Colère des agriculteurs : tensions entre pays de l'UE sur les restrictions à imposer aux produits ukrainiens

Ce mercredi, une négociation européenne autour du projet de plafonnement de certaines importations agricoles venant d'Ukraine tourne au casse-tête. Soucieuses de répondre aux revendications de leurs agriculteurs, la France et la Pologne veulent durcir le texte sur des denrées comme le blé et l'orge.
Depuis 2022, l'UE exempte de droits de douane l'Ukraine pour un certain nombre de produits agricoles. L'idée est de soutenir l'économie du pays dans sa guerre contre la Russie.
Depuis 2022, l'UE exempte de droits de douane l'Ukraine pour un certain nombre de produits agricoles. L'idée est de soutenir l'économie du pays dans sa guerre contre la Russie. (Crédits : Yves Herman)

Tensions entre pays membres de l'Union européenne. La crise agricole qui a éclaté ces dernières semaines s'est en effet invitée à la table des négociations du projet de plafonnement de certaines importations agricoles venant d'Ukraine. Dans sa dernière ligne droite pour être finalisé, celui-ci est jugé insuffisant par une partie des 27, dont la France, qui souhaitent étendre ces restrictions au blé. Une revendication directe des organisations agricoles françaises, notamment la FNSEA.

« Il n'y a pas d'accord » sur l'inclusion du blé, avait reconnu mardi le ministre belge de l'Agriculture David Clarinval, dont le pays occupe la présidence tournante du Conseil de l'UE, en marge d'une réunion avec ses homologues européens. « Nous sommes suffisamment de pays pour avoir une minorité de blocage, pour demander l'évolution » du texte, avait averti le ministre français Marc Fesneau.

Le blé tendre et l'orge au cœur des crispations

Quelles sont les options possibles à l'issue de cette négociation, censée aboutir en fin de journée ? D'abord, Bruxelles pourrait adopter rapidement « des mesures correctives » en cas de « perturbations importantes » sur le marché, même dans un seul pays, avec une surveillance accrue des flux de céréales. Surtout, les importations dédouanées de volailles, œufs, sucre, maïs, miel et avoine seraient plafonnées aux volumes importés en 2022-2023, au-dessus desquels des tarifs seraient aussitôt réimposés.

Mais ce « mécanisme de sauvegarde automatique » n'inclut pas le blé tendre et l'orge, comme le réclamaient les eurodéputés, les organisations agricoles mais aussi plusieurs Etats. La France et la Pologne en tête. « On a une déstabilisation des marchés des céréales », en raison de « la stratégie russe d'empêcher l'Ukraine d'aller sur ses marchés traditionnels » en Afrique et au Moyen-Orient, a insisté Marc Fesneau.

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« Les routes maritimes via la mer Noire fonctionnent à nouveau, les produits ukrainiens vont retrouver leurs marchés », a aussi argumenté son homologue hongrois Istvan Nagy. « Sans l'inclusion du blé, l'accord est inacceptable » pour Budapest, a-t-il prévenu.

Paris défend également l'élargissement à 2021 de la période de référence du plafonnement, faisant valoir que les volumes de 2022-2023 correspondent à des importations déjà massives. Le Parlement européen s'y était dit favorable en février. Des demandes « équilibrées », selon Marc Fesneau, soucieux d'éviter des déséquilibres agricoles qui éroderaient « le soutien de l'opinion » à l'Ukraine.

Berlin hostile à toute révision du projet d'accord

Une position que ne partage pas Berlin, qui s'est dit hostile à toute révision du projet d'accord : « Un compromis a été négocié, il faut s'y tenir! », s'est énervé mardi le ministre allemand de l'Agriculture Cem Özdemir. « Beaucoup ne comprennent pas que la défense de l'Ukraine, et donc notre défense à tous, ne consiste pas seulement à fournir des munitions, mais aussi à ne pas reprendre la propagande russe selon laquelle la baisse problématique des prix des céréales serait due aux livraisons ukrainiennes. Il n'y a aucune preuve de cela! », s'est-il agacé.

