Enquête sur les ingérences étrangères : la France prise pour cible

Les opérations de manipulation sur les réseaux sociaux se succèdent. Elles portent sur des sujets très sensibles comme l’antisémitisme et les Jeux olympiques, ou à fort pouvoir viral comme... les punaises de lit. Des attaques qui viennent en particulier de Russie et d’Azerbaïdjan.
Vu sur les réseaux sociaux: un mur de la capitale, un pochoir, deux mains, une kalachnikov, le logo des JO de Munich en 1972 et celui de Paris 2024. L’insinuation est claire.
Vu sur les réseaux sociaux: un mur de la capitale, un pochoir, deux mains, une kalachnikov, le logo des JO de Munich en 1972 et celui de Paris 2024. L’insinuation est claire. (Crédits : © J.-F. ROLLINGER/ONLYPARIS.NET)

Paris 20ème, rue du Commandant l'Herminier. Au milieu des tags amateurs dessinés à la bombe sur un mur vierge, un pochoir aux traits fins détonne. On y voit deux mains, l'une tendant une kalachnikov à l'autre, prête à la prendre. Sous la main qui donne l'arme, le logo des JO de Munich en 1972 ; sous l'autre, le logo de Paris 2024. L'objectif est clair, insinuer que l'attentat terroriste qui avait coûté la vie à 11 athlètes israéliens à Munich pourrait se reproduire à Paris cinquante-deux ans plus tard.

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Sauf qu'en ce jeudi matin rue du Commandant-l'Herminier, si les tags amateurs sont toujours là, aucune trace du pochoir, ni sur le mur ni dans les souvenirs des riverains. Ces pochoirs ont-ils réellement existé ou a-t-on affaire à des photomontages diffusés sur Internet ? Peu importe. Depuis plusieurs jours, des photos de ces tags circulent sur les réseaux sociaux, elles sont partagées massivement notamment sur X par des comptes avec très peu d'abonnés. Dans la même veine, une vidéo circule sur les mêmes types de comptes, mettant en scène des archives des attentats de 1972 avec pour dernier message : « No time for games [ce n'est pas le moment pour les Jeux] - Paris 2024 ». « Ce procédé ressemble en tout point à une campagne de déstabilisation numérique avec la France prise pour cible, explique Nicolas Quénel, auteur d'Allô, Paris ? Ici Moscou (Denoël) et spécialiste de l'ingérence numérique. Lorsqu'on regarde les premiers profils qui partagent ces photos et la vidéo, on peut penser que ça vient de Russie, ils ne partagent que du contenu anti-ukrainien. »

Commanditaire moldave

Vladimir Soloviev, vedette de la télé russe et propagandiste du Kremlin, les a lui aussi partagées sur son compte Telegram, suivi par près de 1,3 million de personnes. « L'objectif, c'est de mettre de l'huile sur le feu, de s'immiscer dans le débat public, mais pour cela il faut qu'il y ait déjà un départ de feu. » La sécurité des Jeux olympiques en France est un sujet sensible, les auteurs de la manipulation ne s'y trompent pas.

Autre point délicat ciblé par la désinformation étrangère : l'antisémitisme. Dans la nuit du 30 au 31 octobre, des étoiles de David sont dessinées sur plusieurs immeubles parisiens habités par des Juifs. Au matin, le pays se réveille groggy, les médias s'enflamment, toute autre piste que celle de l'acte antisémite est exclue. Si la résurgence des actes antisémites est une réalité depuis les attaques terroristes du 7 octobre, cette opération-là ressemble bien à une manipulation. L'huile sur le feu, encore. Six jours après la découverte des tags, la piste de l'ingérence russe est finalement privilégiée par les enquêteurs. Un couple de Moldaves est arrêté puis expulsé et le commanditaire présumé de l'opération, Anatoli Prizenko, un homme d'affaires moldave prorusse, débusqué. Contacté par La Tribune Dimanche, il ne nie pas être à l'origine de l'opération mais conteste toute volonté antisémite. « C'était justement pour protéger les Juifs et montrer qu'ils ne devaient pas se cacher, affirme-t-il. Nous avons organisé ça avec une association, Bouclier de David, une conférence de presse aura lieu prochainement. » Après quelques recherches, l'association reste inconnue au bataillon. Les accointances prorusses du commanditaire moldave permettent-elles d'imaginer remonter un jour jusqu'à Moscou ? « C'est impossible de faire un lien direct avec le Kremlin ; tout ce dont on est sûr dans ces opérations, c'est que le narratif va toujours dans le sens des autorités russes », détaille Nicolas Quénel. Dans un communiqué, le Quai d'Orsay a par ailleurs condamné l'amplification sur les réseaux et la primodiffusion des photos des étoiles de David par des bots russes : « Cette nouvelle opération d'ingérence numérique russe contre la France témoigne de la persistance d'une stratégie opportuniste et irresponsable visant à exploiter les crises internationales pour semer la confusion et à créer des tensions dans le débat public en France et en Europe. »

