Importations : la dépendance alimentaire de la France dévore 9 millions d'hectares à l'étranger

A la recherche de sa souveraineté alimentaire, la France importe aujourd'hui massivement des produits agricoles étrangers, pour satisfaire sa consommation d'aliments et d'autres biens. Mais les produits importés sont souvent cultivés dans des pays où les contraintes environnementales et sociales sont inférieures, voire où la déforestation est un véritable fléau.
Giulietta Gamberini
Parmi les produits les plus largement importés, beaucoup de fruits et légumes, des légumineuses, des protéagineux destinés surtout à l'alimentation du bétail, de l'huile d'olive, des viandes, mais aussi du bois pour fabriquer du papier ou des meubles, du caoutchouc pour les pneus, du coton pour les vêtements, des céréales ainsi que l'huile de palme et de soja pour les carburants, des plantes pour les produits cosmétiques.
Parmi les produits les plus largement importés, beaucoup de fruits et légumes, des légumineuses, des protéagineux destinés surtout à l'alimentation du bétail, de l'huile d'olive, des viandes, mais aussi du bois pour fabriquer du papier ou des meubles, du caoutchouc pour les pneus, du coton pour les vêtements, des céréales ainsi que l'huile de palme et de soja pour les carburants, des plantes pour les produits cosmétiques. (Crédits : Antara Foto Agency)

Face à la pandémie d'abord, puis au bouleversement du marché alimentaire mondial causé par la guerre en Ukraine, le gouvernement, mais aussi l'ensemble des candidats à la présidentielle, à l'unisson des principaux syndicats agricoles, n'ont eu cesse de le répéter : la France doit atteindre la souveraineté alimentaire. Elle doit même exploiter au maximum la fertilité de ses terres et la douceur de son climat pour assurer une "mission nourricière" mondiale, pensent certains.

Aujourd'hui, toutefois, le pays est loin d'être indépendant. Malgré un "excédent commercial agro-alimentaire" de 6 milliards d'euros en 2020, la France est largement dépendante des importations d'un large nombre de produits agricoles, nécessaires non seulement pour l'alimentation, mais aussi pour d'autres biens largement consommés par les Français: le bois pour fabriquer du papier ou des meubles, le caoutchouc pour les pneus, le coton pour les vêtements, des céréales ainsi que l'huile de palme et de soja pour les carburants, des plantes pour les produits cosmétiques. Une dépendance qui nécessite l'utilisation à l'étranger de 14 millions d'hectares de terres forestières et cultivées: l'équivalent d'environ un quart de l'Hexagone, calcule une étude publiée mardi par Solagro, cabinet de conseil spécialisé dans l'agroécologie, qui a analysé la période entre 2010 et 2016.

Les importations des produits agricoles sans le bois, elles, représentent 10 millions d'hectares, l'équivalent d'un tiers de la surface agricole utile française. 9,1 millions d'hectares sont nécessaires pour les importations des seuls produits alimentaires.

Des flux qui pèsent lourdement sur l'environnement

Ces chiffres montrent l'ampleur non seulement de la dépendance de la France d'autres pays, mais également des échanges qui se cachent derrière l'"l'excédent commercial agro-alimentaire" dont annuellement se targue le pays, note Solagro. Ainsi, en 2015, cet excédent, de 9,3 milliards d'euros, correspondait au solde entre 60,1 milliards d'exportations -portées par les céréales, les vins et les spiritueux, les eaux minérales et les produits laitiers- et 50,8 milliards d'importations.

En surfaces, entre 2010 et 2016, et hors produits du bois, la France était exportatrice nette de 2,7 millions d'hectares, représentant 9% de sa surface agricole utile: un solde positif modeste, et résultant de la différence entre 12,7 millions d'hectares destinés aux exportations et 10 millions d'hectares destinés aux importations.

Or, ces flux pèsent lourdement sur l'environnement.

Le transport des denrées agricoles importées comme exportées par la France "représentent 13 millions de tonnes d'équivalent CO2 qui ne sont pas comptabilisées dans les émissions nationales de 445 millions de tonnes en 2018. Cela ajouterait 3% à nos émissions", note Solagro.

Les produits importés sont en outre souvent cultivés dans des pays où les contraintes environnementales et sociales sont moindres qu'en France, voire où la déforestation est un véritable fléau.

