L'Elysée et Matignon ont enfin tranché. Après des jours d'intenses tractations et de spéculations, le Premier ministre Gabriel Attal a enfin levé le voile sur les nouveaux visages du gouvernement jeudi 11 janvier en fin d'après-midi. Parmi les surprises figure l'arrivée de Prisca Thévenot au poste de porte-parole du gouvernement à la place d'Olivier Véran. En revanche, le ministre de l'Economie Bruno Le Maire est confirmé à son poste à Bercy tout comme Gérald Darmanin à l'Intérieur, Eric Dupond-Moretti à la Justice ou Sébastien Lecornu à la Défense. En confirmant les poids lourds du gouvernement aux fonctions régaliennes ou économiques, Emmanuel Macron n'entend pas infléchir sa méthode pourtant contestée au sein même de la majorité.
S'agissant des marges de manœuvre de Gabriel Attal, « deux hypothèses » se profilent selon Erwan Lestrohan, directeur conseil chez Odoxa. « Soit, dans la continuité de ses prédécesseurs, Gabriel Attal sera avant tout un Premier ministre « chef d'équipe gouvernementale », responsable de l'application des orientations décidées par Emmanuel Macron qui conserve un style « vertical », soit sa nomination marque une rupture dans les responsabilités confiées au Premier ministre par le chef de l'Etat et il pourrait incarner une force de proposition complémentaire dans un couple exécutif réellement bicéphale».
Porté par les sondages, l'ex-ministre de l'Education espère profiter de sa popularité pour conforter la majorité dans la campagne des élections européennes. « Politiquement, la nomination de Gabriel Attal pourrait en tout cas élargir le soutien à l'exécutif, sur la droite comme sur la gauche. Outre 90% des sympathisants Renaissance, 82% des sympathisants LR sont satisfaits de sa nomination, tout comme 55% de ceux du PS et 50% de ceux des Ecologistes », poursuit le spécialiste des enquêtes d'opinion interrogé par La Tribune.
La loi immigration au conseil constitutionnel, premier stress-test du gouvernement Attal
C'est sans doute le premier dossier sensible auquel le gouvernement Attal va devoir s'attaquer. Après la crise politique du mois de décembre et le malaise de la majorité, Matignon va devoir affronter l'arbitrage du Conseil constitutionnel sur le projet de loi immigration. Prévue le 25 janvier prochain, cette décision, si elle est négative, pourrait une nouvelle fois fracturer la majorité au Parlement. En effet, l'ex-Première ministre Elisabeth Borne avait déjà prévenu que certains articles du texte risquaient de se faire retoquer par les Sages de la rue Montpensier.
Le nouveau chef du gouvernement va ainsi hériter des difficultés d'Elisabeth Borne au Parlement. En l'absence de majorité absolue à l'Assemblée nationale, Gabriel Attal risque une nouvelle fois de devoir trouver des majorités de projet pour chaque texte législatif clivant. « Sa transversalité politique pourrait aussi être un atout pour trouver des équilibres sur les futurs projets gouvernementaux dans un contexte de majorité relative», nuance Erwann Lestrohan.
Finances publiques : 12 milliards d'euros d'économies à trouver
Sur le front budgétaire, le gouvernement Attal va devoir passer des coups de rabot. Après les années du « quoi qu'il en coûte », l'exécutif veut montrer qu'il est capable de rétablir l'équilibre des finances publiques. Lors de ses voeux aux acteurs de l'économie lundi 8 janvier, le ministre de l'Economie Bruno Le Maire a réaffirmé cet objectif. « Je rappelle que nous devons trouver au minimum 12 milliards d'euros d'économies en 2025. Appelons un chat un chat : le plus dur est devant nous ». Pressé par les agences de notation, le gouvernement veut désormais faire bonne figure en Europe. Mais la tâche de Bercy pourrait s'avérer bien compliquée.
