Report de la présidentielle au Sénégal : les autorités interdisent une manifestation

Sept jours après le vote du report de l'élection présidentielle, les tensions sont au plus haut entre la population et le gouvernement en place. Ce mardi, l'exécutif a annoncé plusieurs mesures pour contenir la population, tandis que l'ONU se dit « profondément préoccupée » par la crise en cours.
La président Macky Sall va se maintenir au pouvoir jusqu'à l'élection qui aura lieu en décembre 2024.
La président Macky Sall va se maintenir au pouvoir jusqu'à l'élection qui aura lieu en décembre 2024. (Crédits : Annegret Hilse)

La crise politique empire au Sénégal. Les autorités ont interdit ce mardi une marche de la société civile sénégalaise qui devait avoir lieu à Dakar contre le report du scrutin présidentiel. Une décision qui a amené les organisateurs à reporter la manifestation, ont indiqué dans la foulée quatre d'entre eux à l'AFP. Pour rappel, le Sénégal est en proie à l'une de ses plus graves crises politiques des dernières décennies depuis que le président Macky Sall a annoncé le report de la présidentielle le 3 février, à trois semaines de l'échéance.

« Nous allons reporter la marche car nous voulons rester dans la légalité. La marche a été interdite. C'est un problème d'itinéraire. Donc nous allons changer cela », a annoncé Malick Diop, un coordinateur du collectif Aar Sunu Election (« Protégeons notre élection ») qui avait appelé à manifester.

Ce jeune collectif, qui revendique plusieurs dizaines d'organisations syndicales et de groupes citoyens et religieux, appelait les Sénégalais à se rassembler massivement pour une marche silencieuse à partir de 16h (heure de Paris) dans un quartier proche du centre de la capitale. Mais la préfecture a interdit la manifestation parce qu'elle « risque de perturber gravement » la circulation, affirme une lettre officielle publiée sur les réseaux sociaux et que des représentants du collectif ont confirmé avoir reçue

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Le gouvernement coupe internet

Dans la même optique, ce mardi, les autorités ont aussi suspendu l'accès à internet sur les mobiles dans le pays a indiqué le gouvernement sénégalais.

« En raison de la diffusion sur les réseaux sociaux de plusieurs messages haineux subversifs qui ont déjà provoqué des manifestations violentes, (...) l'internet des données mobiles est suspendu ce mardi 13 février », a indiqué dans un communiqué le ministère de la Communication, des Télécommunications et du Numérique.

Vendredi, une contestation d'ampleur a été réprimée par les forces de sécurité. Trois personnes ont été tuées. De nombreux Sénégalais avaient voulu répondre à un appel (aux auteurs non identifiés) diffusé sur les réseaux sociaux, mais ont finalement été empêchés par les policiers et les gendarmes qui ont usé de la force.

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Un report d'élection très contesté

A l'origine de ces mouvements sociaux : le report du scrutin au 15 décembre 2024, initialement prévu le 25 février, voté mardi 6 février par l'Assemblée nationale, avec pour conséquence le prolongement du mandat de l'actuel président Macky Sall.

Le jour de ce vote, l'accès aux données mobiles avait déjà été bloqué alors que l'opposition avait dénoncé un « coup d'État constitutionnel ». Les candidats à l'élection présidentielle ont fait part de leur intention de poursuivre la campagne. Ils ont appelé les syndicats et les chefs religieux à « une convergence de toutes les forces vives de la nation ».

L'Assemblée nationale, en plus du report de l'élection, a aussi voté le maintien de l'actuel président au pouvoir jusqu'à la prise de fonctions de son successeur. Après avoir entretenu le doute pendant des mois, celui-ci a répété à différentes reprises l'engagement pris en 2023 de ne pas se représenter. Le report de la présidentielle est néanmoins perçu par l'opposition comme une manigance pour éviter la défaite du candidat du camp présidentiel, voire pour maintenir le président Sall à la tête du pays encore plusieurs années, ce qu'il dément. Ce dernier a notamment déclaré vouloir engager un processus « d'apaisement et de réconciliation ».

L'ONU, la Cedeao et les Etats-Unis inquiets

Car face à une telle crise qui continue de prendre de l'ampleur, la scène internationale n'a pas tardé à réagir. La réponse des autorités aux récentes tentatives de mobilisation, l'usage de la force, les arrestations, les mauvais traitements subis par un certain nombre de journalistes selon les organisations de presse, la suspension de l'internet des données mobiles et la coupure pendant quelques jours du signal d'une télévision critique du pouvoir ont attiré de nouvelles critiques. Le Haut-Commissariat de l'ONU aux droits de l'homme s'est dit mardi « profondément préoccupé », dénonçant un « recours inutile et disproportionné à la force contre les manifestants et des restrictions de l'espace civique ».

« Au moins trois jeunes hommes ont été tués pendant les manifestations et au moins 266 personnes auraient été arrêtées dans tout le pays, y compris des journalistes », a déclaré une porte-parole, Liz Throssell, lors d'un point de presse à Genève. Des enquêtes « doivent être menées rapidement, de manière approfondie et indépendante, et les responsables doivent être amenés à rendre des comptes », a-t-elle ajouté.

La porte-parole a souligné qu'« il est essentiel que les autorités ordonnent sans équivoque aux forces de sécurité de respecter et de garantir les droits humains y compris les droits à la liberté d'expression, d'association et de réunion pacifique ».

Avant l'ONU, la Communauté des Etats ouest-africains (Cedeao) a demandé le 6 février au Sénégal de rétablir « de toute urgence » le calendrier de la présidentielle. L'Union européenne, s'alignant sur la Cedeao, a à son tour appelé à revenir à l'échéance du 25 février. Un autre allié, les Etats-Unis, a aussi jugé illégitime le vote ajournant l'élection.

Les partenaires du Sénégal ont exprimé leur inquiétude devant le risque de troubles, mais aussi devant le coup porté à la pratique démocratique dont ce pays est volontiers cité comme un exemple dans une région où se succèdent les putschs et les faits accomplis. « Nous entendons bien ce message », leur a répondu le 7 février depuis le Nigeria le ministre des Affaires étrangères Ismaïla Madior Fall à la télévision française France 24, « mais nous privilégions aujourd'hui la logique politique interne ».

(Avec AFP)

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