Les arbres ne grimpent pas jusqu'au ciel, le charbon oui  !

OPINION. L'Agence internationale de l'énergie (AIE) a jeté un froid, il y a quelques jours, en publiant son rapport sur l'état du monde « charbon ». Sa consommation et sa production, qui atteindra 8 milliards de tonnes en 2022, crèvent tous les plafonds. Jamais un tel niveau n'avait été atteint. Par Charles Cuvelliez et Patrick Claessens, Ecole Polytechnique de Bruxelles, Université de Bruxelles.
Le terminal charbon du port de Lianyungang, dans la province chinoise du Jiangsu.
Le terminal charbon du port de Lianyungang, dans la province chinoise du Jiangsu. (Crédits : Reuters)

Bien sûr, l'explosion du prix du gaz a provoqué ce qu'on appelle le fuel switch, c'est-à-dire la conversion d'un type d'énergie fossile vers un autre partout où c'était possible. Et pourtant sans des prix du charbon qui sont aussi restés hauts (le dollar n'a pas arrangé les choses), couplés au déploiement des sources d'énergie renouvelables et au ralentissement économique, c'eût pu être pire. Il suffit de penser que la Chine, engluée dans sa politique zéro-Covid, qui a impacté son économie, compte pour 53 % de la consommation mondiale. Hélas, les vagues de chaleur en Chine ont comblé en partie ce ralentissement par une explosion de la demande d'air conditionné. La consommation de charbon utilisé pour produire de l'électricité est à l'origine de tout : + 2 % en 2022 du fait de la faible disponibilité de l'énergie hydraulique et des barrages en Chine.

En août 2022, la production d'électricité à base de charbon, a atteint 500 TWh en augmentation de 15 % par rapport à août 2021. Le charbon, c'est tout simplement la base même de la production électrique en Chine et en Inde : le gaz y est peu présent. Les prix élevés du gaz ont non seulement eu peu d'impact sur ces pays mais l'Inde s'est payé le luxe de le remplacer par du charbon où c'était possible. Ils ont ensuite vendu leur gaz au plus offrant.

Augmentation de la consommation en Europe

L'Europe n'est pas en reste dans la croissance de l'usage du charbon pour produire de l'électricité. La production de charbon y avait déjà augmenté de 10 % en 2021 pour faire face au redressement économique post-Covid. Elle croitra encore de 7 % en 2022, à cause cette fois de de la crise de l'énergie. L'Allemagne qui est le plus gros producteur de charbon a encore monté de 18 % sa production de charbon (lignite) en 2021. Plusieurs États membres ont rouvert des centrales à charbon. Rien qu'en Allemagne, c'est 10 GW à base de charbon qui sont revenus sur le réseau, à peu près l'équivalent de 10 centrales nucléaires. L'AIE a toutefois l'espoir que ce rebond du charbon en Europe ne durera que jusqu'en 2024 du fait de l'extension du renouvelable et des efforts d'efficacité dans l'utilisation de l'énergie.

Cela s'arrêtera-t-il un jour ?

D'après l'AIE, ce niveau record jamais atteint de 8 milliards de tonnes de charbon pourrait rester stable sur plusieurs années mais cette triste situation dépend de beaucoup de variables : l'activité économique globale, les conditions météo, le prix des autres sources d'énergie fossiles et les politiques gouvernementales. Ne fût-ce que pour la production d'électricité, la Chine compte pour 30 % de la consommation mondiale de charbon. L'AIE espère tout au plus, pour la Chine, une croissance annuelle peu élevée à 0,7 % par an jusqu'en 2025 grâce à un déploiement sans précédent des énergies renouvelables là aussi. Et de parler d'une augmentation de la production de renouvelable sur 2022-2025 de 1.000 TWh (deux fois la production correspondant au pic d'électricité à base de charbon du moins d'août 2022, remettons les pendules à l'heure!). En Europe aussi, où le renouvelable est déployé à tout crin, l'utilisation du charbon est heureusement appelée à décliner rapidement à l'horizon 2025. Espérons-le, comme l'AIE ... mais il faudra que les réseaux électriques suivent, de même que les capacités de stockage pour remédier à l'intermittence !

