Face à l'offensive militaire russe menée depuis plus de dix jours, l'Ukraine a décidé de limiter ses exportations a indiqué ce lundi 7 mars l'agence de presse Interfax Ukraine, citant une décision des autorités. Selon un décret publié la veille au soir, une licence décernée par les autorités est désormais nécessaire pour exporter le blé, la viande de volaille, les œufs, l'huile de tournesol. Des quotas ont également été introduits pour l'exportation de bétail, de viande de bétail, de sel, sucre, avoine, sarrasin, seigle, millet.
Au niveau mondial, l'invasion russe en cours perturbe les exportations et menace les cours des produits agricoles, la Russie et l'Ukraine étant deux pays majeurs dans l'approvisionnement de matières premières agricoles. Ils représentent par exemple à eux deux 30% des exportations mondiales de blé et d'orge.
Ces graves perturbations des exportations, couplées à celles liées à la production, risquent d'entraîner une hausse des prix des denrées alimentaires qui sont déjà à un niveau record, selon le Programme alimentaire mondial (PAM), une agence de Nations unies basée à Rome.
D'autres pays pourraient instaurer des quotas
Avant l'annonce des décisions ukrainiennes sur les exportations, d'autres pays producteurs de céréales, comme l'Argentine et la Bulgarie, avaient déjà indiqué leur volonté de « contrôler les prix » et d'endiguer l'inflation sur leur marché intérieur, ce qui laisse craindre la mise en place de freins à l'exportation.
La situation s'annonce donc critique pour les pays ultra-dépendants des importations pour nourrir leur population, comme l'Egypte. 500.000 tonnes de blé devaient être chargées vers ce pays qui va devoir « les trouver ailleurs », a commenté Michel Portier, directeur du cabinet Agritel. Dans une note, ce cabinet souligne une demande « inédite » en blé en livraison rapprochée, « les acheteurs devant faire face à des défauts de livraisons » pour les cargaisons venues de la mer Noire. L'Egypte, qui disposerait d' « officiellement quatre mois » de stocks d'après Michel Portier « va devoir puiser dans ses réserves ». Quant à l'Algérie, qui a 1,5 million de tonnes de blé à trouver, le pays « se tourne à nouveau vers l'origine française ». « Le stock de report français va fondre comme neige au soleil », estime Michel Portier.
« Plus aucun chargeur ne met un bateau sur la mer Noire », même s'il y en a un peu sur la Roumanie, d'après Michel Portier, estimant qu' « à court terme, il faut enlever la Russie et l'Ukraine des exportateurs ».
Concernant le maïs, l'Ukraine, qui en produit normalement 40 millions de tonnes chaque année, sera-t-elle en mesure de semer le mois prochain ? « Gros doute », répond Michel Portier, qui s'attend « à une poursuite de la hausse des cours » pour les prochains jours.
Des prix record et des pics peut-être pas encore atteints
Les cours du blé meunier et du maïs n'ont en effet cessé de connaître des flambées la semaine dernière sur le marché européen. Vendredi 4 mars, la séance a été marquée par une extrême volatilité, avec des pics inédits du blé et du maïs à respectivement 426 et 420 euros la tonne sur l'échéance de mars, la plus rapprochée.
Sur Euronext, le cours du maïs s'est finalement stabilisé à la clôture, en baisse de 29 euros, à 350 euros la tonne sur l'échéance de mars. Le prix du blé tendre était lui en hausse de 14,50 euros à 393,75 euros la tonne sur cette même échéance. Or, le cours du blé s'élevait à 170 euros la tonne il y a deux ans et à 180 euros la tonne en 2021, rappelle Christophe Richardot, directeur général de l'Alliance BFC et de Dijon Céréales, dans une interview à La Tribune. « Nous n'avons peut-être pas atteint le pic », prévient-il d'ailleurs, indiquant que « les prix variaient de 3 à 4 euros par jour il y a deux ans, aujourd'hui il n'est pas rare d'observer des variations de 20 à 50 euros ».
Un avis partagé par Damien Vercambre, du cabinet Inter-Courtage. « Quand on voit comment les Ukrainiens réagissent et se battent, on voit bien que ce conflit risque de durer et c'est ça qui déclenche ces achats ». Et d'ajouter : « La différence de demande (avec l'offre) va durer ».
Risque de famine aggravée dans le monde
L'interruption de la production et des exportations ukrainiennes fait par ailleurs naître le risque d'une crise alimentaire dans les régions affectées par la guerre en Ukraine et contre des risques de famine aggravée dans le monde d'après le Programme alimentaire mondial (PAM).
À un moment « où le monde est déjà confronté à un niveau sans précédent de famine, il est particulièrement tragique de voir la faim apparaître dans (un pays) qui a depuis longtemps été le grenier de l'Europe », s'est alarmé son directeur, David Beasley. Et d'ajouter : « Les balles et les bombes en Ukraine peuvent amener la crise alimentaire mondiale à des niveaux jamais vus auparavant ».
Le PAM a mis en place des centres dans les pays frontaliers de l'Ukraine pour participer à la livraison de produits alimentaires en Ukraine et à l'aide aux réfugiés. Ses informations font état de « graves pénuries » de nourriture et d'eau à Kiev et à Kharkiv (est de l'Ukraine).
Le prix des denrées alimentaires pourraient encore grimper. « Cela érodera la sécurité alimentaire de millions de personnes », notamment celles qui sont déjà au bord de la famine à « cause des hauts niveau de l'inflation des prix des aliments dans leur pays », s'inquiète le PAM.
(Avec AFP)