Méga-bassines : pourquoi de nombreux projets « autorisés » sont toujours bloqués

La FNSEA exige des avancées concrètes et rapides sur ces retenues d'eau de substitution. Mais les blocages, même lorsque les projets sont autorisés et qu'aucune décision judiciaire n'est plus attendue, dépendent d'un choix de la France: celui d'une gouvernance décentralisée et concertée de l'eau.
Giulietta Gamberini
Ces gigantesques réservoirs de stockage sont financés à 70% en moyenne par des établissements publics, les Agences de l'eau.
Ces gigantesques réservoirs de stockage sont financés à 70% en moyenne par des établissements publics, les Agences de l'eau. (Crédits : © LTD / DAMIEN MEYER/AFP)

Alors que le premier anniversaire des violents affrontements du 25 mars 2023 entre les forces de l'ordre et les manifestants s'opposant au projet d'un gigantesque réservoir agricole d'eau dans les Deux-Sèvres s'approche, la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) remet de l'huile sur le feu. Le stockage hydrique agricole figure en effet parmi les « cinq grands blocs » sur lesquels le principal syndicat des agriculteurs veut du « concret » afin de sortir, au moins jusqu'à l'été, de la crise agricole.

« Depuis le Varenne de l'eau et du changement climatique (réflexion et concertation menée en 2022 sous l'impulsion du Président de la République, ndlr), ce qui nous intéresse est combien on est capable de stocker de mètres cubes supplémentaires, dans le respect évidemment du cadre (réglementaire, ndlr). Aujourd'hui, on a beaucoup de projets qui sont en l'air depuis des mois, voire des années, voire des dizaines d'années. Comment on fait très concrètement pour rendre ces projets opérants? », a questionné le président de la FNSEA lors d'une conférence de presse le 20 mars.

« Toujours quelque chose qui s'additionne »

« On a donné un exemple au Premier ministre » (rencontré la veille par le syndicat) : des réserves de substitution dans la Vienne « ayant obtenu un permis de construire, purgées de tout recours, et en l'air depuis plus de dix ans. Est-ce qu'à un moment, on le fait ou on ne le fait pas? », a précisé Arnaud Rousseau.

Interrogé sur les points de blocages, le syndicaliste a évoqué un Projet de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE) et une Analyse hydrologie-milieux-usages-climat (HMUC) locaux.

« Il y a toujours la petite demande de feuille complémentaire, il y a toujours quelque chose qui s'additionne (...). Si on veut faire des études complémentaires, on les fait en amont de l'autorisation du permis », a-t-il plaidé.

Des projets financés à 70% par une Agence de l'eau

De la trentaine de projets de retenues de substitution autorisées par le préfet dans la Vienne, après la présentation d'études d'impact voire des résultats d'une enquête administratives, certains sont en effet purgés de tout recours administratif ou judiciaire, confirme Benoît Grimonprez, professeur de droit rural et de l'environnement à l'Université de Poitiers. Ils pourraient donc déjà être lancés s'ils n'étaient financés que par des fonds privés.

Sauf que ces gigantesques réservoirs de stockage, appelés par leurs détracteurs « méga-bassines », sont financés à 70% en moyenne par les Agences de l'eau, des établissements publics créés en 1964. Or, pour ce faire, dans la Vienne, l'Agence de l'eau Loire-Bretagne doit d'abord vérifier la conformité de ces projets à un « protocole d'accord » signé en 2022. Et ce dernier doit d'abord être jugé équivalent à un PTGE, document auquel l'Etat confie depuis 2019 l'objectif « d'atteindre, dans la durée, un équilibre entre besoins et ressources disponibles en respectant la bonne fonctionnalité des écosystèmes aquatiques, en anticipant le changement climatique et en s'y adaptant ».

« L'enjeu est de vérifier si les projets respectent le protocole, mais aussi si ce protocole est assez exigeant par rapport aux conditions de gestion de l'eau sur le bassin », résume Benoît Grimonprez.

Un blocage qui pourrait encore durer longtemps

Elément supplémentaire de paralysie: le protocole en question prévoit le respect des résultats d'une l'étude HMUC portant sur les volumes d'eau disponibles dans le milieu. Une évaluation menée par un bureau indépendant et complètement différente de l'étude d'impact nécessaire pour l'autorisation préfectorale, en ce qu'elle se réfère à l'ensemble du territoire, et non pas à un seul projet, explique Benoît Grimonprez.

« C'est normal que l'argent public soit versé à des conditions particulières. Or, l'Agence de l'eau de Loire-Bretagne finance seulement des projets de retenues de substitution. Et la HMUC détermine les volumes à financer en stockage », explique son directeur général, Martin Gutton.

Problème: ces résultats, publiés fin 2023, font état de volumes inférieurs à ceux initialement prévus dans l'autorisation préfectorale des retenues de substitution. Cela impliquerait donc de revoir le nombre de bassines autorisées, ainsi que les engagements et les compensations environnementaux promis par les irrigants, qui dépendent aussi des volumes prélevés, note Benoît Grimonprez.

