Brésil : derrière la lutte anticoronavirus, la corruption

Deuxième pays le plus touché au monde par la pandémie, le Brésil doit affronter un autre fléau : celui de la corruption, qui profite de la situation pour prospérer. Au total, 11 États sur les 27 que compte ce pays fédéral de 212 millions d'habitants sont touchés par des affaires de ce type.
Une manifestante tient une bannière montrant le président brésilien Jair Bolsonaro durant une manifestation contre lui et en honneur aux victimes du coronavirus, le 7 août 2020.
Une manifestante tient une bannière montrant le président brésilien Jair Bolsonaro durant une manifestation contre lui et en honneur aux victimes du coronavirus, le 7 août 2020. (Crédits : Reuters)

Ingrid dos Santos, infirmière dans un hôpital de campagne de Rio de Janeiro destiné à traiter le Covid-19, ne reçoit pas son salaire depuis mai, vraisemblablement englouti par la corruption, l'autre maladie derrière l'épidémie de coronavirus au Brésil.

L'hôpital sous tente monté à Duque de Caxias, dans la banlieue de Rio, pour lequel cette infirmière de 28 ans a été embauchée, n'a jamais ouvert.

Mais le salaire et l'indemnité de licenciement qu'elle était censée recevoir figurent bien sur son dossier de sécurité sociale - un signe révélateur au Brésil que quelqu'un vole l'argent public et essaie de le dissimuler.

Son cas est emblématique des sommes considérables qui, selon les experts, ont été subtilisées dans le deuxième pays le plus touché au monde par la pandémie (3,6 millions de cas, 115.000 morts), en raison d'une maladie endémique bien plus ancienne: la corruption.

Le Brésil a une longue histoire de scandales de dessous-de-table et de pots-de-vin. Mais ces derniers semblent avoir atteint des sommets depuis le début de l'épidémie dans le pays.

En avril, l'État de l'Amazonas aurait ainsi acheté des respirateurs à un prix outrageusement gonflé à un négociant de vin. Le gouverneur de Rio de Janeiro, Wilson Witzel, fait face à une procédure de destitution pour des soupçons d'irrégularités dans le contrat passé avec l'État pour la construction de sept hôpitaux de campagne, dont cinq n'ont jamais ouvert, parmi lesquels celui où était censée travailler Ingrid dos Santos.

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Mardi, le secrétaire à la Santé de Brasilia, Francisco Araujo, a été arrêté, soupçonné d'avoir reçu des dessous de table à l'occasion de l'achat de kits de test.

Au total, 11 États sur les 27 que compte ce pays fédéral de 212 millions d'habitants sont touchés par des affaires de corruption.

"Où est passé l'argent ? Personne ne le sait", déplore auprès de l'AFP Ingrid dos Santos qui affirme qu'un millier de ses collègues se trouvent dans la même situation qu'elle. "Tout ce que nous savons, c'est qu'au bout du compte, les personnes qui travaillent en première ligne sont oubliées", raconte cette mère de deux enfants.

"Voleurs en cravate"

Selon les experts, la corruption à grande échelle a profité de la situation créée par l'épidémie de Covid-19.

Alors que les autorités luttaient pour acheter des ventilateurs, des lits de réanimation, des masques et des produits désinfectants, le Parlement a adopté une loi autorisant tous les niveaux de gouvernement à effectuer des achats d'urgence sans appels d'offres ni les formalités administratives habituelles.

De nombreux pays durement touchés par le virus ont pris des mesures similaires. Mais au Brésil, alors que le président d'extrême droite Jair Bolsonaro minimisait l'épidémie, les États et les communes ont dû se débrouiller seuls.

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"Toutes ces entités publiques étaient en compétition les unes avec les autres pour acheter les mêmes choses. C'est beaucoup plus facile de surveiller les contrats d'une énorme entité publique que de 5.000 collectivités", explique Guilherme France, du bureau brésilien de l'ONG Transparency International.

"Le manque total de coordination par le gouvernement fédéral a vraiment fait grimper le risque de corruption", ajoute-t-il.

Sur les 286,5 milliards de reais (44 milliards d'euros) de dépenses fédérales pour la pandémie, moins de 8% sont allés directement à la lutte contre la maladie, selon la Cour fédérale des comptes (TCU).

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Surveiller où va l'argent est un travail "intense", explique à l'AFP un responsable de la TCU, Paulo Wiechers. Selon lui, il faudra six mois après la fin de l'épidémie pour tracer les circuits pris par les fonds et savoir combien ont été détournés - les premières estimations se comptent en milliards.

Sans compter le risque que des accusations soient utilisées à des fins politiques.

"Certaines accusations de corruption sont utilisées de manière ciblée par le président Bolsonaro et ses partisans contre ses ennemis politiques, en particulier le gouverneur de Sao Paulo, Joao Doria, et le gouverneur de Rio, Wilson Witzel, des candidats potentiels à la présidence en 2022", souligne le politologue Geraldo Monteiro de l'université de l'État de Rio.

Ingrid dos Santos, elle, est écoeurée. Être infirmière était son rêve d'enfant, mais les "voleurs en cravate" l'ont découragée. Elle se dit prête à chercher un autre emploi.

Commentaires 2
à écrit le 26/08/2020 à 23:52
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En France l'extrême droite, c'est le clan LePen. Même ripolinee, l'extrême droite ça reste de l'extrême droite. Marron et Noir.

à écrit le 26/08/2020 à 11:04
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"Certaines accusations de corruption sont utilisées de manière ciblée par le président Bolsonaro et ses partisans contre ses ennemis politiques" Oui mais c'est un problème inhérent à la corruption généralisée, les uns utilisant les mêmes ficelles...

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