une manifestation n'a lieu sans que des black-blocs ne viennent l'investir. Autant de freins qui peuvent amener les Français à rester chez eux, même face à un projet de loi qu'ils ne soutiennent pas.
Impact économique d'une grève
Reste que, traditionnellement, l'impact économique d'un conflit social, même long, reste marginal. En effet, il y a des effets de transferts au sein de l'économie. La production qui ne peut être réalisée à cause d'un blocage social est, en général, reportée. L'Insee a pu le mesurer lors de la plupart des grandes mobilisations. En 1995, en 2010, la baisse de la croissance est de l'ordre de l'épaisseur du trait : entre 0,1 et 0,2 % par trimestre.
Dernier exemple en date, lors du conflit en automne dernier dans les raffineries. La production a chuté de 46 % en octobre, mais la reprise n'en a été que plus belle : plus de 90 % en novembre. D'un point de vue macroéconomique, le résultat est donc négligeable.
En revanche, une grève peut mettre à mal des secteurs. Ce jeudi, les commerçants, par exemple, pourraient être les premiers pénalisés. Les Français pourraient préférer faire leurs emplettes sur le web...
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