Taxation des multinationales : sommet crucial du G20 pour "l'accord international le plus important depuis un siècle"

Après moult tensions et revirements, 131 pays représentant 90% du PIB mondial se sont engagés à taxer de manière plus équitable les multinationales. Cet accord planétaire attend désormais le feu vert politique des grands argentiers des pays du G20, qui se réunissent vendredi et samedi à Venise. La mise en application de cet accord inédit reste encore soumis à de nombreux défis juridiques et administratifs.
Grégoire Normand
L'Italie reçoit le sommet international du G20 cette année.
L'Italie reçoit le sommet international du G20 cette année. (Crédits : Reuters)

L'obtention d'un accord sur la taxation des multinationales qualifié "d'accord international le plus important depuis un siècle" par le ministre Bruno Le Maire n'a jamais été aussi proche. Après d'âpres négociations et de discussions interminables, les ministres des Finances et les banquiers centraux des 20 grandes puissances de la planète doivent se réunir en fin de semaine à Venise à l'occasion d'un sommet crucial pour la fiscalité planétaire.

A l'ordre du jour figure notamment l'impôt minimum mondial sur les sociétés (pilier 2) et la répartition des droits à imposer entre le pays de siège d'une entreprise et les pays de "marché" où la société réalise du chiffre d'affaires (pilier 1).

"Nous avons réussi à avancer sur la taxation des multinationales. Nous sommes maintenant en sortie de crise sanitaire et économique, a expliqué le ministre de l'Economie Bruno Le Maire lors d'une récente réunion avec des journalistes. "Le G20 doit montrer qu'il est capable de répondre aux défis posés par la crise [...] Nous avons la responsabilité de mettre en place une fiscalité juste et efficace. Le changement de position des Etats-Unis nous a permis d'avoir un accord. L'accord doit être entériné au G20 à Venise. Cet événement doit être un G20 de temps extraordinaire. Il s'agit d'endosser politiquement l'accord sur la taxation des multinationales, sur les deux piliers."

De son côté, le directeur du centre de politique fiscale à l'OCDE Pascal Saint-Amans, qui est l'un des artisans de cet édifice s'est montré confiant pour le G20 dans un entretien récent accordé à La Tribune. Ce sommet international est d'autant plus important qu'il intervient à un moment où les Etats et les banques centrales ont injecté des montagnes de cash pour éviter une nouvelle dépression économique comparable aux années 30.

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Des pays encore récalcitrants

L'accord obtenu au G7 finances au début du mois de juin et la signature du cadre inclusif en fin de semaine dernière par 130 pays apportent un signal favorable avant cette réunion du G20 en Italie. Il reste malgré tout quelques pays récalcitrants. Parmi les Etats hostiles figurent neuf pays dont trois pays européens. Il s'agit de l'Estonie, l'Irlande et le Luxembourg. "Les pays récalcitrants en Europe sont moins nombreux qu'il y a quelques jours. Je suis allé en Pologne pour obtenir le soutien de ce pays au projet de taxation internationale. La résistance est variable d'un Etat à l'autre. L'Irlande a eu une réaction mesurée. Je regretterai que l'Union européenne ne soit pas unie sur ce sujet. C'est un enjeu de justice en évitant la course au moins disant fiscal qui est une impasse" a déclaré le ministre des Finances français. Le modèle économique de ces Etats pourrait vaciller si cet accord était signé par les autres voisins européens. Il ne faut cependant pas surestimer le poids de ces économies. L'économiste et directeur de l'observatoire européen de la fiscalité Gabriel Zucman rappelait dans ouvrage paru en 2020 intitulé "Le Triomphe de l'injustice" que "bien que tout cela semble assez inquiétant, il faut bien se rendre compte que ces expatriations ne représentent qu'une goutte d'eau dans l'océan. En 2019, parmi les 2.000 plus grandes entreprises du monde, seules 18 ont leur siège en Irlande, 13 à Singapour, sept au Luxembourg et quatre dans les Bermudes. Près d'un millier d'entre elles sont aux Etats-Unis ou dans l'Union européenne, le reste se trouvant essentiellement en Chine, au Japon, en Corée du Sud et dans d'autres pays du G20".

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Le défi essentiel de l'assiette fiscale

12%,15%, 21%...le débat sur la fiscalité des multinationales s'est principalement focalisé sur la question des taux. L'annonce de la secrétaire au Trésor américaine Janet Yellen de vouloir mettre en place un taux minimum mondial à 21% au printemps a relancé cette question après quatre années de mandat Trump marquées par une baisse ininterrompue de la fiscalité des plus grandes entreprises. Face à la levée de boucliers de l'autre côté de l'Atlantique, l'administration Biden a reculé pour proposer un taux à 15%.

