Il était, avant la crise Covid, l'événement "international" de l'ouverture sur le monde de la Russie post soviétique. Le Forum économique, - et moins international -, de Saint-Pétersbourg (SPIEF), édition 2022, a donné l'occasion à Vladimir Poutine de tresser les lauriers au monde russe, lors d'un discours économique très attendu, quatre mois après le déclenchement de la guerre en Ukraine qui a fait basculer la Russie au rang des pays parias. Cette année encore, le chef du Kremlin est intervenu vendredi après-midi, au coeur de cet événement qui réunissait jadis l'élite mondiale de la politique et du business, à l'image d'Emmanuel Macron et de Christine Lagarde en 2018, dans la seconde ville du pays.
Quatre mois après les première sanctions occidentales contre Moscou, le discours du président Poutine devait montrer comment un pays - dont le PIB plafonne au 13ème rang du classement mondial, équivalent à celui de l'Espagne - adopte peu à peu une économie de guerre, tournant définitivement le dos à la mondialisation optimiste voulu sous le leadership des Etats-Unis.
Pendant une heure, au pupitre, tandis que son hôte, le président kazakh Kassim-Jomar Tokaïev patiente, Vladimir Poutine a livré sa vision du monde. "J'avais dit au Forum de Davos que le monde unipolaire était fini", a-t-il rappelé, après avoir été introduit par Maragarita Simonian, la patronne du média international d'Etat RT (Russia Today), dont les filiales européennes ont été interdites de diffusion dans les pays de l'Union européenne suite à l'entrée de l'armée russe en Ukraine. "Merci de nous faire l'honneur de venir, comme chaque année", a-t-elle entamé face à un auditoire composé des grands chefs d'entreprise russes, mais "sans présence de personnalités des pays inamicaux", avait prévenu un conseiller diplomatique du Kremlin.
"Les élites occidentales ont cru que la domination de l'ouest serait constante. Mais rien n'est éternel", a lancé le chef du Kremlin à la tête du pays depuis 1999.
"Ils pensent que les pays du reste du monde ne sont que des périphéries, des arrière-cours", a-t-il encore dénoncé.
Les Etats-Unis, coupables de la flambée des prix
De fait, comme l'a affirmé le président Poutine, la crise économique qui frappe le monde, a été causée par les Etats-Unis et ses alliés."Nous n'avons rien à voir avec la hausse des prix", a lancé le chef du Kremlin tout en pointant, aussi, les risques de famines en raison de cette politique américaine et des "erreurs systémiques" de l'Occident.
"A la sortie de la guerre froide, les Etats-Unis vainqueurs se sont arrogés le rôle de bienfaiteurs, mais sans devoirs", a lâché l'ex-agent du KGB qui dirige aujourd'hui le plus grand pays du monde. Selon le chef du Kremlin, l'inflation que traversent actuellement les économies développées n'est pas liée aux "opérations spéciales" menées par la Russie dans le Donbass, et aux perturbations sur les marchés de l'énergie. "Ils ont imprimé de l'argent", martèle Vladimir Poutine, qui ne prononcera jamais le mot "Ukraine", mais une seule fois "les gens à Kiev" et "les génocides, les nazis et la russophobie" dans le Donbass.
"Pendant longtemps, ils (les Etats-Unis) ont été un exemple en matière d'agriculture et d'exportations de nourriture. Mais maintenant ils impriment des billets (...) Il y a un déséquilibre mondial entre les importations et les exportations", a encore résumé le leader russe.
Les États-Unis et les pays européens font face à une inflation galopante qui atteint jusqu'à 11% au Royaume-Uni, tirée notamment par la hausse des prix du carburant. La Russie n'est pas en reste, avec une augmentation des prix de 16,7% sur un an.
La chute de l'Europe
La promesse d'une Russie "plus forte" va aussi de paire avec la chute de l'Europe, observée par Vladimir Poutine. "Le niveau de vie des Européens chute, leur niveau de compétitivité recule", a-t-il affirmé tout en prédisant l'accélération du"ralentissement de l'Europe" qu'il qualifie de "bureaucratique".
"L'Union européenne a complètement perdu sa souveraineté", a-t-il proféré.
Un déclassement qui se manifeste d'ailleurs dans la vie démocratique des Européens : "Les partis traditionnels n'ont plus les mêmes chances de succès (...) les mouvements extrêmes demandant un changement des élites ne vont cesser de croître", a-t-il lancé.
L'Union européenne est prise en étau entre la volonté de sanctionner Moscou pour son acte d'agression et la flambée des prix, une bombe sociale à retardement. "Les sanctions sont une épée à double tranchant", a expliqué le dirigeant russe.
Rassurer les patrons russes
Mais Vladimir Poutine se devait aussi de rassurer sur la capacité de l'Etat à surmonter le régime de sanctions et son isolement du reste du monde. "Ils essayent de détruire l'économie russe", a accusé le président qui aime à rappeler les "2.000 ans d'histoire de la Russie" et dont les accents patriotiques sont applaudis par la salle.
"L'économie a été stabilisée, les comptes publics sont stables", a-t-il assuré.
Et d'ajouter : "Evidemment, l'inflation est importante mais nous devrons l'affronter et nous réussirons à la surmonter (...) Nous allons booster la production, les chaînes d'approvisionnement, les taux des crédits", a-t-il promis. "Les taux d'intérêt baissent, nous pouvons le faire". Et de rappeler : "cela nous a permis de préserver les réserves de nos banques"
Sous le régime des sanctions internationales depuis 2014 et l'invasion de la Crimée, la Russie a encore accéléré sur ses mesures protectionnistes visant à rendre le pays autonome. Face aux dirigeants d'entreprise, il a assuré que ces mesures de soutien seraient effectives "jusqu'à la fin de l'année".
"La Russie est capable de maintenir ses exportations. Nous priorisons vers les pays qui ont besoin de cette nourriture et des engrais, notamment vers les pays africains", a-t-il justifié en réponse à la crise alimentaire.
La Chine en observatrice
Dans une Russie bientôt au firmament, Vladimir Poutine promet aussi "de nouveaux modèles d'échanges commerciaux". Ce que les deux interventions des présidents chinois Xi Jinping et égyptien Al-Sissi, devaient illustrer comme invités internationaux, avec la diffusion de deux enregistrements vidéos réalisés pour cette 25ème édition du SPIEF.
Tout en souhaitant la paix dans le monde, le président égyptien a surtout appelé à "réduire les conséquences de la crise économique".
De son côté, le président chinois n'a pas réchauffé davantage les nouveaux liens avec son grand voisin. Le leader de la première économie mondiale a évoqué "le bon momentum pour les relations entre la Chine et la Russie, à un carrefour". Et de saluer "la coopération bilatérale" entre les deux pays, "le renforcement des partenariats Nord-sud et sud-sud". La Chine, qui doit jouer un rôle clé dans le soutien de l'économie de guerre de la Russie, souhaite toujours "progresser dans la mondialisation, les règles internationales et les sanctions unilatérales pour stabiliser les chaînes d'approvisionnement". Le voisin chinois, un allié sage et distant, décrivant "une nouvelle phase de transformations et de déstabilisations" du monde.