Déjà avant l'invasion russe en Ukraine, l'insécurité alimentaire s'était accentuée dans le monde en raison des conflits, des crises climatiques et économiques. La guerre menée par la Russie a empiré encore la situation, les deux pays assurant à eux seuls 30% du commerce mondial de blé. Pire, la hausse des prix et les pénuries font planer un risque de famine et de troubles sociaux en particulier dans les pays les plus pauvres.
C'est pourquoi le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, a appelé ce mercredi 18 mai la Russie à libérer les exportations de céréales ukrainiennes afin de pouvoir lutter efficacement contre la crise alimentaire mondiale.
« La Russie doit permettre l'exportation sûre et sécurisée des céréales stockées dans les ports ukrainiens », a-t-il exhorté lors d'une réunion ministérielle organisée à New York par les États-Unis. « Des voies de transport alternatives » à la sortie maritime de ces céréales, remplissant notamment des silos à Odessa, « peuvent être explorées - même si nous savons que cela ne suffira pas à résoudre le problème », a-t-il ajouté.
Libérer aussi les engrais russes
Parallèlement au déblocage des exportations ukrainiennes, le chef de l'ONU plaide pour « un accès sans restriction » de la nourriture et des engrais russes aux marchés mondiaux. Ces engrais n'ont pas été frappés par les sanctions occidentales contre Moscou après l'invasion le 24 février de l'Ukraine, mais la Russie a décidé d'arrêter leurs exportations. Leur achat par des pays étrangers peut par ailleurs être bloqué par les mesures prises contre le système financier russe, selon des diplomates.
Antonio Guterres négocie sur ces deux sujets depuis plusieurs semaines avec la Russie, l'Ukraine, les États-Unis, l'Union européenne et la Turquie, qui peut apporter son concours au déminage près des ports ukrainiens et garantir les déplacements de navires. « J'ai bon espoir, mais il reste encore du chemin à parcourir. Les implications sécuritaires, économiques et financières complexes exigent de la bonne volonté de toutes les parties », a-t-il déclaré, refusant d'en dire plus pour ne pas compromettre les chances d'un accord.
30 milliards de dollars contre l'insécurité alimentaire
De leurs côtés, les institutions financières internationales ont lancé mercredi un "plan d'actions" avec des projets concrets pour accélérer les programmes existant, « cibler les travaux répondant aux besoins immédiats ». La Banque mondiale a ainsi annoncé l'octroi de 12 milliards de dollars au cours des quinze prochains mois dont la majorité ira aux pays d'Afrique, du Moyen-Orient, d'Europe de l'Est et d'Asie centrale et du Sud, a précisé l'institution.
Cette enveloppe doit soutenir en particulier des projets en faveur de l'agriculture de ces pays, de « la protection sociale pour amortir les effets de la hausse des prix des denrées alimentaires », et favoriser des projets d'approvisionnement en eau et d'irrigation, a expliqué l'institution. Elle a aussi annoncé qu'elle disposait de 18,7 milliards de dollars non utilisés qui vont être également dédiés aux projets.
« Au total, cela représente plus de 30 milliards de dollars disponibles pour la mise en œuvre de la lutte contre l'insécurité alimentaire au cours des 15 prochains mois », a relevé la Banque mondiale.
Et son président David Malpass d'ajouter : « La hausse des prix alimentaires a des effets dévastateurs sur les plus pauvres et les plus vulnérables. Pour informer et stabiliser les marchés, il est essentiel que les pays fassent maintenant des déclarations claires sur les futures augmentations de production en réponse à l'invasion de l'Ukraine par la Russie ».
Il recommande aux pays de faire « des efforts concertés » non seulement pour augmenter l'approvisionnement en énergie et en engrais, aider les agriculteurs à augmenter les plantations et les rendements des cultures, mais encore pour « supprimer les politiques qui bloquent les exportations et les importations (...) ou encouragent le stockage inutile ».
À New York, le secrétaire d'État américain Antony Blinken, qui présidait lui-même la réunion ministérielle consacrée à la crise alimentaire, a souligné l'engagement des États-Unis à lutter contre la famine et la malnutrition. Washington a débloqué « 215 millions de dollars supplémentaires » pour la lutte contre l'insécurité alimentaire, a-t-il précisé.
De l'argent, mais aussi de l'aide technique
Outre des financements, les institutions financières internationales ont indiqué qu'elles pouvaient mettre à profit leur savoir-faire technique. « Il s'agit notamment de tirer parti des outils et programmes existants de manière accélérée (...), de réorienter les programmes actuels, (...) de cibler les travaux qui répondent aux besoins immédiats », ont-elles expliqué dans un communiqué.
Parmi leurs objectifs prioritaires : atténuer les pénuries d'engrais, soutenir la production alimentaire immédiatement, investir dans une agriculture résiliente au changement climatique pour l'avenir ou encore promouvoir le libre-échange.
Avant même la guerre en Ukraine, l'insécurité alimentaire avait été aggravée par les conflits, les crises climatiques et les crises économiques. L'an passé, 193 millions de personnes dans 53 pays se trouvaient en situation d'insécurité alimentaire aiguë, c'est-à-dire qu'elles ont eu besoin d'une aide urgente pour survivre, selon les données de l'ONU.
L'embargo indien, menace supplémentaire
Et l'inquiétude grandit alors que l'Inde entend interdire ses exportations de blé pour assurer la sécurité alimentaire de ses 1,4 milliard d'habitants, après un déclin de la production en raison de la chaleur extrême et d'une hausse des cours, conséquence de la guerre en Ukraine, qui complique l'approvisionnement sur le marché mondial. Deuxième producteur mondial de blé, l'Inde a ordonné samedi 14 mai aux négociants de blé de ne pas conclure de nouveaux accords d'exportation sans l'approbation préalable du gouvernement. Les contrats d'exportation conclus avant le décret pourront par contre être honorés.
L'annonce soudaine a provoqué le chaos au Deendayal Port Trust (DPT) dans l'État occidental du Gujarat, où quelque 4.000 camions chargés de blé étaient bloqués mardi. Quatre navires partiellement chargés de quelque 80.000 tonnes de blé attendent aussi de pouvoir partir.
Jusque-là, l'Inde avait exprimé sa disposition à soutenir les marchés mondiaux en cas de problèmes d'approvisionnements provoqués par l'invasion de l'Ukraine en février, qui comptait pour 12% des exportations mondiales. Les ministres de l'Agriculture du G7 ont aussitôt critiqué la décision indienne, craignant de voir s' « aggraver la crise » des matières premières. Le cours du blé a battu un nouveau record de hausse lundi à l'ouverture du marché européen, à 435 euros la tonne.
(Avec AFP)