Accord sur le CETA : « Ce n'est pas une perspective menaçante » (Paolo Gentiloni, Commission européenne)

GRAND ENTRETIEN- De passage à Paris, le commissaire européen à l'économie Paolo Gentiloni défend le controversé accord économique et commercial global entre le Canada et l'Union européenne, qui doit être voté ce jeudi au Sénat. Il est aussi revenu sur plusieurs grandes questions comme l'union des marchés de capitaux, la croissance dans la zone euro, les règles budgétaires ou encore le financement de la Défense ou de la transition écologique à l'échelle européenne.
Grégoire Normand
Paolo Gentiloni est commissaire européen en charge des affaires économiques. Ancien président du Conseil en Italie, il a succédé au social-démocrate Matteo Renzi en 2016.
Paolo Gentiloni est commissaire européen en charge des affaires économiques. Ancien président du Conseil en Italie, il a succédé au social-démocrate Matteo Renzi en 2016. (Crédits : Reuters)

LA TRIBUNE- En France, le Sénat va se prononcer ce jeudi 21 mars sur l'accord du Ceta entre l'Union européenne et le Canada. Les traités de libre-échange sont toujours aussi contestés en France dans une large partie du spectre politique. Pourtant, la Commission européenne continue de soutenir ces traités. Pourquoi Bruxelles veut absolument faire ratifier ces accords malgré les critiques ?

PAOLO GENTILONI- L'accord est en place depuis plus de six ans et je n'ai vu aucun désastre. Au contraire, le commerce entre le Canada et l'Union européenne a augmenté de plus de 30%. Cet accord a soutenu 700.000 emplois en Europe. Les avantages sont donc très clairs pour l'Union européenne et pour la France. Avant l'introduction de l'accord, certains pays avaient des doutes. Mais objectivement, ce n'est pas une perspective menaçante.

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Lors de la conférence annuelle d'Euronext mardi 20 mars, le président de la République Emmanuel Macron a réaffirmé le souhait de la France de relancer le projet européen d'union des marchés de capitaux. Pourquoi cette réforme prend-t-elle autant de temps en Europe ?

L'achèvement de l'Union des marchés de capitaux n'est pas un objectif en soi, mais c'est un élément essentiel pour soutenir les intérêts stratégiques de l'UE et contribuer au financement de nos objectifs communs. Il s'agit d'établir la souveraineté financière de l'Europe. Nos progrès jusqu'à présent n'ont pas été assez rapides, pour être diplomatiques.

La semaine dernière, l'Eurogroupe a adopté une feuille de route politique sur l'avenir de ce projet, qui donne à la Commission un mandat clair pour poursuivre les travaux dans ce domaine au cours du prochain cycle institutionnel. Vous ne pouvez pas imaginer à quel point il a été difficile pour les ministres des finances de se mettre d'accord sur cette feuille de route. Derrière chaque différend se cachent des intérêts nationaux particuliers. Les avancées doivent donc être négociées de manière très ferme, car le dépassement de ces divergences est une priorité essentielle au niveau de l'UE.

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La Commission européenne table sur une croissance en zone euro de 0,8% en 2024 contre 0,4% en 2023. Vous avez légèrement revu à la baisse vos prévisions mais elles sont supérieures à d'autres projections. Les indicateurs avancés n'annoncent pas forcément de bonnes nouvelles avec une hausse des faillites, une stagnation de l'emploi et des salaires, la guerre en Ukraine qui s'enlise. N'êtes vous pas trop optimiste ?

Nous ne sommes pas trop optimistes. Nous avons pris note que l'économie européenne est dans une situation très faible. Notre projection pour 2024 est légèrement supérieure aux actuelles prévisions du consensus, mais elle reflète les données à disposition jusqu'à fin janvier.

L'Europe a évité la récession. Le découplage de l'Europe avec le gaz russe s'est réalisé en quelques mois, l'inflation ralentit et le marché du travail est en bonne santé. La hausse des salaires est certes limitée mais elle existe. Tous ces éléments nous laissent penser qu'une accélération de la croissance est possible dans la seconde partie de l'année. La trajectoire de l'inflation, du marché du travail, les choix de politique monétaire, la stabilité financière vont dans la bonne direction. Il y a des risques baissiers liés à l'incertitude géopolitique. Une plus grande stabilité géopolitique serait certainement un facteur positif pour l'économie européenne.