C'est impossible de faire un lien direct avec le Kremlin ; ce dont on est sûr, c'est que le narratif va toujours dans le sens des autorités russes

Nicolas Quénel, auteur

Depuis plusieurs mois, les autorités occidentales sont parvenues à dessiner les méthodes de ce système de propagande appelé RRN (Recent Reliable News : nouvelles récentes fiables) : des comptes qui partagent massivement des contenus dans toutes les langues sur tous les réseaux, et la diffusion de fausses captures d'écran de vrais médias. Cette méthode-là a été utilisée dans le cas des punaises de lit à la rentrée. Sur de très nombreuses chaînes Telegram russes, des images de faux articles du Figaro et de La Montagne étaient partagées des millions de fois. Leur contenu : la France est envahie par les punaises de lit apportées par les réfugiés ukrainiens.

De l'huile sur le feu

En France, cette fausse information est vite démasquée mais elle cartonne en Russie. « Les plateaux télé russes ont été inondés de ces histoires de punaises de lit pendant des semaines », raconte Denis Kataev, journaliste russe réfugié à Paris. Même Vladimir Poutine finira par s'en amuser publiquement. « Derrière ces campagnes numériques, il y a aussi un objectif en matière de politique intérieure. Vous montrez une image déplorable de l'Occident avec une invasion de punaises de lit et les Russes se disent qu'ils ne sont finalement pas plus mal chez eux, où il n'y en a pas. »

Pour protéger le débat public numérique en France, l'État a lancé en 2021 Viginum, un service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères. Composé d'une quarantaine d'agents (ingénieurs en data et experts en géopolitique), il a pour objectif de déceler les tentatives de déstabilisation et de remonter jusqu'à la source de la désinformation. Cette semaine, Viginum a mis le doigt sur une ingérence venant d'acteurs proches du pouvoir azerbaïdjanais, après la publication d'une vidéo relative, elle aussi, aux Jeux olympiques de 2024. Cette vidéo, publiée au mois de juillet, voit alterner des plans sur des athlètes puis des images de violences policières à Paris ; on aperçoit également un court extrait du moment où le jeune Nahel a été tué. L'huile sur le feu, toujours. Sur la dernière image, on voit le logo de Paris 2024 et la question : « Où sont les droits de l'homme ? »

En quelques semaines, cette vidéo est vue des millions de fois, partagée par des députés français et européens (dont Aymeric Caron et Julien Bayou, qui l'ont supprimée depuis ; Gilbert Collard, lui, l'a laissée en ligne). Viginum est remonté jusqu'au premier compte X ayant diffusé la vidéo, il est au nom d'un homme politique azerbaïdjanais, un baron local du parti présidentiel, un dénommé Muxtar Nagiyev. La Tribune Dimanche est parvenue à joindre l'assistant de M. Nagiyev, Fuad Heydar. Il affirme être le créateur et le premier diffuseur de la vidéo avec le hashtag boycott-paris2024 : « Je voulais montrer au monde que la France n'a rien à voir avec une démocratie, que c'est une dictature qui soutient les dictatures », écrit-il par WhatsApp à La Tribune Dimanche, entre autres réponses déconcertantes.

Entre Paris et Bakou, Les relations diplomatiques sont glaciales depuis plusieurs mois, l'Azerbaïdjan reprochant à la France de soutenir l'Arménie dans le conflit qui les oppose dans le Haut-Karabakh. Fuad Heydar se définit comme un homme politique indépendant du pouvoir (il est pourtant adhérent du parti présidentiel, comme son patron) : « Quand il s'agit de défendre sa patrie, on n'a besoin de recevoir d'ordre de personne, c'est moi qui ai pris l'initiative de cette vidéo », explique-t-il. Très présent sur les différents réseaux sociaux, il met en avant de nombreuses photos de lui en compagnie du président azerbaïdjanais Ilham Aliyev. Sur ses méthodes, il reste très évasif : « La vérité se diffuse rapidement. »

L'Azerbaïdjan nous a tendu la main, nous la saisissons, cela nous fait une tribune

Jean-Jacob Bicep, président de l'Union populaire pour la libération de la Guadeloupe

Colonialisme à l'ordre du jour

Quand il n'est pas sur Internet, Fuad Heydar participe à des colloques ou à des conférences. Ces derniers mois, la France a été au cœur de ses préoccupations puisqu'en octobre il assistait à une table ronde réunissant tous les partis indépendantistes des DOM-TOM français. « Nous avons été invités en marge des réunions des pays des non-alignés dont l'Azerbaïdjan avait la présidence », explique Francis Carole, le président du Parti pour la libération de la Martinique.

