Évasion de Carlos Ghosn : ce que l'on sait (ou pas) de son exfiltration du Japon vers le Liban

Par Pierre Donadieu, AFP  |   |  1105  mots
Photo prise le 25 avril 2019 de l'ancien président de l'alliance Renault-Nissan, Carlos Ghosn, à sa sortie du centre pénitentiaire de Tokyo. (Crédits : Reuters)
Qui a organisé l'opération, comment s'est-elle déroulée, avec quelles complicités... les circonstances exactes de la fuite de l'ancien grand patron de l'alliance Renault-Nissan, alors qu'il était en résidence surveillée au Japon où il était accusé de graves malversations financières, sont encore loin d'être élucidées. Quatre jours après cette évasion rocambolesque, voici ce que l'on en sait.

Perquisitions à Tokyo, interpellations en Turquie, demande d'arrestation d'Interpol, conférence de presse à Beyrouth: trois jours après la révélation de sa rocambolesque fuite au Liban, voici ce que l'on sait de la situation de Carlos Ghosn.

Une fuite qui passe par la Turquie, où les autorités enquêtent

Les circonstances exactes de son départ du Japon, où il était accusé de malversations financières, sont loin d'être élucidées. Le parcours, lui, semble établi: entre le Japon et le Liban, Carlos Ghosn a fait escale à Istanbul. Selon l'agence de presse DHA, le ministère de l'Intérieur turc s'intéresse particulièrement à deux vols passés par la capitale économique turque, lundi matin.

Un jet privé en provenance d'Osaka au Japon a atterri à 05H15 (02H15 GMT) à l'aéroport Atatürk, utilisé par les avions transportant des marchandises et pour des vols privés, puis s'est rangé dans un hangar.

Quarante-cinq minutes plus tard, un autre jet privé, un Bombardier Challenger 300 immatriculé TC-RZA, a décollé du même aéroport. "Destination Beyrouth", a déclaré le pilote dans un enregistrement des échanges avec la tour de contrôle, obtenu par les enquêteurs.

Quelles complicités ?

Reste la question des diverses complicités dont aurait pu bénéficier Carlos Ghosn et notamment la façon dont il a pu quitter le Japon où il se trouvait en résidence surveillée dans l'attente de son procès.

Jeudi, dans une déclaration écrite, Carlos Ghosn a assuré avoir organisé "seul" son départ, sans la participation de sa famille et notamment de son épouse.

Par ailleurs, des images de vidéosurveillance l'ont montré quittant seul son domicile tokyoïte dimanche 30 décembre vers midi, sans présence suspecte à ses côtés, ont révélé vendredi des médias japonais en citant des sources proches de l'enquête.

Quatre passeports et beaucoup d'inconnues

Les autorités japonaises n'ont pas de données informatiques indiquant que Carlos Ghosn, facilement reconnaissable, se serait présenté sous sa réelle identité aux contrôles aux frontières du Japon avant son départ, dans aucun des aéroports du pays.

Il est soupçonné d'avoir employé un moyen illégal de sortie du territoire, soit sous une fausse identité ou en échappant aux contrôles, selon la chaîne publique japonaise NHK.

Ses trois passeports (français, libanais, brésilien) étaient conservés par ses avocats japonais, pour limiter les risques de fuite. Mais, selon une source proche du dossier, une autorisation exceptionnelle du tribunal lui permettait de conserver un deuxième passeport français sur lui dans un étui fermé par un code secret, connu de ses seuls avocats.

Au Japon, des perquisitions ont eu lieu à son domicile provisoire afin d'exploiter notamment les images des caméras de surveillance.

Les autorités turques ont interpellé jeudi sept personnes soupçonnées de l'avoir aidé pendant son transit.

Il est finalement entré "légalement" au Liban, avec un passeport français et un carte d'identité libanaise, selon une source à la présidence.

Le Liban refusera l'extradition

Le Liban a reçu une demande d'arrestation d'Interpol pour le magnat déchu de l'automobile.

Côté libanais, le message est clair. Selon la Sûreté générale, rien n'impose "l'adoption de procédures à l'encontre de M. Ghosn" ni ne l'expose "à des poursuites judiciaires".

Le ministère de la Justice a rappelé l'absence "d'accord d'extradition entre le Liban et le Japon".

Le Liban, comme la France d'ailleurs, n'extrade pas ses ressortissants nationaux et il est donc très improbable de voir Carlos Ghosn retourner au Japon.

Il y fait l'objet de quatre inculpations, deux pour des revenus différés non déclarés aux autorités boursières par Nissan (qui est aussi poursuivi sur ce volet), et deux autres pour abus de confiance aggravé.

Une fois la stupeur de ce départ surprise passée, la question de la tenue de son procès devrait rapidement se poser.

Carlos Ghosn est par ailleurs la cible d'autres enquêtes en France sur le financement de son mariage dans le château de Versailles en 2016 et sur des "abus de bien sociaux" ainsi que des faits de "corruption".

Sa fuite ne devrait cependant pas avoir de conséquences sur ces enquêtes.

Des avocats au Liban ont également demandé au parquet général d'entamer des poursuites contre Carlos Ghosn pour un déplacement en Israël en 2008, pays voisin où les ressortissants libanais n'ont pas le droit de se rendre.

Une conférence de presse très attendue

Actuellement à Beyrouth, avec sa femme, dans un endroit inconnu, Carlos Ghosn prépare sa riposte.

Dès lundi, il a indiqué qu'il comptait parler "librement" aux médias dans les jours à venir.

Cette conférence de presse qui doit avoir lieu dans la capitale libanaise est très attendue et devrait permettre de connaître les intentions futures de l'ex-patron de Renault et Nissan.

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