Comme d'autres produits de base, le prix de l'acier a atteint en Europe un niveau historique. Le cours de la bobine d'acier laminé à chaud s'est affiché lundi dans la journée à 1.400 dollars la tonne sur le marché au comptant, conséquence des incertitudes liées à l'évolution de la guerre en Ukraine.
L'Union européenne (UE) a en effet intégré le 15 mars l'interdiction des importations d'acier russe dans une nouvelle liste de sanctions à l'égard de Moscou, qui devrait lui faire perdre "environ 3 milliards d'euros de revenus", indique le communiqué de la Commission, qui précise que "des quotas d'importation supplémentaires seront attribués à des pays tiers pour (les) compenser".
Le premier site sidérurgique européen bombardé
Dans le même temps, l'armée russe a bombardé dimanche le site sidérurgique d'Azovstal, l'un des plus importants en Europe, situé à Marioupol, ont affirmé des députés ukrainiens. L'usine est la propriété du groupe Metinvest, contrôlé par l'un des hommes les plus riches d'Ukraine, Rinat Akhmetov. Selon le directeur du site, elle avait été mise à l'arrêt, peu après le début de l'invasion.
Metinvest est l'un des plus importants groupes sidérurgistes européens avec l'allemand ThyssenKrupp. C'est un groupe intégré : il maîtrise toute la chaîne de valeur: des mines de fer et de charbon coke (mélangé à la ferraille pour le transformer en acier) jusqu'à la production d'aciers finis et semi-finis. Selon son dernier rapport annuel, Metinvest a produit 8,4 millions de tonnes d'acier brut en 2020, mais aussi 30,5 millions de tonnes de concentré de minerai de fer, et 2,9 millions de tonnes de charbon coke.
85% de Russie, d'Ukraine et de Biélorussie vers l'UE
Son arrêt provisoire va également peser sur le secteur de l'acier européen, le deuxième du monde. "Sur les 8,39 millions de tonnes d'acier semi-fini importées dans l'UE et au Royaume-Uni, au cours des onze premiers mois de l'année dernière, plus de 85% provenaient de Russie, d'Ukraine et de Biélorussie", soulignait récemment le cabinet d'études britannique spécialisé sur le marché de l'acier, MPES International.
D'autant que les marchés sidérurgiques sont concentrés géographiquement. Selon les chiffres d'Eurofer, l'association européenne des producteurs d'acier, l'Asie dominait largement avec 73,9% de la production mondiale d'acier en 2020 (dont 57,7% pour la seule Chine), suivie par l'Europe 15,2% (7,6% pour l'Union européenne) et 5,5% pour l'Amérique du nord.
Car la guerre en Ukraine va avoir un impact non seulement sur la demande européenne d'acier mais aussi sur sa production. D'ores et déjà, comme d'autres secteurs, la sidérurgie va subir l'envolée des prix de l'énergie, alors même que le gaz, le pétrole et le charbon continuent à être achetés - et payés - par les pays européens, à laquelle il faut ajouter le renchérissement du prix des ferrailles, du minerai de fer, du charbon coke.
MPES International, évaluant les conséquences de l'invasion, soulignait récemment que le prix de la ferraille importée de Turquie avait augmenté de 30%, en raison de la réduction des disponibilités de fonte brute en provenance de la CEI (Confédération des Etats indépendants, qui regroupe d'anciennes républiques de l'ex-URSS, mais que l'Ukraine a quitté depuis comme nombre d'autres Etats). Le cabinet souligne également que la Russie étant un important fournisseur de charbon coke pour les sidérurgistes européens, sa raréfaction va peser sur les prix. Car même s'il n'y a pas encore eu de sanctions officielles à l'égard des importations de charbon russe, les sidérurgistes européens cherchent déjà des alternatives pour prendre leurs distances avec l'offre russe. "Thyssenkrupp AG a suspendu ses prévisions pour l'ensemble de l'année concernant le flux de trésorerie disponible avant fusions et acquisitions, citant l'impact de l'invasion de l'Ukraine par la Russie sur les prix des matières premières, affectant principalement ses activités d'acier et de fourniture automobile", a souligné John Plassard, économiste chez Mirabaud.
Tensions à venir sur le marché du fer
Quant au minerai de fer, il pourrait lui aussi voir son marché à nouveau sous tension. Les prix s'étaient hissés à un record de près de 213 dollars la tonne en juillet 2021 avant de chuter pour évoluer ce lundi à 145 dollars la tonne sur le marché chinois. "Les mineurs russes et ukrainiens occupent les 5e et 7e places en termes de production mondiale de minerai de fer. La valeur du minerai de fer a augmenté d'environ 20 dollars la tonne depuis le début de la guerre. Cependant, les évolutions de son prix restent dominées par la dynamique de l'offre et de la demande entre la Chine et l'Australie. Alors que l'Australie reste le principal pays exportateur de minerai de fer, la possibilité d'une reprise de la production d'acier en Chine, le plus grand consommateur de minerai de fer, pourrait limiter la capacité des sidérurgistes européens à trouver des sources alternatives", alertent les experts du MPES.
Enfin, il y a la hausse des coûts de fret maritime qui devrait exercer une pression supplémentaire, en raison de la flambée des prix du pétrole, mais aussi par la diminution des destinations, les compagnies maritimes se préparant elles aussi à réduire aussi l'acheminement des matières premières en provenance de pays sanctionnés.