En effet, la croissance du PIB a fortement ralenti en 2023. L'économie tricolore a certes évité la récession en fin d'année. La Banque de France a même légèrement révisé à la hausse son chiffre du PIB du dernier trimestre à 0,2% contre 0,1% auparavant. Mais la plupart des économistes ont dégradé leurs prévisions pour 2024. Le durcissement de la politique monétaire en 2022 et 2023 va avoir des effets néfastes sur l'économie européenne dans les mois à venir. En outre, les économies réalisées en 2023 correspondent en grande partie à la fin progressive des aides Covid et des mesures pour faire face à l'inflation comme le bouclier tarifaire. Mais l'éclatement des tensions géopolitiques dans le monde et la recrudescence des conflits pourraient assombrir encore les perspectives économiques.
Le nouveau chef du gouvernement pourrait bien compter sur son nouveau directeur de cabinet Emmanuel Moulin, ancien directeur général du Trésor et ex-bras droit de Bruno Le Maire à Bercy. Gabriel Attal a pu côtoyer ce haut fonctionnaire discret mais très influent lorsqu'il était ministre des Comptes publics pendant une brève année.
Plein emploi : le gouvernement Attal face à la remontée du chômage
L'autre dossier chaud qui attend le gouvernement Attal est l'objectif du plein emploi. « Nous devrons tout faire pour atteindre notre ambition de plein-emploi, continuer d'innover, mais aussi d'attirer les talents comme les entreprises et produire davantage en France », a insisté Emmanuel Macron lors de ses vœux du 31 décembre. Pour y parvenir, le gouvernement a déjà réformé l'opérateur Pôle emploi en France Travail, changer les règles de l'assurance-chômage et repousser l'âge du départ à la retraite. Et Matignon compte bien aller plus loin dans la libéralisation du marché du travail ou le contrôle des chômeurs.
L'exécutif a déjà mis sur la table plusieurs pistes explosives comme la réduction de la durée d'indemnisation des chômeurs de plus de 55 ans ou une possible baisse de la durée de contestation devant la justice en cas de licenciement. Ces pistes ont déjà mis le feu aux poudres chez les syndicats actuellement en discussion sur l'emploi des seniors avec le patronat. Mais là encore le pari du gouvernement de faire baisser le chômage pourrait virer au casse-tête. Le taux de chômage rapporté à la population active a commencé à augmenter en 2023 après plusieurs années de baisses consécutives. Et la Banque de France, dans ses prévisions de décembre, table encore sur une hausse en 2024 (7,6%) et 2025 (7,8%).
En Europe, le chômage pourrait également commencer à grimper. « En zone euro, le chômage reste historiquement bas et semble se stabiliser pour l'instant malgré le ralentissement économique. Notre scénario principal est que le chômage pourrait remonter de 0,5 point en 2024. Comme la situation économique se dégrade, le chômage devrait augmenter mais moins que dans un scénario de récession », a récemment déclaré Christophe Blot, économiste à l'OFCE et spécialiste des questions européennes.
Transition écologique : le casse-tête du financement
Le nouvel exécutif va également devoir s'attaquer au sujet brûlant du financement de la transition écologique. Alors que Bercy veut serrer la vis budgétaire, la France va devoir affronter un mur de d'investissements publics à financer estimés entre 30 et 34 milliards d'euros par an d'ici 2030 selon le rapport Pisani Ferry/Mahfouz. En prenant en compte un périmètre plus large, la direction du Trésor estime le coût de la transition à 110 milliards d'euros à partir de 2030.
Face à cette montagne à financer, le gouvernement est sur une ligne de crête. L'inflation a certes ralenti en zone euro en 2023. Mais la Banque centrale européenne (BCE) a maintenu ses taux à un niveau élevé. Avec des conditions de financement plus défavorables, l'Etat français va devoir trouver des pistes budgétaires pour trouver les milliards nécessaires à la transition.
Or, le gouvernement s'est engagé à ne pas augmenter les impôts. Bercy compte sur la baisse des subventions aux énergies fossiles pour réallouer ces aides à la transition verte. Mais les majors du pétrole et du carbone freinent des quatre fers. Autant dire que Gabriel Attal va devoir batailler âprement pour redonner un nouveau souffle au quinquennat d'Emmanuel Macron.