Le prolongement de ce ralentissement ne risque-t-il pas d'amplifier le décrochage entre l'Europe et les Etats-Unis ?

La reprise après la pandémie a été très forte, avec une croissance en 2022 même plus forte en Europe qu'aux Etats-Unis ou en Chine. Le programme de relance européen NextGeneration EU fonctionne et a soutenu cette croissance. Par contre, l'invasion de l'Ukraine a eu des conséquences différentes pour l'Europe. Certes, la guerre est un événement géopolitique global mais les conséquences économiques sont avant tout européennes. Le programme de relance après la pandémie qui s'étend jusqu'en 2026 a bien fonctionné.

Ensuite, la hausse des prix de l'énergie a accru notre retard de compétitivité face aux Etats-Unis et d'autres zones économiques. Le coût de l'électricité est particulièrement pénalisant. L'Europe a tous les outils pour un rattrapage économique. Pour 2025, nous prévoyons le même taux de croissance - de 1,7% - dans l'UE et aux Etats-Unis.

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Après le fort rebond post-pandémie, la croissance française peine à retrouver des ressorts. La Commission européenne table sur une croissance du PIB de 0,9% en 2024, soit une prévision proche de celle du gouvernement (1%). Pourtant, le consensus des économistes prévoit une croissance inférieure, autour de 0,7%. Quel regard portez-vous sur l'activité en France ?

La géographie de la croissance en Europe a beaucoup changé depuis la pandémie. Les économies les plus en difficulté sont les pays baltes, les pays d'Europe de l'Est et d'Europe centrale. Dans cette zone, 11 pays sur 27 ont enregistré une croissance négative en 2023.

La France fait partie du groupe de pays qui ont tout de même gardé une croissance positive. La croissance a été révisée à la baisse mais c'est un phénomène européen. L'économie française est moins dépendante que celle de l'Allemagne des exportations vers la Chine ou de l'énergie russe.

Certains économistes affirment que l'Allemagne est en train de devenir « l'homme malade de l'Europe ». Quel jugement portez-vous sur l'économie allemande ?

Ces dernières années, les piliers de l'économie allemande ont fortement tremblé : le gaz russe bon marché, les exportations vers la Chine, et la sécurité américaine. Je pense que la force de l'économie allemande lui permettra de passer cette crise. Néanmoins, l'Allemagne aurait besoin en ce moment d'un taux d'investissement supérieur. Ce sont les règles budgétaires du pays qui rendent cet effort très difficile et non les règles européennes.

L'Union européenne va devoir affronter une montagne d'investissements dans la transition écologique et la décarbonation de son économie. Dans le même temps, les nouvelles règles budgétaires vont bientôt s'appliquer aux Etats. Comment l'Europe va-t-elle pouvoir relever à ce double défi ?

L'Europe a besoin de règles budgétaires. La suspension des règles budgétaires décidée en mars 2020 était nécessaire face à la crise sanitaire. Je me suis battu pour maintenir cette suspension le plus longtemps possible. Mais le retour des règles au début de cette année était absolument nécessaire.

Les nouvelles règles budgétaires sont meilleures que les précédentes. Elles permettront d'avoir des perspectives de moyen terme sur la croissance, les investissements, les réformes de chaque pays. Il y a aura un lien entre les investissements et le niveau d'ajustement budgétaire demandé. La Commission estime à 650 milliards d'euros par an les investissements supplémentaires nécessaires pour les transitions écologique et numérique. Ces dépenses devront être couvertes principalement par les investisseurs privés, mais les fonds publics - nationaux et européens - auront eux aussi un rôle essentiel à jouer. Ces investissements publics ne peuvent pas se limiter aux dépenses pays par pays. Il faut réfléchir à des instruments européens, à partir de l'expérience NextGenerationEU.

Défendez vous un instrument de financement en commun pour favoriser la transition écologique ou la Défense ?

L'instrument de financement mis en place en 2021 ne peut pas être une parenthèse. Il ne s'agit pas de prolonger NextGenerationEU au-delà de 2026, mais la méthode pour financer la relance après la pandémie peut être utilisée sur des objectifs communs comme la défense ou la transition écologique. Ce ne sera pas une discussion facile. Il existe des positions très différentes entre pays. Je souhaite que la future Commission soit ambitieuse sur ce type de proposition.