L'ordre du jour des réunions : le colonialisme français. « On sait ce qui se passe au niveau géopolitique, reprend le leader martiniquais, on sait qu'on ne nous a pas invités pour nos beaux yeux, tout le monde à des intentions. » Jean-Jacob Bicep, président de l'Union populaire pour la libération de la Guadeloupe, abonde : « L'Azerbaïdjan nous a tendu la main, nous la saisissons, cela nous fait une tribune. Je suis indépendantiste ; l'État français, ce n'est pas mon problème. » Une autre réunion avait eu lieu quelques mois plus tôt, en juillet, avec les mêmes acteurs et toujours en Azerbaïdjan. Depuis la Martinique, difficile d'imaginer deux voyages en moins de quatre mois à Bakou et à moindres frais. « L'État azerbaïdjanais a pris en charge une partie des déplacements », confesse Francis Carole, qui est resté deux fois trois jours sur place.

Le Guyanais Jean-Victor Castor, lui aussi du voyage en juillet, affirme ne pas savoir qui a payé : « Je ne m'occupe pas de ces choses-là. » Le problème, c'est que lui est député à l'Assemblée nationale depuis 2022 - il siège au sein du groupe GDR, associé à la Nupes - et que toutes les invitations doivent être déclarées auprès du déontologue du Palais-Bourbon : « Vous me l'apprenez », répond-il un peu gêné. Le 20 octobre, tous ont été reçus par le président du Parlement azerbaïdjanais avant d'écouter le discours inaugural du président Aliyev : « L'Azerbaïdjan est profondément préoccupé par le colonialisme actuel et ses manifestations résurgentes. Certains pays continuent de poursuivre le colonialisme, et le premier d'entre eux, c'est la France. » Une attaque frontale envers l'Hexagone devant des partis qui veulent s'en détacher. Jean-Jacob Bicep savoure : « L'Azerbaïdjan comprend la situation de la Guadeloupe. » Mais jusqu'où peut aller cette collaboration entre les partis indépendantistes d'outremer et l'Azerbaïdjan ? « Continuez à suivre l'actualité politique, vous verrez bien. »

Commentaires 10
à écrit le 19/11/2023 à 17:54
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L'ingérence sur les réseaux sociaux n'est que la partie émergée de l'iceberg. L'ingérence la plus pernicieuse se déroule dans notre tissu économique, en substituant des cadres française par des étrangers dès lors que les titres de nos entreprises son...

le 19/11/2023 à 17:58
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@PAFO Bien vu 👍👏

le 20/11/2023 à 10:50
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et qui nomme les dirigeants étranger en France si non par le sommet de l'état mais chose troublante pas dans les secteurs ou il serais indispensable comme la Sncf d'avoir une vision soit helvétique ou japonaise de la ponctualité

à écrit le 19/11/2023 à 14:35
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Le seul fait d'appartenir à une coalisation européenne et à l'OTAN, c'est autoriser l'ingérence et s'en plaindre n'est qu'enfumer le peuple souverain ! ;-)

le 19/11/2023 à 18:01
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@Bah. Pas faux. La mondialisation heureuse...qu'ils disaient...avec pour corollaire la perte de souveraineté😉

à écrit le 19/11/2023 à 14:07
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Devant le flot "d'informations" dont il est difficile de connaître le fond réel de vérité, la bonne méthode est de revenir à des idées simples. La démocratie (même imparfaite ) vaut mieux tout autre modèle. La Chine et la Russie sont des dictature...

à écrit le 19/11/2023 à 11:45
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Sur qu avec l’ apprentissage aux Antilles du code colonial a l école ça bourre bien les crânes .. on va retirer tout le pognon que la France met dans ces îles. Tous les emplois de fonctionnaires, les infrastructures, l immobilier , le rsa , leur r...

à écrit le 19/11/2023 à 11:45
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Sur qu avec l’ apprentissage aux Antilles du code colonial a l école ça bourre bien les crânes .. on va retirer tout le pognon que la France met dans ces îles. Tous les emplois de fonctionnaires, les infrastructures, l immobilier , le rsa , leur r...

à écrit le 19/11/2023 à 11:42
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Sur qu avec l’ apprentissage aux Antilles du code colonial a l école ça bourre bien les crânes .. on va retirer tout le pognon que la France met dans ces îles. Tous les emplois de fonctionnaires, les infrastructures, l immobilier , le rsa , de hé ...

à écrit le 19/11/2023 à 9:12
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C'est un sacré bon placement politico-stratégique que d'avoir des employés qui 100ù du temps le passent sur des réseaux sociaux et autres forums surtout avec des médias de masse chaque jour un peu plus discrédités du fait de la propagande qu'on leur ...

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