Et puisque la décision de l'Agence de l'eau Loire-Bretagne n'est soumise à aucun délai, « ce blocage, pendant lequel on continuerait d'avoir des projets autorisés mais non financés, pourrait durer encore longtemps », reconnaît-il. Avec un effet négatif sur la motivation et les capacités financières des irrigants à l'origine du projet, souligne le juriste.

Malgré de nombreux désaccords, y compris entre collectivités locales et agriculteurs, le Conseil départemental de la Vienne espère toutefois finaliser l'intégration du protocole d'accord existant dans un PTGE plus global avant la fin de l'année en cours, affirme Martin Gutton. Il devra ensuite être validé par la préfète coordinatrice de bassin.

Des agences publiques mais indépendantes

Alors, que peut bien faire le gouvernement, auquel la FNSEA met la pression? « Rien du tout », répond le spécialiste : « Ces agences sont en effet indépendantes et souveraines ». Leur programme de financement est fixé en lien avec les Comités de bassin rassemblant toutes les parties prenantes (collectivités locales, industriels, agriculteurs, État, consommateurs, ONG...) d'un grand bassin versant, qui adoptent des Schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) s'imposant même aux préfets lors de leurs autorisations.

Quant à la conformité des projets de retenues aux PTGE, le gouvernement pourrait certes décider de supprimer cette exigence.

« Mais ce n'est pas sûr que cela assurerait un financement de l'agence de l'eau. Au contraire, l'absence d'un tel instrument, imaginé pour déminer les conflits dans les territoires puisqu'il fait état d'un consensus, raviverait les affrontements binaires entre irrigants et opposants, qui pourraient continuer de paralyser l'agence de l'eau », analyse Benoît Grimonprez.

Des promesses sans impact?

Les autres concessions accordées par l'exécutif aux agriculteurs depuis le début de la crise, d'ailleurs, risquent aussi de se révéler d'une portée limitée, estime le professeur de droit. Les décrets annoncés visant à réduire les délais de recours et de contentieux contre les projets agricoles de la gestion de l'eau ne décourageront pas la sollicitude des opposants.

Quant à l'« inscription dans la loi que l'agriculture est d'intérêt général, au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation », associée à celle de la « souveraineté agricole et alimentaire », l'intention semble justement être de permettre aux décisions les concernant de ne pas tenir compte des exigences  de gestion locale de l'eau. Pour être sûr d'atteindre un tel objectif, il faudrait toutefois réviser aussi la loi sur l'eau, les règlements et les documents locaux qui s'imposent directement aux préfets, analyse Benoît Grimonprez. Ce qui ne se fera pas en un claquement de doigts.

« Et si les exigences réglementaires étaient allégées, les tribunaux administratifs pourraient néanmoins continuer de remettre en cause les autorisations obtenues, en s'appuyant sur les études d'impact et les connaissances scientifiques », alerte Martin Gutton.

La FNSEA pressée

Certes, une modification législative pourrait au moins simplifier l'empilement de réglementations, et faire en sorte que toutes les études auxquelles un projet doit se conformer soient rendues avant son autorisation. L'association de collectivités locales Amorce travaille sur une proposition de loi transpartisane dans ce sens. Mais cela prendrait plusieurs mois d'élaboration, puis de mise en oeuvre, alors que la FNSEA semble plutôt exiger le déblocage des  projets dans les prochaines semaines.

Une autre contrainte réglementaire presse en effet les agriculteurs: en vertu d'une directive-cadre de l'Union européenne adoptée en 2000 et transposée en France en 2004, les prélèvements estivaux des agriculteurs risquent d'être fortement réduits dès 2027.

Gouvernance concertée ou gestion sectorielle?

Les demandes de la FNSEA soulèvent donc finalement une question de fond: est-il souhaitable de remettre en cause le modèle même de gouvernance décentralisée et concertée de l'eau jusqu'à présent choisi par la France ?

« Dans un bassin structurellement en déficit comme celui où sont conçus les projets de la Vienne, le PTGE est indispensable en ce qu'il permet d'atteindre l'équilibre », note Martin Gutton.

« L'eau est un patrimoine commun, qui ne peut pas faire l'objet d'une gestion seulement sectorielle comme le voudrait le monde agricole. On ne peut pas échapper à la nécessité de discuter localement des projets », tranche donc le directeur général de l'Agence de l'eau Loire-Bretagne.

Le risque est sinon que « les usages agricoles finissent par passer automatiquement devant l'accès à l'eau potable », souligne le délégué général d'Amorce, Nicolas Garnier. Une perspective que, du point de vue des collectivités locales et de leurs usagers, il juge « dramatique ».

Giulietta Gamberini

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 19
à écrit le 24/03/2024 à 10:39
Signaler
"Pourquoi de nombreux projets de méga-bassines « autorisés » sont toujours bloqués?" Sans doute pour les mêmes raisons que la construction de la plupart des bassines ont été entachées d'irrégularités (insuffisances des dossiers, absence d'études d'im...