On ne peut pas sécuriser le modèle économique européen en laissant les Etats libres de soutenir leur industrie sans coordination : en plus d'être inefficace, cela ne ferait qu'accentuer les différences entre les pays les plus riches et les autres. La compétitivité des pays européens - même de nos plus grandes économies comme l'Allemagne, la France et l'Italie - s'appuie sur notre marché de 450 millions d'habitants. Il est dans l'intérêt commun que l'Europe se fixe des objectifs et des outils de financement communs adaptés.

La France s'engage dans des économies budgétaires évaluées à 30 milliards d'euros entre 2024 et 2025. En Allemagne, la politique budgétaire s'oriente également vers des coupes. L'économie de guerre est-elle compatible avec des politiques budgétaires plus restrictives?

A la différence de la Russie et l'Ukraine, l'Europe n'est pas en économie de guerre. Elle a néanmoins des besoins énormes d'investissement - dans la défense mais également pour la transition verte, pour l'innovation numérique, pour maintenir notre système d'Etat Providence.

Dans le monde, les Etats-Unis, la Chine et l'Inde font des investissements publics très importants. L'Europe ne peut donc pas être le seul acteur à appuyer sur le frein de l'investissement public. Heureusement, la situation est déjà différente de la crise financière, qui avait conduit à une réduction catastrophique des investissements publics. Suite à la crise du COVID, les investissements publics en Europe ont continué de croître et devraient atteindre 3,5% du PIB en 2025. Pour soutenir cette tendance, les nouvelles règles budgétaires créent de l'espace pour l'investissement. Mais il faut aussi du courage et de l'ambition pour mettre en place un nouvel instrument en commun.

La politique agricole commune (PAC) a fait l'objet de vives contestations partout en Europe et notamment en France. Comment faire pour concilier les objectifs de transition écologique et les attentes des agriculteurs ?

L'agriculture européenne est absolument clé pour notre souveraineté alimentaire. Nous devons soutenir le secteur afin qu'il puisse aussi jouer son rôle dans la transition écologique. Il s'agit d'écouter les acteurs du monde agricole qui demandent des solutions plus pragmatiques. La Commission européenne vient de faire des propositions importantes pour réduire le poids des normes environnementales et bureaucratiques sur l'agriculture. Nous avons bien conscience de la trajectoire qu'il reste à parcourir. Une période électorale ne rend pas plus facile la résolution de ces problèmes mais il est indispensable de les aborder.

À l'approche des élections européennes, êtes-vous inquiet par la montée des forces d'extrême droite partout en Europe ?

Je suis frappé par la montée des forces d'extrême droite. Je note néanmoins qu'il y a quelques années, ces forces étaient ouvertement contre l'Union européenne. Elles défendaient une sortie de l'Union et de la monnaie unique. Actuellement, il est difficile de trouver un parti qui défende ce type de proposition. Ce changement est le signe que l'Union européenne s'est renforcée ces dernières années.

Il reflète aussi l'expérience très difficile du Brexit et le fait qu'au Royaume-Uni, une majorité de citoyens regrettent cette décision. Ainsi, aujourd'hui les partis extrémistes promettent non pas de quitter mais de changer l'Europe - mais dans quel sens ? Il est évident que beaucoup de partis nationalistes ne partagent pas les convictions fondamentales de l'Union européenne. Au Royaume-Uni, une majorité de citoyens regrettent le Brexit.

Grégoire Normand
Commentaires 5
à écrit le 20/03/2024 à 21:55
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Le commerce n'est pas le problème, le problème c'est nos politiques naifs qui ont rendu la vie de nos sociétés intenables en les plombant de technocratie, de taxes et d'une concurence étrangère déloyale pendant des années. En face un continent améric...

le 21/03/2024 à 9:35
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ces gens ne voit que l'aspect du commerce mondial sur un seul sujet que nous somme des consommateurs et rien d'autre le citoyen n'existe plus, les travailleurs supprimer ,l'électeur lui vote mal alors ont supprime l'election il suffit de voir rien...

à écrit le 20/03/2024 à 18:23
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LOOOL ! Crédibilité de la commission européenne ? Zéro.

à écrit le 20/03/2024 à 17:10
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Il est vraiment temps de donner un grand coup de balais dans cette commission qui à force de vivre enfermée avec les lobbyistes dans ses bureaux bruxellois a perdu tout lien avec les réalités.

à écrit le 20/03/2024 à 16:17
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Si, sa perpective se cantonne au temps passé dans les bureaux avec rémunération complaisante, on comprend bien que cela ne lui semble pas menaçante, il ne sera plus là pour en être victime !

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