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Malgré cette prédominance de la question des taux dans les négociations, le sujet de l'assiette fiscale (somme de l'ensemble des revenus) est tout autant crucial. Dans une note du Conseil des prélèvements obligatoires dévoilée ce jeudi 8 juillet et consultée par La Tribune, "les enjeux de l'accord concernent la définition de l'assiette autant que la fixation des taux. En effet, les prévisions de recettes liées au pilier 1 comme au pilier 2 sont très sensibles aux paramètres de calcul de l'assiette", expliquent les auteurs. "L'enjeu dans les prochains mois est l'assiette fiscale et la transposition de cet accord dans le droit national" affirment plusieurs sources. "Il s'agit d'encourager au niveau de l'OCDE, un travail de fiabilisation et d'homogénéisation des déclarations des entreprises afin de progresser vers une meilleure transparence des données fiscales des multinationales" écrivent-ils. En effet, plusieurs travaux récents, notamment ceux menés par le conseil d'analyse économique montrent que ce mécanisme pourrait rapporter entre 6 et 8 milliards d'euros à la France mais tout va dépendre de l'assiette fiscale.

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Le risque des différends

Parmi les autres immenses défis à venir, la question des différends n'est pas vraiment tranchée dans l'accord mis au point lors des récentes réunions à l'OCDE. En effet, la mise en application de cet accord d'ici 2023 à l'échelle de la planète va nécessairement entraîner une hausse des contentieux. Face à ces risques, les membres du conseil des prélèvements obligatoires préconisent de mettre en place un organisme de règlements des différends internationaux sur le modèle de l'organisation mondiale du commerce (OMC) "afin d'unifier l'interprétation des textes". La mise en application de cet accord peut être "un nid à contentieux", rappellent-ils. En attendant, même si des textes à l'échelle européenne existent pour couvrir les litiges, cet angle-mort juridique pourrait bien retarder la bonne exécution de l'accord.

Des mécanismes de recouvrement à améliorer

L'entrée en vigueur prochaine de l'accord du G20 pourrait bien donner des sueurs froides dans les administrations fiscales de certains pays. En effet, la capacité de certains Etats à lever l'impôt est relativement limitée en raison notamment de maigres moyens administratifs et d'une puissance publique affaiblie . Sur ce sujet sensible, les magistrats du conseil des prélèvements obligatoires recommandent "d'attirer l'attention de l'OCDE et du cadre inclusif sur la nécessité d'un mécanisme d'assistance administrative en matière de recouvrement des sommes rendues exigibles par les Etats de marché du fait du pilier 1" dans leur document. Ce qui signifie que l'administration fiscale de la France pourrait porter assistance à d'autres services administratifs dépourvus de moyens.

Grégoire Normand
Commentaires 6
à écrit le 09/07/2021 à 0:23
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Il y a une constante dans l'univers socialiste: la hausse des impôts. Pour la baisse du nombre de ponctionnaires il faudra attendre une singularité politique...

à écrit le 08/07/2021 à 17:00
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Ils sont pas idiot les USA ,Ils ont trouvé la solution pour devenir un paradis fiscal ! En obligeant les autres à se mettre à leur niveau mais n'ayant pas les avantages que les américains offres . Les grands perdants sont ceux qui taxent à plus de 15...

à écrit le 08/07/2021 à 11:14
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Si tout le monde est au même niveau d'imposition il n'y a rien de changer a ce qui se passe à présent (niveau zéro) mais c'est le consommateur qui verra la différence!

à écrit le 08/07/2021 à 11:01
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enfin, une avancée en matière fiscale ! Comme quoi la mondialisation et la défiscalisation obsessionnelle des cupides ne sont pas une fatalité. A nous de boycotter les produits des multinationales encore installées dans les paradis fiscaux. Et nous a...

le 08/07/2021 à 18:11
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"et des montages défiscalisant en faveur des plus aisés". La par contre ,cela ne changera de si tôt ,les membres de la commission européenne étant eux mêmes parmi les plus aisés.

à écrit le 08/07/2021 à 10:20
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"l'accord international le plus important depuis un siècle" Bla, bla bla, bla bla bla, bla bla bla bla... Pour se féliciter pendant que les mégas riches détruisent le monde en ronflant ils sont bons. Après les salariés boucs émissaires, rincés ju...

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