Depuis près de deux ans, c'est l'un des sujets brûlants de la diplomatie turque, et celui-ci a connu un dénouement positif dans la soirée de ce mardi. Le parlement turc a finalement ratifié l'adhésion de la Suède à l'Otan, à 287 voix pour et 55 contre. « Aujourd'hui, nous avons fait un pas de plus vers l'adhésion à part entière à l'OTAN », s'est réjoui dans la foulée le Premier ministre suédois, Ulf Kristersson, dans un post sur le réseau social X.
Pour espérer devenir le 32è membre de l'alliance atlantique, la Suède doit désormais convaincre la Hongrie, dernier pays réfractaire à son adhésion. Un défi qui sera, a priori, plus facile, au regard des nombreux points de blocage que le pays scandinave a dû surmonter en négociant avec le président turc Erdogan, connu pour sa pugnacité et son habilité politique.
Pourquoi un tel blocage d'Ankara depuis toutes ces années ? Quelles étapes ont été franchies pour adoucir la position turque ? Quels sont les réels enjeux de cette adhésion pour la Turquie et la Suède ? Éléments de réponse en six points.
1. Une demande d'adhésion à l'Otan déclenchée par la guerre en Ukraine
Alors que la Suède a toujours préféré conserver une voix neutre de l'Europe dans sa politique de défense, le déclenchement de la guerre en Ukraine, en février 2022, a radicalement changé sa position. Inquiète de la menace grandissante de la Russie, et notamment de l'agenda politique de son président Vladimir Poutine, le pays dépose finalement sa candidature à l'Otan en mai 2022. Une demande qu'elle effectue de concert avec son voisin et alliée de longue date, la Finlande.
Si la plupart des pays membres de l'Alliance atlantique, dont les Etats-Unis, au poids diplomatique certain, se disent favorables aux deux candidatures, du côté de la Turquie, le refus est, à cette époque, là catégorique. Ce, malgré plusieurs tentatives de médiation de la part de membres éminents de l'alliance, comme les Etats-Unis ou l'Allemagne, partenaire européen commercial et diplomatique proche de la Turquie. Après un an de tractation, le président Erdogan ratifiera finalement l'entrée de la Finlande en avril 2023... mais pas la Suède.
2. L'adhésion à l'Union européenne comme premier moyen de pression
« Ouvrez d'abord la voie à l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne et, ensuite, nous ouvrirons la voie à la Suède, tout comme nous avons ouvert la voie à la Finlande », c'est ce qu'a déclaré le président turc, Erdogan, à la veille de l'ouverture du sommet annuel de l'Otan à Vilnius en Lituanie, le 10 juillet 2023. Ce n'est pas la première fois que le dirigeant brandit cet argument comme monnaie d'échange diplomatique.
Pour rappel, la première demande d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, espace économique et politique dont elle est géographiquement proche, date de 1987. Au fil des décennies, cet argumentaire a été utilisé à l'occasion de différentes crises, la dernière, notable, est celle des réfugiés fuyant la Syrie en guerre à partir de 2011. La Turquie est le pays de la zone qui en a accueilli le plus, 2,7 millions environ.
3. Les réfugiés kurdes en Suède, le vrai point de tension
Mais dans le cas de la candidature de la Suède, un autre sujet froisse davantage Ankara : la politique trop clémente de la Suède vis-à-vis des réfugiés kurdes sur son sol, dont certains sont des militants du parti travailliste Kurde (PKK) et donc des « terroristes » pour le pouvoir turc. « Les pays scandinaves sont des refuges pour les organisations terroristes », avait même lancé le président devant son Parlement au mois de décembre.
Pour tenter d'assouplir la Turquie, le Parlement suédois a voté un amendement constitutionnel en mai 2023, qui durcit l'encadrement de la liberté d'association dans le pays, notamment lorsqu'un groupe soutient, voire finance, des actions considérées comme « terroristes ». Ce qui permettrait de poursuivre certains membres du parti travailliste Kurde (PKK), présents sur le sol suédois.
