« Le processus d’autonomie doit être accompagné d’un renforcement des missions régaliennes » (Jean-Charles Orsucci, maire de Bonifacio)

ENTRETIEN. Le maire de Bonifacio, Marcheur de la première heure et proche d’Emmanuel Macron, milite pour le statut d’autonomie, mais observe, néanmoins, que plus le processus évolue favorablement, plus les difficultés sont susceptibles de se multiplier…
Jean-Charles Orsucci est le seul et unique maire macroniste autoproclamé de l'île.
Jean-Charles Orsucci est le seul et unique maire macroniste autoproclamé de l'île. (Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Vous êtes l'homme de confiance d'Emmanuel Macron en Corse. Vous a-t-il consulté sur le processus d'autonomie ?

JEAN-CHARLES ORSUCCI - Emmanuel Macron connaît depuis le début ma position sur ce que doit être la Corse dans la République, un territoire autonome. Dès 2016, en tant qu'un des tout premiers marcheurs en Corse, je lui ai adressé des notes écrites sur ma vision des choses.

Dans le sens inverse, avez-vous endossé le rôle d'intercesseur de Gilles Simeoni, le président du Conseil exécutif de Corse ?

Depuis toujours, je tiens ce rôle entre le Président de la République, le gouvernement et la majorité territoriale. Je n'ai eu de cesse de trouver les points d'équilibre et je peux témoigner avoir été sollicité surtout dans les moments d'oppositions les plus frontales, ce qui m'a valu, soi-dit en passant, d'encaisser moi-même quelques coups de part et d'autre...

Quel regard portez-vous sur le projet de rédaction constitutionnelle issu de ce processus coécrit avec le gouvernement ?

Je m'y reconnais parfaitement et je tiens à saluer particulièrement l'esprit d'écoute et de dialogue qui a guidé constamment le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin. Ceci étant, je suis encore dans l'expectative. En droit français, l'autonomie, c'est un transfert de pouvoir législatif. Mais je souhaite le voir circonscrit à certaines compétences. Pour ce faire, j'attends de savoir le contenu de la future loi organique qui les précisera, c'est elle la clé de voûte de l'évolution institutionnelle. Ce qui est proposé au moment où nous parlons correspond à ce que j'ai toujours défendu. Si ce n'était plus le cas demain, je ne dissimulerais pas mes états d'âme...

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Pour ne pas heurter le Conseil constitutionnel, la notion de Peuple corse a évolué en « communauté historique, linguistique, culturelle ». Or, le terme de communauté apparaît d'emblée comme un point de blocage. Qu'en pensez-vous ?

J'ai lu comme vous la tribune cosignée par seize constitutionnalistes de renom, dont Pierre Mazeaud et Jean-Louis Debré, qui évoquent un repli identitaire et une assignation communautaire. Qu'elles soient de droite ou de gauche, toutes les forces jacobines de France se mettent en mouvement comme à chaque fois qu'il a été question d'un nouveau palier institutionnel pour la Corse. La réforme constitutionnelle est donc incontournable pour sacraliser cette évolution dans la loi fondamentale. J'ajoute que les différences dans l'application de la loi existent déjà dans la Constitution, ce n'est pas une nouveauté.

Malgré tout, qu'est-ce qui peut faire espérer que le législateur va céder la moindre once de sa prérogative de faire la loi ?

Si le législateur a le courage et l'intelligence de se hisser à la hauteur des enjeux historiques que représente le moment que nous vivons, s'il veut que la Corse tourne le dos à cinquante ans de violence et de relations conflictuelles avec Paris, il fera le choix d'ouvrir une nouvelle page, d'autant plus que ce ne sont pas 350.000 Insulaires, représentant 0,5 % de la population du pays, qui remettront en cause l'unité de la Nation. Sinon la République serait faible, et ce ne serait pas la République à laquelle je crois.

En définitive, pour convaincre les parlementaires, la marge de manœuvre d'Emmanuel Macron est étroite. Ça peut passer ?

Oui, si toutes les forces du non ne se coalisent pas au moment où elles auront à s'exprimer. D'un côté, les indépendantistes de Nazione dénoncent le statu quo et, de l'autre côté, les Debré et les Mazeaud nous expliquent que c'est un boulevard pour l'indépendance. C'est à l'aune de cette observation que je trouve le projet équilibré. Ce qui pourrait maintenant le mettre à mal, ce sont les intérêts électoralistes des uns et des autres, socialistes, Insoumis, RN qui, au-delà de la question corse qui leur est posée, n'auront d'autre obsession que celle de glisser des peaux de banane sous les pieds du président de la République. Voilà ce qui m'inquiète vraiment. Il faut se méfier des faucons, à Paris comme dans l'île, qui ont intérêt à déstabiliser le processus. J'ai toujours pensé que les plus jacobins des Corses étaient les alliés objectifs des indépendantistes.

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Rebondissement dans le meurtre d'Yvan Colonna en prison : le suspect déclare maintenant que les services secrets de l'État l'ont commandité. Que ce soit vrai ou faux, les relations avec Paris ne vont-elles pas, au mieux, se crisper, au pire, se rompre une fois de plus ?

En découvrant cette dernière information, la seule question qui m'a traversé l'esprit, c'est : à qui profite le crime ? Ce coup de théâtre a l'aspect, à mes yeux en tout cas, d'une des peaux de banane que j'évoquais tout à l'heure. Ma conviction sur cette affaire est simple : dans tous les cas de figure, la responsabilité de l'État français est engagée. Qu'il ait raison ou tort, ce monsieur n'aurait jamais dû se retrouver seul avec Yvan Colonna. Ceci étant, je ne crois pas à sa nouvelle version, je ne crois pas à un complot et j'attends de la justice qu'elle fasse correctement son travail.