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Du côté de Kiev, c'est l'incompréhension qui domine. « Nous sommes déçus. L'Ukraine a comblé un déficit de sucre dans l'UE », empêchant les prix de s'envoler trop, et lui « fournit environ 1% de sa consommation totale d'œufs, 2% de sa consommation de volaille : ce que pourraient facilement consommer les réfugiés ukrainiens », a expliqué à l'AFP le ministre ukrainien de l'Agriculture Mykola Solsky. Et d'ajouter que les restrictions européennes n'influenceront guère les cours du blé « fixés à Chicago », plombés par d'abondantes récoltes brésiliennes, argentines et américaines.

Selon Bruxelles, un plafonnement qui, outre le texte initial, inclurait blé et orge, avec une période de référence élargie à 2021, réduirait au total d'environ 1,2 milliard d'euros les exportations ukrainiennes vers l'UE par rapport à 2023.

L'histoire d'une crispation

Pour rappel, l'UE accorde depuis 2022 à Kiev une exemption de droits de douane pour soutenir le pays face à l'invasion russe. Les agriculteurs européens accusent l'afflux de produits ukrainiens de plomber les prix locaux et de relever d'une concurrence « déloyale », faute de satisfaire aux mêmes normes. Négociateurs des Etats et eurodéputés se sont accordés le 20 mars pour reconduire l'exemption douanière pour un an, à partir de juin, mais avec des restrictions.

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L'accord conclu le 20 mars doit être formellement validé par le Parlement européen en plénière en avril, et par les Etats à la majorité qualifiée (15 pays représentant 65% de la population de l'UE). Tout amendement doit être entériné parallèlement de part et d'autre. Tiraillée entre les Etats qui souhaitent protéger plus strictement leurs marchés, et ceux qui entendent ménager les revenus commerciaux de Kiev, la présidence belge de l'UE a proposé mardi soir « de légers ajustements » au texte.

Grogne toujours présente en Pologne et en France

Censé soulager les agriculteurs européens qui accusent l'afflux de produits ukrainiens de plomber les prix locaux, ce futur nouvel accord n'a, pour le moment, pas calmé la colère des agriculteurs polonais. Là-bas, les cultivateurs mécontents bloquent toujours plusieurs passages frontaliers avec l'Ukraine, notamment celui avec l'Allemagne.

D'après les agriculteurs mobilisés, les produits agricoles ukrainiens contribuent à une concurrence « déloyale », faute de satisfaire à certaines normes concernant notamment la taille des élevages ou l'usage de produits phytosanitaires. D'autant plus que les importations de produits agricoles ukrainiens dans l'UE ont bondi de 11% en valeur sur un an en janvier-septembre 2023.

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De leurs côtés, les céréaliers français demandent purement et simplement la réinstauration de droits de douane pour les céréales importées d'Ukraine. Ce, pour faire face à la chute des cours du blé, au plus bas depuis trois ans et demi, qui greffent leurs revenus.

Par ailleurs, le doute persiste toujours sur la prochaine rencontre des syndicats agricoles avec Emmanuel Macron. Promise pour la mi-mars, elle a été reportée sine die, dans l'attente que les conditions soient réunies. Bien que lors d'une conférence de presse le 20 mars le président de la FNSEA ait affirmé espérer une sortie de crise pour début avril. En attendant, lors d'un discours le ministre de l'Agriculture Marc Fesneau a tenté de rassurer ce mercredi les agriculteurs membres de la FNSEA, lors de son 78e congrès.

(Avec AFP)

Commentaires 2
à écrit le 27/03/2024 à 15:57
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Les agriculteurs ne peuvent pas se piffer.

à écrit le 27/03/2024 à 15:37
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Je me demande pourquoi on depense de l argent a avoir un ministre de l agriculture ou a negocier a Bruxelles. Envoyons directement le patron de la FNSEA puisque c est eux qui decident

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