Le mur du charbon dépend de l'Inde et de la Chine

Mais on ne passera pas le mur du charbon sans l'aide de la Chine et de l'Inde, quoiqu'on veuille : ils sont les plus gros consommateurs, les plus gros producteurs et les plus gros importateurs. Et tout est bon pour importer moins et réduire leur dépendance énergétique, même en charbon ! En mars 2022, la Chine a atteint le maximum de production jamais vu et sur toute l'année 2022, elle devrait avoir produit 8 % de plus de charbon. Le gouvernement indien essaie aussi de réduire ses importations en produisant le plus possible : la production indienne a atteint 800 millions de tonnes en 2022 et espère arriver à 1 milliard de tonnes en 2025. Seule la Russie a diminué sa production car elle ne peut plus l'écouler du fait des sanctions : les chemins de fer ne peuvent pas l'exporter et les capacités portuaires, au nord-ouest de la Russie, ne peuvent pas envoyer davantage leurs bateaux vers l'Asie. Sur les ports de la Baltique, le prix du charbon russe a enregistré un discount de 41 % en mars et jusqu'à 73% en septembre. Qu'à cela ne tienne, d'autres pays ont déjà pris sa place : l'Afrique du Sud, la Colombie, la Tanzanie et le Botswana. Même l'Indonésie, qui avait banni les exportations de charbon au début 2022 de peur d'en manquer, en exporte à nouveau. Seuls les Etats-Unis, c'est étonnant, n'arrivent pas, pour le charbon du moins, à combler le vide russe : trop d'investissement, pas assez de main d'œuvre et goulot d'étranglement pour le transport.

Les prix du charbon se sont calmés depuis le pic de l'été, le début de la guerre en Ukraine et l'Indonésie qui avait stoppé ses exportations en janvier 2022. La crainte d'en manquer a diminué depuis. Pour la période 2022-2025, l'AIE s'attend à une consommation stable de charbon pour autre chose que produire de l'électricité (production de ciment, chauffage). La demande de charbon à des fins métallurgiques va aussi rester stable jusqu'en 2025 (la demande va diminuer en Europe, au Japon, Russie et Chine mais augmentera en Inde, et Asie du Sud Est).

Investissements en berne

Et pourtant, malgré ces chiffres plus que florissants, c'est la seule note positive, l'appétit des investisseurs pour plus d'extraction du charbon reste en berne à l'exception de la Chine et de l'Inde qui veulent réduire leur dépendance en charbon importé. La pression des opinions publiques en faveur de l'ESG est passée par là. Les projets d'extraction de charbon à des fins métallurgiques restent le seul focus des investisseurs car il n'y a pas d'alternative viable comme l'hydrogène pour la production d'acier.

Avec  les accroissements post-Covid et post-invasion de l'Ukraine, on dépasse aujourd'hui allègrement les 10.000 TWh d'électricité produite par le charbon par an et c'est parti au moins jusqu'en 2025 : c'est donc 30 milliards de tonnes de CO2 additionnels dans l'atmosphère qui nous éloignent toujours plus de l'objectif de 1,5 ° c de réchauffement climatique.

Des ordres de grandeurs valent mieux que des grands discours.

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Pour en savoir plus : Coal 2022, Analysis and forecast to 2025, Agence Internationale pour l'énergie December 2022

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Commentaires 2
à écrit le 21/12/2022 à 11:16
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L'alternative au charbon étant le nucléaire, le monde serait-il vraiment plus sûr avec la Chine,l'inde, le Pakistan etc aux manettes de dizaines de nouvelles centrales nucléaires high tech low cost fournies par le camarade Xi (ou Vlad) ?

à écrit le 21/12/2022 à 10:57
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Et à part ça, les dirigeants européens ont mis en place le projet "Fit for 55" pour 2030, mais oui, on y croit

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