Taxation des multinationales : des négociations cruciales à l'OCDE sur fond de divisions

Les représentants de 139 pays sont réunis à l'OCDE à Paris jusqu'à jeudi pour dessiner les contours de la taxe minimum mondiale sur les sociétés. A quelques jours du sommet du G20 prévus les 9 et 10 juillet prochains, les clivages demeurent marqués.
Grégoire Normand
(Crédits : Reuters)

Les négociations vont-elles aboutir sur des propositions consensuelles ? Après un accord important entre les ministres des Finances du G7 au début du mois de juin au Royaume-Uni, les négociateurs de l'OCDE se retrouvent à Paris ce mercredi et ce jeudi pour fixer les principaux cadres de cette réforme d'ampleur. Alors que doit se dérouler le sommet du G20 les 9 et 10 juillet prochains, les Etats et multinationales affûtent leurs arguments. La bataille des taux entre 15% et 21% et l'assiette fiscale devraient être au centre des discussions entre les représentants des 139 pays au château de la Muette dans le 16ème arrondissement de Paris.

Depuis l'arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche en janvier dernier, les discussions multilatérales sur la fiscalité internationale ont accéléré mais de nombreux Etats, notamment en Europe restent réticents. A l'heure où les gouvernements doivent encore financer des mesures d'urgence et d'immenses plans de relance à travers tout la planète, la refonte de la fiscalité mondiale devient un enjeu majeur pour les économies asphyxiées par de longs mois de paralysie. "Nous sommes à deux doigts de parvenir à un accord fiscal à l'échelle internationale" avait déclaré d'un ton optimiste le commissaire européen Paolo Gentiloni lors du lancement de l'observatoire européen de la fiscalité basé à Paris début juin.

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Les paradis fiscaux en embuscade, les multinationales freinent

Sans surprise, cette réforme qui vise à mettre fin à la concurrence internationale exacerbée a suscité de vives inquiétudes dans les Etats au faible niveau de fiscalité. Or l'un des enjeux des négociations en cours est d'élargir l'accord du G7 aux autres pays.  En Europe d'abord, des Etats connus pour leur très bas niveau de taxation - comme l'Irlande ou la Hongrie - ont déjà fait savoir leur opposition à ce type d'instrument. Et même si le Luxembourg a indiqué que l'accord du G7 allait dans le bon sens, la mise en œuvre technique et juridique de cette fiscalité risque encore de prendre du temps. Cette fragmentation des points de vue en Europe pourrait jouer en défaveur de l'obtention d'un accord au G20. D'autres Etats comme la Suisse ou l'île de Barbade ne devraient pas signer facilement l'accord rappelle également le Financial Times.

En parallèle, les multinationales qui pratiquent l'optimisation et l'évasion fiscales à grande échelle veulent également freiner l'avancée des négociations. Ces géants n'ont en effet aucun intérêt à la mise en oeuvre de ce type d'outil alors qu'une grande partie de leurs bénéfices échappent à toute imposition. Selon le dernier ouvrage de l'économiste Gabriel Zucman intitulé "Le triomphe de l'injustice" (rédigé avec Emmanuel Saez, Seuil, 2020), 40% des bénéfices des multinationales sont transférés dans les paradis fiscaux. Celui qui est désormais directeur de l'observatoire européen de la fiscalité plaide pour un taux supérieur à 15%.

"15%, c'est trop faible. Tous les Etats du G7 ont des taux supérieurs à 15%. Les grands gagnants comme les multinationales et leurs actionnaires paient de moins en moins d'impôts alors que d'autres groupes paient plus d'impôts par le biais de la TVA par exemple. Il faut redéfinir cet équilibre. Ceux qui paient le moins doivent payer plus, c'est le seul moyen d'avoir plus de justice fiscale. L'objectif est de redéfinir les taux selon les volontés politiques" avait-il déclaré lors d'un point presse à la Commission européenne à Bruxelles début juin.

Outre les taux, le périmètre des entreprises à taxer reste encore à définir. La proposition du gouvernement américain est de retenir les 100 plus grandes multinationales Un nombre insuffisant, a jugé fin mai le G24, groupe intergouvernemental qui rassemble 24 pays émergents, dont l'Argentine, le Brésil ou l'Inde.

Entre 6 et 8 milliards d'euros pour la France

A l'approche de ces grandes échéances, les économistes du conseil d'analyse économique (CAE) présidé par l'enseignant à Sciences-Po Paris Philippe Martin, ont planché sur différents scénarios à partir d'un modèle économétrique. Les chercheurs dans une note dévoilée mardi 29 juin ont ainsi évalué les impacts à court terme et long terme de la mise en place d'un taux minimum à 15% et un autre à 21%.

S'agissant de la France, un taux minimum de 15% pourrait rapporter 5,9 milliards d'euros à court terme et 1,9 milliard d'euros à long terme. Avec un taux à 21%, cette taxe pourrait représenter 8,2 milliards d'euros à court terme et 2,9 milliards d'euros à long terme. Le centre de recherches rattaché à Matignon a également fait tourner son modèle sur l'Allemagne et les Etats-Unis.

Pour l'Allemagne, les recette attendues se situent sur une fourchette entre 8,3 milliards et 11,4 milliards d'euros. Outre Atlantique, le Trésor américain pourrait bénéficier de rentrées spectaculaires estimées entre 14,9 milliards (taux à 15%) et 19,7 milliards d'euros (taux à 21%).

Les écarts avec la France peuvent s'expliquer tout simplement par des différences de PIB plus élevés en Allemagne et aux USA.

"Bien que les montants en niveau soient plus faibles pour la France (dont le PIB est moindre que les PIB allemand et américain), la croissance des recettes fiscales sur les entreprises y serait la plus importante. Nous estimons en effet qu'avec un taux minimum de 21 %, les recettes fiscales françaises d'impôts sur les bénéfices augmenteraient de près de 20 % contre 10 % pour l'Allemagne et 3,5 % pour les États‐Unis" expliquent les auteurs de la note.

Reste à savoir sur quelle base les négociateurs de l'OCDE vont s'entendre.

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Grégoire Normand
Commentaire 1
à écrit le 01/07/2021 à 11:10
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Heureusement encore qu'une décision aussi stupide vu le contexte mondiale de dumping fiscal suscite quelques oppositions. On commence quand même à se demander si notre classe dirigeante n'est pas en train de croire en ses propres bobards.

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