à écrit le 23/03/2024 à 18:46
Signaler
Toujours plus !

à écrit le 23/03/2024 à 13:18
Signaler
Il faut interdire la FNSEA, la FDSEA et la Coordination rurale dont les adhérents polluent les sols, épuisent les nappes phréatiques, maltraitent les animaux et nous empoisonnent avec leurs produits pourris ! Ces individus votent majoritairement extr...

à écrit le 22/03/2024 à 22:06
Signaler
bonjour ben le principe est simple. on pompe dans la nappe phréatique en hiver on remplit les bassines et on utilise l'eau en été. donc à aucun moment on pompe dans la rivière ou la détourne. une riviere ou une nappe phréatique n'ont rien à voir ...

le 23/03/2024 à 13:12
Signaler
que ce soit les bassinnes le journal la provence ou tout autre fait c'est les multiples version de la macronie qui neutralise toute action quel soit francaise ou autre idem pour les relations international il est grand temps que les francais dise ...

le 23/03/2024 à 18:45
Signaler
Sauf qi'ils pomperont aussi et comme ils font encore actuellement dans les ruisseaux et les rivières. Faudrait se réveiller les gars franchement, c'est le cauchemar agro-industriel hein... merci.

le 23/03/2024 à 19:35
Signaler
« Nappes phréatiques et rivières n’ont aucun lien ». Déjà ça commence mal. Ensuite il y a plein de configurations et de sols différents, qui font que dans certains cas c’est souhaitable comme pomper des rivières en hiver, mais pomper des nappes certa...

à écrit le 22/03/2024 à 16:44
Signaler
Pendant ce temps : Un an après la violente manifestation contre les mégabassines à Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres, ils veulent montrer que la mobilisation ne faiblit pas. Les adversaires de ces réserves d’eau agricoles organisent un week-end...

à écrit le 22/03/2024 à 16:05
Signaler
La FNSEA pourrait avoir la décence de recouvrir ces bassines de fermes solaire : pour faire un peu plus de fric, et pour que les gros céréaliers puissent, enfin ! , changer de Mercedes tous les ans. Elle devrait exiger pour ça (pour le solaire, pas ...

à écrit le 22/03/2024 à 15:37
Signaler
toujours l intérêt particulier pour une minorité au détriment d une agriculture raisonnée de surcroît ils osent parler sans tabou au lieu d adapter les cultures aux régions

à écrit le 22/03/2024 à 15:30
Signaler
La France adore se tirer des balles dans le pied sous la coupe des minorités . Notre système électoral permet depuis des années à être sous la coupe des minorités avec des élections à deux tours Vive la proportionnelle intégrale et la suppression de...

à écrit le 22/03/2024 à 13:23
Signaler
Au vu de la photo, il ne s'agit pas d'une retenue collinaire mais d'un bassin alimenté par pompage dans la nappe phréatique. Une aberration. Ce genre de stockage ne doit pas être autorisé.

le 22/03/2024 à 13:47
Signaler
ben si, car la FNSEA le veut. Et le plus fort c est que c est avec vos impots et quand les nappes seront a sec ca sera a vous de vous serrer la ceinture en economisant l eau

le 22/03/2024 à 13:53
Signaler
Il parait que l'hiver les nappes sont pleines, pour 'rien' et c'est là qu'il faut pomper, pour faire un stock (même si la nappe est elle aussi un stock, qui n'est pas à l'air libre et ne s'évapore pas). Au labo quand on chauffait un bain d'eau à 37°...

le 22/03/2024 à 15:20
Signaler
Tout à fait. Contre l'intêret général. Et avec de l'argent public. Un syndicat d'assistés incapables de vivre de leur travail... et c'est tjrs la faute aux autres... et il faut tjrs plus d'argent public. Comme la cgt.

le 23/03/2024 à 2:19
Signaler
@cdg - La FNSEA est dirigée par des voyous et ça commence vraiment à se voir. Je ne serai pas le dernier à ne plus avoir d'eau, j'ai une citerne et une source qui ne tarit jamais. Un avantage de vivre au pied des montagnes à la campagne😃

à écrit le 22/03/2024 à 12:51
Signaler
parce que c'est le rationnement de l'eau de pluie , de plus si pour la livrer a l'arabie saoudite contre du pértole, ben pas difficile de comprendre ce qui est en train de se faire ! n'est t'il pas la même chose pour edf? comme ils signent les tra...

le 22/03/2024 à 13:18
Signaler
Les bassines ne sont pas alimentées par de l'eau de pluie mais par pompage dans la nappe phréatique .

le 22/03/2024 à 13:59
Signaler
"le rationnement de l'eau de pluie" vous le gérez comment, ce 'rationnement' ? La météo & le climat on les subit. Dame Nature est beaucoup plus forte que nous. Vous livrez comment de l'eau de pluie à l'Arabie Saoudite (les grands bassines, voire lac...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.