Des facteurs économiques rendant les  importations moins chères

Pourtant, en dehors des produits tropicaux et des agrumes, nombre d'aliments importés pourraient aussi être cultivés en France: c'est le cas de beaucoup de fruits et légumes, de légumineuses, de protéagineux destinés surtout à l'alimentation du bétail, de l'huile d'olive et des viandes. Leur importation dépend surtout de facteurs économiques, tels que le coût de la main-d'œuvre, les autres contraintes de production ainsi que des frais de transport peu élevés, qui rendent plus intéressant de les importer.

Pour que ces flux se réorientent, "ce sont donc les conditions économiques qui doivent changer", analyse l'auteur du rapport, Philippe Pointereau. L'inflation des prix de l'énergie, par exemple, pourrait renchérir significativement les coûts du transport international, jusqu'à présent très peu cher et non taxé, en poussant à des relocalisations de la production, espère-t-il. De même pour les ruptures d'approvisionnement de certains produits, pouvant encourager la recherche de produits de substitution locaux.

Une transition possible dans les vingt prochaines années

La réglementation, au niveau national, européen ou local, peut aussi jouer un rôle, si soutenue par une véritable volonté politique face à l'enjeu de la réciprocité des accords commerciaux. Le levier de l'information des consommateurs sur l'origine et la saisonnalité des produits serait notamment particulièrement efficace, considère Philippe Pointereau.

"En agissant production par production, il serait possible de réduire les flux de moitié", estime l'expert, pour qui "on peut penser une telle transition dans les vingt prochaines années".

"Il est possible d'alimenter les élevages avec autre chose que du soja, qui au Brésil est directement responsable de la déforestation des forêts tropicales", note-t-il par exemple.

"Et sous la pression de l'opinion publique, le gouvernement peut parfois prendre des décisions très rapides", souligne-t-il, en évoquant l'interdiction de l'huile de palme dans les agrocarburants à partir de 2020, et de l'huile de soja à partir de 2022.

Lire: Quand boire un café en Europe contribue à la déforestation : Bruxelles veut cesser la "déforestation importée"

Choisir en connaissance de la provenance des biens

Toutefois, "il ne s'agit pas d'arrêter toute consommation de produits d'importation, ce qui serait catastrophique pour de nombreux pays parmi les plus pauvres. Il s'agit de faire des choix de consommation en parfaite connaissance de la provenance des biens considérés et des conditions environnementales et sociales de leur production et commercialisation", précise José Tissier, président du collectif Commerce Équitable France, cité dans la préface du rapport.

L'enjeu est également de corriger les flux les plus aberrants, tels que l'envoi de veaux pour les engraisser en Italie, pour ensuite importer des carcasses de vaches, note Philippe Pointereau.

"Il faut aussi à la fois améliorer les conditions de production en France et favoriser les produits du commerce équitable", ajoute l'expert, en rappelant que "les consommateurs devront payer le juste prix".

Giulietta Gamberini

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Commentaires 5
à écrit le 15/04/2022 à 10:09
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j ai traverse la beauce Chartres etc... cette semaine. et oh surprise les céréaliers ont planté du colza pour l ethanol dans l essence. une rapide estimation fait 50% des terres avec du colza bien jaune en ce moment. les prix du blé monte aux étoiles...

à écrit le 14/04/2022 à 12:11
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La "mondialisation" n'est en fait que "le chacun pour soi au dépend des autres" géré par des financiers!

à écrit le 13/04/2022 à 21:09
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Bah, quand on regarde une carte de la guyane ça fait longtemps que la france fait de la reforestration . En face de cayenne, de l'autre coté du mahury il y avait les polders marianne, Ben maintenant on y fait du stockage de carbone (humour lapin). qu...

à écrit le 13/04/2022 à 18:52
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On a mis 40 ans pour faire la mondialisation , remettre le diable en boîte en 6 mois avec les mêmes bras cassés ,cela nous promet du sang et des larmes .Vite MCKINSEY !

à écrit le 13/04/2022 à 18:45
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Comment se fait il qu'on achète du bois en Afrique alors que les chinois nous en achètent ? Non mais c'est quoi ce monde ?

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