Dans l'idéal, la réforme constitutionnelle passe. Les Corses sont consultés par référendum. Un exercice redoutable, selon vous ?

Oui. Sur ce référendum, je crains fort la question binaire : êtes-vous pour ou contre le processus. Si on me confiait la rédaction de la question, ce serait pour avoir une réponse à trois entrées : premièrement, êtes-vous pour le processus ? Deuxièmement, êtes-vous contre le processus parce qu'il ne va pas assez loin ? Et troisièmement, êtes-vous contre le processus parce qu'il va trop loin ? Là, je suis convaincu qu'une large majorité adhérerait à la première entrée de réponse. Je propose cela, parce que dans le vote de rejet se retrouvent toujours des gens qui ont des motivations diamétralement opposées.

Au-delà de ce piège rhétorique, qu'est-ce qui peut les convaincre que l'autonomie est le remède à tous leurs problèmes ?

Il faut leur expliquer qu'il appartiendra aux élus de la Corse d'adapter les lois de la République pour être plus efficaces qu'aujourd'hui, il faut le reconnaître, dans un certain nombre de domaines. L'aménagement du territoire, pour réguler par exemple l'urbanisation ou demander une contribution à ceux qui visitent nos sites naturels les plus remarquables, constitue une compétence que l'on peut transférer de manière pleine et entière à la Corse, sans chape financière. Je précise que l'efficacité au service de l'intérêt général n'a pas de couleur politique. L'autonomie sera de gauche, de droite ou nationaliste en fonction des élus démocratiquement choisis par le peuple

Que répondez-vous aux personnes qui, en toute bonne foi, redoutent une centralisation corso-corse du pouvoir autonome ?

Qu'ils ont raison. Après le jacobinisme parisien, je redoute moi aussi le jacobinisme ajaccien. Dans le cadre de la future architecture institutionnelle, il faut absolument instaurer des contre-pouvoirs. Deux pistes au moins peuvent être mises sur la table : le renforcement de la Chambre des territoires et la dévolution de davantage de pouvoirs aux intercommunalités. Il est clair en tout cas que l'autonomie, c'est le risque d'une nouvelle féodalité dont on ne peut se soustraire qu'avec des contre-pouvoirs forts.

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Un autre risque latent, celui d'un regain des dérives mafieuses...

En effet, le transfert de compétences et des moyens financiers inhérents dans un contexte de grande criminalité est une vraie menace. Je suis un des rares - et ça me désole un peu - à insister sur ce danger et à réclamer de l'État en même temps qu'un statut d'autonomie un renforcement de ses missions régaliennes, de police, de justice, de contrôle de la légalité des marchés publics. C'est primordial.

Si le processus venait à échouer, la Corse replongerait-elle dans la violence clandestine ?

Je serais tenté de dire que la réponse est contenue dans la question mais ce serait céder au chantage de la violence. Or, ma conviction sur les institutions est indissociable de l'évolution du monde, de la modernité, de l'intelligence artificielle et je pense que la France de 2024 ne peut pas être la France de 1789. Par ailleurs, où serait le Plan B ? Ce ne peut être « Circulez, il n'y a plus rien à voir » lorsque 70 % des Corses votent en faveur de l'autonomie. Aussi, je me battrai jusqu'au bout pour la réussite du processus. Je fais aussi confiance au Premier ministre Gabriel Attal, que j'ai rencontré le 8 mars dernier à Matignon, pour apporter son soutien. C'est un ami de la Corse et de Bonifacio...

Certes, mais quand on est le seul et unique maire macroniste autoproclamé de l'île, on ne se sent pas isolé ?

Je ne pense pas être le seul, même si j'aurais aimé que le mouvement de la majorité présidentielle s'implante davantage. On y travaille déjà dans la perspective des élections européennes du 9 juin où j'espère que la Corse ne mettra pas le Rassemblement national en tête. Je rappelle que le RN s'est positionné contre l'autonomie. Les Corses l'ont bien à l'esprit.

La présence d'un député corse élu au Parlement européen, ne serait-elle pas importante, surtout dans une configuration d'autonomie et pour agir en faveur d'une place centrale en Méditerranée comme l'a souhaité à plusieurs reprises le président de la République dans ses discours ?

Je souscris à cette idée d'une représentation active au Parlement européen. Elle me paraît plus encore nécessaire aujourd'hui qu'hier, comme il me paraît tout aussi indispensable que la future Corse autonome soit représentée à une place éligible à l'instar des douze régions métropolitaines françaises de droit commun. Je milite en ce sens.

Commentaires 5
à écrit le 04/04/2024 à 14:25
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Quand ils seront indépendants ce sera aux corses de faire des économies !

à écrit le 04/04/2024 à 9:07
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Totalement indépendants les corses feront les frais !

à écrit le 03/04/2024 à 18:19
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Bonjour, bon la vision d'un indépendantistes nous importent peux... Ce qui compte s'est l'impôt et les taxe a l'état français... Moins d'impôts et moins de taxe réglé a l'état français, s'est moins de service régaliennes... Ils y a des choix à fa...

le 05/04/2024 à 20:12
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Jean-Charles Orsucci "indépendantiste"? Vous pouvez préciser vos sources?

à écrit le 03/04/2024 à 17:14
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Indépendance financière surtout : que les corses fassent ce qu'il veulent de leur pognon ,mais qu'ils se payent tout !

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