
Et si le plus dur, c'était maintenant ? Les leaders syndicats ont tous en tête la question de la suite à donner à cette première journée d'action, qui faisait figure de test de la mobilisation contre la réforme des retraites. Certes, les Français étaient très nombreux, ce jeudi, dans les cortèges, partout en France. Pour Laurent Berger, le leader de la CFDT, la mobilisation va même au-delà de ce que les syndicats espéraient.
Certes, les sondages continuent de montrer que l'opinion publique est majoritairement contre le projet du gouvernement. Certes, la pétition en ligne des opposants enregistre des signatures, et dépasse les 600.000 signataires ... Oui, l'unité syndicale était là, affichée, mise en avant, comme on ne l'a pas vue depuis 12 ans. Au point que tous les grands leaders des organisations ont défilé ensemble, à Paris, dans le carré de tête. Mais, comment maintenir cette dynamique ? Comme le résume un conseiller social du gouvernement : « cette journée est importante, mais c'est bien la quinzaine de jours à venir qui va être déterminante. »
Une autre journée... oui, mais quand ?
C'est pourquoi dès ce jeudi soir, après avoir battu le pavé, les syndicalistes ont d'ores et déjà pris rendez-vous pour débattre de la suite. Organiser une autre journée d'action est une évidence, mais la question du calendrier se pose. Et elle est déterminante.
Faut-il en prévoir une dès la semaine prochaine, comme le prône la CGT ? Sa fédération du pétrole a déjà déposé un préavis pour le 26 janvier. Faut-il au contraire espacer un peu, histoire d'avoir plus de temps pour mieux se mobiliser ? La CFDT semble plus encline à ce scénario, mettant en avant qu'il faut savoir doser l'effort. Quid aussi d'une journée d'action le week-end ? En 2010, des mobilisations en dehors de la semaine de travail avaient permis à d'autres catégories de travailleurs, - comme des précaires, des intérimaires, etc - de rejoindre le mouvement. Alors que l'inflation est forte, organiser une action un samedi pourrait aussi permettre à des actifs d'exprimer leur refus de la réforme, sans devoir renoncer à une journée de salaire. La question du calendrier est d'autant plus stratégique que le débat parlementaire prévu autour de cette réforme est très resserré. Il doit se terminer en mars. Sans oublier une dernière difficulté pour les syndicats : les congés d'hiver qui, en fonction des zones, couvrent tout le mois de février. Traditionnellement les vacances sont une période où les mobilisations se disloquent. Selon nos informations, la date du 31 janvier.
L'unité syndicale va-t-elle tenir ?
« Beaucoup de choses séparent les organisations syndicales, mais elles ont rarement été aussi unies qu'en ce moment », ces mots sont ceux de Pierre Ferracci, président du groupe Alpha, spécialiste des mouvements sociaux. Et pour cause, toutes savent à quel point elles doivent montrer leur utilité, notamment face aux Gilets jaunes. « Et le conflit sur les retraites leur fournit une occasion inespérée de le démonter », poursuit encore ce fin connaisseur. Par ailleurs, comme toujours dans ces moments de tension, les relations interpersonnelles entre les hommes comptent aussi.
Or, le courant est plutôt bon entre Laurent Berger, de la CFDT et Philippe Martinez de la CGT - les deux hommes se connaissent maintenant depuis longtemps, ils se respectent et s'apprécient. En revanche, le courant est électrique entre Laurent Berger et Emmanuel Macron. De fait, rarement Laurent Berger n'a été aussi déterminé à refuser un projet du gouvernement. « Il est tenu par son mandat, ses adhérents ont été très clairs sur le dossier retraite », rappelle un membre de la direction de la centrale de Belleville. Pourtant, l'histoire a souvent montré - en 2003 notamment- que la CFDT pouvait jouer un rôle de facilitateur pour le pouvoir dans l'adoption d'une réforme des retraites.
De fait, malgré les points de divergence, tous les syndicats, y compris les plus petits, ont conscience de la responsabilité qui leur incombe à préserver cette unité. Ainsi la CFTC peu encline à manifester a-t-elle été prévenue par ses homologues.
Et même les plus radicaux au sein de chaque organisation sont priés de rentrer dans le rang. Exemple le plus frappant : ces derniers jours, Philippe Martinez a repris, en coulisses, le leader de la CGT-Energie qui avait envisagé de couper le courant aux élus qui soutenaient la réforme. Pas question de faire voler en éclats l'unité syndicale à cause d'actions radicales, lui a -t-il dit en substance. Laurent Berger ayant précisé que ce type de méthodes « n'étaient pas sa came ».
Faut-il s'attendre à des blocages de l'économie ?
Les raffineries de TotalEnergies affichaient, ce jeudi, une mobilisation suivie. Le blocage de points névralgiques comme les dépôts d'essence, les centrales nucléaires, les péages, les aéroports ... sont la principale crainte du gouvernement. « Car cela aurait un impact bien plus fort sur l'économie qu'un million de personnes dans la rue », ironise un ministre.
Les Français, eux, s'attendent à des pénuries. Preuve en est, ils sont nombreux à être allés faire le plein d'essence depuis le week-end, dans les stations-services. Le mouvement de l'automne et les difficultés d'approvisionnement qui en ont découlé sont encore dans tous les esprits. Qualifiant ce phénomène de « de syndrome des raffineries ». Il sait que la patience des Français sera limitée, s'ils ne peuvent plus circuler. Contrairement aux précédents mouvements contre la retraite, où les transports avaient été fer de lance, en 2023, étant donné le contexte de tensions sur l'énergie, ce secteur est une clef du conflit.
Que va faire la jeunesse ?
Pour l'instant, même si les associations de jeunesse ont rejoint l'intersyndicale, il n'y a pas de mobilisation significative dans les lycées et les universités. Reste que la réaction des moins de 25 ans est un des éléments que scrute de près le gouvernement, qui craint que le conflit autour de la retraite ne donne aux jeunes un terrain d'expression de leur malaise... Surtout après le Covid, où la situation des étudiants s'est tendue économiquement, mais aussi socialement, les jeunes peuvent être tentés de faire entendre leur angoisse face à l'avenir, leur attachement à la question climatique etc....
« La jeunesse qui rentre dans un mouvement le rend souvent incontrôlable, et ils sont nombreux ceux qui ont fait reculer les gouvernements », rappelle le chercheur, spécialiste des mouvements sociaux, Stéphane Sirot. Outre mai 1968, la séquence en 2005, contre le contrat emploi jeune est restée aussi dans les esprits des dirigeants. Dans ce contexte, la réflexion engagée par le gouvernement pour revaloriser les bourses, plus rapidement que prévu, n'est certainement un hasard....
Sujets les + commentés