D'ailleurs, en juillet dernier un tribunal suédois a condamné un Turc d'origine kurde à quatre ans et demi de prison pour « extorsion » et « tentative de financement terroriste » au profit du PKK. Une décision de justice inédite pour le pays scandinave et à laquelle avait réagi favorablement Fuat Oktay, député AKP et président de la Commission des affaires étrangères du Parlement turc. « Nous observons un changement dans la politique de la Suède, quelques décisions adoptées par les tribunaux » avait-il déclaré à la chaîne privée turque NTV .
Cependant, ces efforts ne sont pas suffisants pour Recep Tayyip Erdoğan qui souhaite que la Suède extrade dix ressortissants turcs, considérés comme des très proches du PKK, mais aussi du prédicateur religieux et opposant politique turc Fethullah Gülen. Ce que la Suède a refusé jusque-là.
4. Les F16 américain, nouveau desiderata du président turc
En habile et imprévisible diplomate en chef de son pays, le président de la République de Turquie fait évoluer ses demandes au gré des mois et de ses besoins politiques, mais aussi militaires. En décembre dernier, le président de la République a ainsi ajouté comme condition à la ratification d'Ankara celle, « simultanée », par le Congrès américain de la vente d'avions de chasse F-16, dont elle a besoin pour moderniser sa force aérienne.
Le gouvernement américain n'est pas hostile à cette vente, mais le Congrès l'a bloquée jusqu'ici pour des raisons politiques, notamment les tensions avec la Grèce (également membre de l'Otan), dont Ankara s'est toutefois récemment rapproché. Erdogan s'est aussi entretenu le mois dernier par téléphone avec le président américain Joe Biden, qui a fait valoir que la Turquie pourrait obtenir l'approbation requise du Congrès en cas de la ratification de l'adhésion de la Suède à l'Otan. A noter également, Ankara a exigé que le Canada autorise la vente à la Turquie d'un composant optique utilisé dans la fabrication de drones de combat.
5. Décembre 2023 : le début d'un dénouement
Constatant les efforts de la Suède et après de nombreuses tractations diplomatiques à l'ombre des caméras et conférences de presse officielles, la candidature de la Suède a finalement été approuvée au sein de la commission des Affaires étrangères du Parlement turc. Ce avec le soutien politique du président Erdogan et de son parti, l'AKP. Reste donc à savoir ce que votera le Parlement turc dans son ensemble cette semaine.
Régissant à cette avancée, Vedant Patel, porte-parole adjoint du département d'État a déclaré auprès de l'AFP ce mardi : « Nous n'avons pas mâché nos mots pour dire à quel point nous sommes prêts à ce que la Suède rejoigne officiellement l'alliance. ». Et d'ajouter : « Nous estimons depuis longtemps que la Suède a respecté son engagement et nous attendons avec impatience que ce processus aille de l'avant. »
6. La Hongrie, le dernier verrou à débloquer
L'approbation de la Hongrie est la dernière porte à franchir par la Suède pour entrer dans l'alliance atlantique. Opposée dès le début à cette possibilité, pendant des mois la Hongrie a traîné des pieds sur ce processus d'adhésion. À plusieurs reprises, Budapest a appelé Stockholm à cesser sa politique de « dénigrement » et ses remarques régulières sur l'exécutif Orban accusé de dérive autoritaire. La Hongrie est en droit « d'exiger d'abord le respect de la Suède » avant de « se préparer à prendre une décision positive », avait ainsi justifié il y a quelques mois le président hongrois.
Mais un geste politique positif est finalement intervenu pas plus tard que ce mardi : le Premier ministre hongrois, Viktor Orban, a convié son homologue suédois à Budapest pour tenter de résoudre les différends barrant la ratification par son pays de l'adhésion du pays nordique à l'Otan. « J'ai envoyé aujourd'hui une lettre au Premier ministre Ulf Kristersson pour l'inviter en Hongrie afin de discuter de l'entrée de la Suède dans l'Alliance atlantique », a ainsi écrit le dirigeant populiste et conservateur hongrois, sur le réseau social X. Mais la perspective d'un dialogue constructif est encore loin d'être gagnée. Le ministre suédois des Affaires étrangères a en effet répondu à l'invitation de manière sèche, affirmant que son pays n'avait « pas de raison » de négocier actuellement avec la Hongrie.
(Avec AFP)