Dans l'expression "transition énergétique", le mot le plus important est "transition". Or, la flambée actuelle des prix de l'énergie à travers le monde rappelle que cette transition n'est pas un long fleuve tranquille. Comme le souligne une nouvelle fois l'Agence internationale de l'énergie (AIE) dans son panorama annuel sur l'état de l'énergie dans le monde, cette situation est d'abord le résultat d'un manque d'investissements dans les sources d'énergie propre face à l'urgence climatique, mais aussi d'une baisse trop rapide des investissements dans les énergies fossiles, dont il faut rappeler qu'elles comptent encore à ce jour pour près de 80% de l'énergie consommée dans le monde. En résumé, les gouvernements ne vont pas assez vite d'un côté, mais trop vite de l'autre, par absence d'une politique volontariste et correctement calibrée, avec des conséquences qui pourraient se révéler beaucoup plus chères in fine.
Nous ne sommes pas encore entrés dans la période hivernale
D'ores et déjà, le coût élevé de l'énergie pèse sur les entreprises et les ménages, alors que nous ne sommes pas encore entrés en Europe dans la période hivernale, où la consommation liée au chauffage va augmenter.
Si l'on prend le cas du pétrole, la demande mondiale a augmenté de 6,1% en 2021, et devrait progresser encore de 3,4% en 2022, pour atteindre 99,6 millions de barils par jour (mbj), selon le dernier rapport mensuel de l'AIE. Un niveau qui se rapproche de celui de l'avant pandémie en 2019. L'offre disponible est montée à 96 mbj en septembre, et devrait encore augmenter pour atteindre 98 mbj d'ici la fin de l'année. Mais cela risque d'être insuffisant pour faire baisser les cours, qui tournent aujourd'hui autour de 80 dollars le baril. Dans ce cas, tout dépendra de la politique de production qui sera décidée par l'Opep+ (qui intègre notamment la Russie).
Substitution au gaz naturel
Cette hausse de la demande pétrolière est notamment soutenue par sa substitution au gaz naturel devenu trop cher pour produire de l'électricité. Les experts de l'AIE estiment ces nouveaux besoins à 500.000 barils par jour entre septembre 2021 et la fin du premier trimestre 2022. Ainsi, pour le seul dernier trimestre 2021, la demande de pétrole de la Chine pour produire de l'électricité exige 100.000 barils par jour supplémentaires, celle de l'Inde 90.000 barils par jour, celle du Japon 70.000 barils par jour, tout comme celle du Brésil. Pour la France, ce seront un peu plus de 10.000 barils par jour.
Or, cette nouvelle donne met en évidence la grande difficulté à apporter des réponses rapides après plusieurs années de désinvestissement dans un secteur où la mise en production se compte en années.
Ainsi, Rystad Energy, un cabinet d'intelligence économique spécialisé dans l'énergie, rappelle que les dépenses mondiales pour la seule exploration pétrolière et gazière, hors schiste, se sont élevées en moyenne à environ 100 milliards de dollars par an sur la période comprise entre 2010 à 2015, mais elles sont tombées à quelque 50 milliards de dollars en moyenne dans les années qui ont suivi la chute des prix du brut.
L'AIE, de son côté, a calculé que l'investissement mondial total dans le pétrole et le gaz cette année sera en baisse d'environ 26% par rapport aux niveaux d'avant la pandémie, à 356 milliards de dollars. Il devrait rester à ce niveau durant la prochaine décennie, avant de baisser davantage, pour espérer atteindre l'objectif de l'accord de Paris, qui vise à maintenir la hausse de la température sous la limite de +1,5°C par rapport à celle de l'époque pré-industrielle.
La Chine doit investir 125 milliards de dollars dans le pétrole
A elle seule, la Chine doit investir 125 milliards de dollars dans le secteur du pétrole et du gaz pour subvenir à ses besoins d'ici 2025, notamment pour être moins dépendante de ses importations. Elle devra forer quelque 118.000 puits, selon Rystad Energy.
L'enjeu est colossal d'autant que, dans le même temps, il faut développer les énergies qui n'émettent que faiblement des gaz à effet de serre (GES). "Le monde n'investit pas suffisamment pour répondre aux futurs besoins énergétiques, et les incertitudes sur les politiques et les trajectoires de la demande créent un risque élevé d'une période instable à l'avenir pour les marchés de l'énergie", avertit le rapport annuel de l'AIE.
Pour répondre à la demande énergétique mondiale, ainsi qu'aux aspirations climatiques, les investissements dans les énergies propres devraient passer d'environ 1.100 milliards de dollars cette année à 3.400 milliards de dollars par an jusqu'en 2030 dont une large part pour faire progresser la technologie, développer les réseaux et améliorer les solutions de stockage, considère l'AIE.
Or, comme le rappelle son directeur exécutif, Fatih Birol :
"Certains investissements vont contribuer sans équivoque à réduire les émissions, d'autres vont au contraire les augmenter. Mais l'idée que tous les investissements dans le secteur de l'énergie se répartissent clairement entre "propres" et "sales" ne résiste pas au face aux réalités de la transition énergétique".
Aussi, opposer les énergies propres -dont l'énergie nucléaire- aux énergies fossiles comme le font nombre de responsables politiques aujourd'hui relève de l'exercice stérile car, comme le montrent les tensions actuelles sur les prix de l'énergie, c'est le meilleur moyen de rendre encore plus difficile la transition énergétique.