Tous différents, tous égaux : le travail pour tous ?

Les arguments en faveur de la diversité dans les entreprises sont fondés. Pourtant, ils peinent encore à s’imposer. La situation actuelle, faite de pénurie de main-d’œuvre et d’exigences accrues de la part de la société civile, pourrait enfin permettre de basculer dans un monde plus ouvert. (Cet article est issu de T La Revue de La Tribune - N°9 "Travailler, est-ce bien raisonnable?", actuellement en kiosque)
(Crédits : Matheus Viana / Unsplash)

Depuis le milieu des années 2000, les enquêtes sur l'apport de la diversité, comprise à l'époque comme essentiellement de genre, montrent que les entreprises faisant la part belle aux femmes dans les postes clés affichent de meilleurs résultats. Celles de McKinsey, Women Matter, à partir de 2007, confirment le lien entre performance et diversité de genre : en comparant sur trois ans le bénéfice avant impôts de 300 grandes entreprises, le cabinet de conseil constate qu'entre celles où la proportion de femmes au niveau exécutif est au-dessus de la moyenne et les autres, son montant est nettement supérieur chez les premières. Depuis ces années pionnières, les enquêtes se sont multipliées, sur la diversité concernant l'âge, l'origine sociale ou ethnique, l'orientation sexuelle, le handicap... Elles vont toutes dans le même sens : plus une entreprise est inclusive, mieux elle se porte ! Un argument qui devrait compter pour les dirigeants, responsables, après tout, de la bonne santé de l'organisation. Reste qu'il a encore du mal à porter... Sinon, en effet, comment expliquer qu'au sein des pays de l'OCDE, le taux moyen de femmes siégeant aux conseils d'administration n'atteignait que 25 % en 2019 ? Et comment déchiffrer autrement le fait qu'il n'y a qu'une poignée de « pédégères » dans le monde ? La France, avec 45,8 % de femmes dans les conseils d'administration des entreprises du SBF 120 en 2021, fait bien sûr beaucoup mieux, grâce à la loi Copé-Zimmermann de 2011, qui y a imposé 40 % de femmes. Mais dans les comités exécutifs, là où se trouve le pouvoir au quotidien, les hommes occupent encore la majorité des postes. Les femmes n'en détenaient que 22 % en 2021. Sans oublier que l'écart de salaire homme/femme était encore de 16,5 % l'an dernier...

Au point qu'outre l'index d'égalité professionnelle, une nouvelle loi à l'initiative de la députée Marie-Pierre Rixain, adoptée en décembre dernier, imposera progressivement des quotas de femmes (de 30 % en 2026, puis de 40 % en 2029) dans les instances dirigeantes des grandes entreprises.

Émotions positives

« Les dirigeants sont sceptiques face à l'argument économique et financier de la diversité, qu'ils jugent flou, explique Jean-Michel Monnot, fondateur de All Inclusive !, un cabinet de conseil accélérateur de performance par l'inclusion. En outre, l'utiliser les enferme dans une position cynique, obsédés par l'argent... ». Ce qu'il faut, selon lui, c'est faire appel à leurs sentiments et leurs valeurs. « Les hommes, dans les directions d'entreprises, doivent s'emparer de ces sujets, en choisissant des personnes diverses et compétentes pour des postes à responsabilité - afin de ressentir, en se regardant dans la glace, de la fierté », conclut-il. Ces émotions positives prévaudront-elles ? Auront-elles raison des biais, même inconscients, qui font que recruteurs et managers ont encore tendance à privilégier, pour la sélection des candidats, les promotions et les augmentations de salaire, ceux qui leur ressemblent, qui ont fait la bonne école, qui ont le parcours idéal ? Malgré les lois anti-discrimination, le chemin est encore long si l'on en croit certaines études. Celle de la Défenseure des droits, publiée en décembre 2021, constate que 60 % des jeunes disent avoir déjà été confrontés à des propos stigmatisants ou des exigences discriminatoires lors d'un entretien. Celle de novembre 2021 de la Dares (ministère du Travail), montre qu'en moyenne, à qualité comparable, « les candidatures dont l'identité suggère une origine maghrébine ont 31,5 % de chances de moins d'être contactées par les recruteurs que celles portant un prénom et nom d'origine française ». Et que dire des jeunes en situation de handicap, qui sont, selon la dernière enquête (octobre 2021) de l'Ifop pour l'Agefiph, 50 % à affirmer avoir déjà fait l'expérience de la discrimination au cours de leur recherche d'emploi ? Et alors que la loi fixe à toute entreprise et tout établissement public d'au moins 20 salariés une obligation d'emploi de 6 % de personnes handicapées, le taux d'emploi direct n'était que de 3,9 % en 2018...

