« Les changements de note n'ont aucun impact sur la dette des grandes économies » (Sylvain Bersinger, économiste)

L'agence de notation Fitch a abaissé la note de la dette publique américaine d'AAA à AA+, invoquant les tensions politique à Washington sur le relèvement du plafond de la dette et la gestion budgétaire du pays. La secrétaire américaine au Trésor, Janet Yellen, a rapidement fustigé une décision « arbitraire » et « fondée sur des données datées ». Cette dégradation, une première depuis 2011, peut-elle faire vaciller l'économie américaine ? Eléments de réponse avec l'économiste Sylvain Bersinger, du cabinet Asterès.
Sylvain Bersinger, chef économiste du cabinet Asterès.
Sylvain Bersinger, chef économiste du cabinet Asterès. (Crédits : DR)

LA TRIBUNE - La dégradation de la note de la dette américaine d'AAA à AA+ par Fitch vous paraît-elle logique ?

SYLVAIN BERSINGER - C'est une décision plutôt inattendue. Comme de nombreux analystes, je ne m'y attendais pas. Est-ce pour autant logique ? Je dirais que non. Les arguments de Fitch mettent en avant les blocages entre républicains et démocrates sur le relèvement du plafond de la dette. On peut se demander pourquoi cette dégradation n'est pas intervenue plus tôt, par exemple, il y a une dizaine d'années lorsqu'il y avait déjà des blocages sur le plafond de la dette.

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Quels critères justifient cette dégradation ?

Deux éléments ont changé dans le paysage économique par rapport à la dernière décennie. Les ratios de dette publique en fonction du PIB ont explosé aux Etats-Unis et en Europe, et surtout, les affrontements entre républicains et démocrates à Washington vont en s'aggravant. Pour ces raisons, Fitch a peut-être considéré qu'il était pertinent de dégrader la note des Etats-Unis. Cela me paraît malgré tout être une décision au « doigt mouillé », difficile à fonder sur des critères chiffrés. Comment mettre des chiffres sur un climat de tensions politiques ? Le problème n'est, en tout cas, pas économique. De ce point de vue, l'économie américaine va plutôt bien : le chômage est historiquement bas, la croissance se maintient, l'inflation recule.

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Quels risques pèsent désormais sur l'économie et les finances des Etats-Unis ?

Le principal risque serait une flambée des taux souverains américains, ce qui reste peu probable et ne se réalise pas pour l'instant. Lorsque l'agence S&P avait dégradé la note des Etats-Unis d' AAA à AA+ en 2011, rien ne s'était passé sur les taux. Les changements de note n'ont aucun impact sur la dette des grandes économies développées telles que la France ou le Japon. Des pays plus petits en crise peuvent éventuellement en souffrir, comme la Grèce au début des années 2010. Là aussi, la dégradation de la Grèce était peut-être plus une conséquence de la crise politique grecque que sa cause. Les notes ne servent pas à grand-chose si elles n'influent pas sur les taux. En matière d'emprunt public, seules deux questions se posent : les investisseurs consentent-ils à prêter à l'Etat ? Si oui, à quel taux ?

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La puissance des Etats-Unis, notamment économique, rend-elle le pays moins moins vulnérable aux notes des agences ?

La théorie voudrait que la dette des Etats-Unis, avec le dollar comme monnaie de réserve, la première armée du monde... soit moins vulnérable aux décisions des agences. Ce « privilège exorbitant », pour paraphraser Valéry Giscard d'Estaing, ne se voit pas dans les faits. Lorsque l'on compare les taux d'emprunt américains aux pays européens, occidentaux comme l'Australie ou le Royaume-Uni, on ne voit pas vraiment de différence.

La dégradation de Fitch peut-elle amener Joe Biden à revoir sa politique de réindustrialisation par des subventions massives ?

Il n'est jamais agréable de subir une dégradation. Pourtant, il n'y a pas de raison que Joe Biden modifie sa politique économique. Une dégradation, ce sont deux économistes qui, après avoir travaillé sérieusement, changent d'avis dans un bureau. Je serais étonné que la première puissance du monde change sa politique en fonction de ça.

Commentaires 3
à écrit le 04/08/2023 à 7:32
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les degradations de note sont en effet en general largement anticipees, donc c'est effectivement un non evenement........maintenant que yellen, qui a largement participe a semer le bazar explique que c'est injuste, ca fait sourire

à écrit le 03/08/2023 à 8:05
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Si les changements de notation n'ont aucun impact sur la dette des grands pays, on se demande bien pourquoi La Tribune en parle et pourquoi Janet Yellen réagit avec tant d'agacement ... Simplement ridicule...

à écrit le 02/08/2023 à 19:45
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Les États-Unis avaient prédit une vente de dette quasi record de 1 000 milliards de dollars au trimestre en cours (contre 733 milliards de dollars prévus précédemment) et 852 milliards de dollars au cours du trimestre d'octobre à décembre, des chiffr...

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