Certes, les initiatives, au sein des entreprises, se multiplient : actions de formation des recruteurs, objectifs d'inclusivité - pour les femmes, les jeunes, les seniors, les personnes en situation de handicap ou éloignées de l'emploi - et même, dans certaines, atteinte de ces objectifs comme condition d'une partie des bonus versés aux managers. De même, le gouvernement mène des politiques en ce sens, comme avec le plan 1 jeune 1 solution, puisque l'inclusivité est aussi un enjeu politique et sociétal. « L'intérêt général est d'inclure le maximum de personnes dans la production et la consommation et dans l'ensemble des entreprises. Il n'y a pas débat », résume Yannick L'Horty, professeur d'économie à l'université Paris-Est Marne-la-Vallée. Et l'enjeu, aujourd'hui, est « d'autant plus grand qu'il apparaît sur fond de crises multiples : économique, écologique, sociale et de sens », ajoute Gilles de Labarre, président de Solidarités Nouvelles face au Chômage.

Les entreprises sont également touchées par les aspects sociétaux. Résumée par la formule « Nous devons refléter la diversité des publics que nous servons », leur volonté d'inclure est de plus en prégnante, sous l'effet de leur responsabilité sociale, exigée par les citoyens, du pouvoir que les consommateurs, susceptibles de boycotter certains produits, se découvrent, et des contraintes imposées par les investisseurs.

Performance des salariés

Mais ce sont de derniers développements qui pourraient porter l'estocade. À la faveur de la crise sanitaire, les entreprises ont davantage pris conscience que le bien-être des collaborateurs est gage de performance. Or il passe aussi par la diversité et l'inclusion. « Promouvoir des femmes, des handicapés ou des personnes d'origine non européenne n'est pas seulement un comportement socialement responsable, pointent ainsi Kevin Carillo et Alain Klarsfeld, professeurs à TBS Education. Nous montrons dans notre recherche que les salariés qui estiment faire partie d'une organisation plus ouverte à la diversité s'y identifient davantage, sont plus satisfaits, plus impliqués, plus adaptables et plus proactifs. » En outre, en cette période de pénurie de main-d'œuvre dans certains secteurs, les entreprises savent qu'elles doivent attirer des candidats. Or, les jeunes, en particulier, font la fine bouche si l'employeur potentiel ne répond pas à certains de leurs critères, qui incluent la diversité et l'égalité. Dans un tel contexte, « il est encore plus coûteux pour les entreprises de discriminer », relève Yannick L'Horty, qui note d'ailleurs que les études montrent qu'en période de fortes tensions sur le marché de l'emploi, la discrimination baisse. De quoi ouvrir plus grand la porte de l'emploi pour tous...

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Audrey Tcherkoff, managing Director du Women's Forum for the Economy & Society : « Les Français, et les jeunes en particulier, font de l'égalité une priorité »

T La Revue n°9

« J'ai grandi dans une famille monoparentale et j'ai eu très jeune une perception aiguë de la résilience féminine. Puis, en début de carrière, j'ai connu le sexisme, certains investisseurs refusant de me parler ! Cela n'a fait que renforcer mes convictions qu'il fallait agir. Enfin, en prenant la tête, en 2015, de Positive Planète, à la demande de Jacques Attali, fondateur de cette organisation qui promeut l'économie positive, j'ai pu mesurer encore plus l'intérêt de l'inclusion, en particulier de la moitié de la population mondiale, les femmes, pour le bien de tous. Et il reste encore des progrès à faire ! Ainsi, en France, la loi Copé-Zimmermann de 2011 nous a certes propulsés aux premiers rangs mondiaux de la proportion de femmes dans les conseils d'administration, mais elle a dû être suivie, en fin 2021, par la loi Rixain, pour une meilleure représentation dans les instances dirigeantes. Car le "ruissellement" ne va pas de soi... Aura-t-il lieu désormais ? Je l'espère. Il est clair en tout cas que, selon les sondages, les Français, et les jeunes en particulier, font de l'égalité une priorité. Et c'est dans l'intérêt des entreprises, qui doivent attirer les meilleurs talents, d'adopter des stratégies d'inclusion, de même que pour la société... À cet égard, le Women's Forum a beaucoup travaillé sur les métiers liés à la science, la technologie, l'intelligence artificielle. Et constaté que les femmes ne sont que 24 % dans ce secteur, dont 11 % dans la cybersécurité. Or ces métiers sont appelés à transformer la société. Nous nous employons donc, auprès des jeunes filles, via du mentorat, notamment, mais aussi auprès des formateurs et des recruteurs, à sensibiliser sur la place des femmes dans ces métiers. En outre, je suis fan des mesures d'impact. Nous allons rendre prochainement deux rapports, sur l'évolution dans la technologie et la formation tout au long de la vie des femmes. Et, bien sûr, proposer des mesures concrètes pour faire avancer la cause. »

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Anthony Babkine, cofondateur de Diversidays : « Si rien n'est fait, les métiers de la Tech risquent d'être réservés à une élite »

T La Revue n°9

« Comme un habitant sur deux en Île-de-France, j'ai grandi en banlieue, à Évry-Courcouronnes. Je n'étais pas bon élève, et j'ai eu, sans réseau ni codes de l'entreprise, beaucoup de difficultés à entrer dans le monde du travail. Puis, grâce au soutien scolaire de ma ville et l'aide de mes parents, j'ai eu mon bac et continué mes études à l'Institut Mines-Télécom Business School, la seule école de commerce près de chez moi, publique et donc abordable. Puis, ce n'est que grâce à l'aide de Mozaïk RH que j'ai décroché un contrat d'alternance dans le numérique. Huit ans plus tard, je suis devenu directeur général adjoint en charge du numérique de TBWA\Corporate... Avec un peu de recul, je me suis dit qu'il fallait à mon tour aider ceux qui souffrent de conseils d'orientation scolaires peu ambitieux et de jugements biaisés lors des recrutements, pour qu'une nouvelle génération s'élève socialement grâce à la compétence numérique. D'où le lancement, avec Mounira Hamdi, de l'IMT BS, de Diversidays, un mouvement qui promeut la diversité. Si Diversidays se concentre sur le numérique, c'est que ce secteur, qui regorge de métiers d'avenir, est en pénurie de talents et, surtout, de nature à changer la société et le monde du travail. Or pour l'heure, les start-ups, qui recrutent massivement, sont encore engluées dans des politiques faites d'endogamie sociale. Au point que, selon l'enquête menée par le collectif RH Firstalent en 2020, 80 % d'entre elles n'ont pas de politique RH en faveur de la diversité ! Si rien n'est fait, ces nouveaux métiers, très porteurs, risquent d'être réservés à une élite. Depuis 2017, Diversidays a donc mis sur pied des programmes d'accompagnement aux demandeurs d'emploi (declics-numeriques.com), de personnes en reconversion et d'entrepreneurs, un mouvement en faveur de l'inclusion dans les start-ups (techyourplace.fr) et des évènements pour sensibiliser les acteurs économiques. »

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Dominique du Paty de Clam, fondatrice du cabinet de conseil réseauH : « L'entreprise peut être un lieu de prévention »

T La Revue n°9

« J'ai commencé ma carrière professionnelle comme responsable des achats d'un grand groupe. Des clients grands comptes m'ont parlé de leurs difficultés à s'adresser aux Entreprises Adaptées et aux ESAT. Cette situation a évidemment résonné en moi, d'autant que j'avais vécu des discriminations au travail du fait de mon handicap. En 2009, j'ai créé réseauH, pour construire une passerelle entre les entreprises et le secteur du handicap. Depuis, le cabinet a évolué. Nous sommes de plus en plus sollicités pour accompagner les entreprises attentives au maintien dans l'emploi des salariés en situation de handicap ou en difficultés, même temporaires. Si l'entreprise n'est pas un lieu thérapeutique, elle peut être un lieu de prévention. Or, lorsqu'un salarié est déclaré inapte au travail puis licencié, c'est un échec pour tout le collectif de travail, de même qu'une perte de savoir et de savoir-faire pour l'entreprise. Depuis 2015, nous nous appuyons sur les neurosciences pour sensibiliser managers, référents et partenaires sociaux, afin qu'une réflexion s'engage. Tout en adaptant le poste si nécessaire, nos clients nous signifient l'intérêt de faire accompagner leurs salariés par nos éthologues, dont le travail consiste à reconnecter le comportement d'un individu à ses besoins et à son environnement professionnel. Et si les entreprises semblent de plus en plus réceptives aux politiques handicap et diversité, certains freins perdurent... En outre, nombreuses sont celles qui souhaiteraient recruter des personnes en situation de handicap mais peinent à y parvenir. Pourtant, de nombreux acteurs existent ! En cette période de crise sanitaire, les personnes en situation de handicap, aux compétences discrètes, qui savent faire preuve de résilience, peuvent apporter leur savoir-faire et leur savoir-être aux équipes et à leurs managers. »

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Article issu de T La Revue n°9 "Travailler, est-ce bien raisonnable?" - Actuellement en kiosque et disponible sur kiosque.latribune.fr/t-la-revue

T La Revue n°9

Commentaires 4
à écrit le 15/05/2022 à 16:15
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La fameuse diversité ne sert à rien. Quand elle est forcée ça s'appelle de la discrimination point barre.

à écrit le 15/05/2022 à 13:53
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Nous vivons dans un monde artificiel construit par nos semblables par une "politique de l'offre" adjointe de ses indispensables publicités! Ce monde du travail l'est tout autant, ammassant les gens dans les villes en desertifiant les campagnes indisp...

à écrit le 15/05/2022 à 9:39
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McKinsey c'est le truc qui a été condamné à 570 millions de dollars, l'année dernière, pour avoir dit que les opioïdes ça ne risquait rien transformant ainsi la population américaine en junkies. Une sacrée référence particulièrement crédible en effet...

à écrit le 15/05/2022 à 8:23
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Dans mon entreprise, on a eu une période faste où on a embauché plein de gens originaires du Maghreb, et puis petit à petit, l'activité a décliné, et ils ont fini par tous partir

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