CETA : l'exécutif retient son souffle avant l'examen du vote du Parlement

L'accord de libre-échange entre l'Union européenne et le Canada (CETA), appliqué provisoirement depuis fin 2016, est inscrit à l'ordre du jour du Sénat, ce jeudi, à l'initiative du groupe communiste qui a promis un « coup de tonnerre » politique. Et pour cause, le traité divise, tant sur le plan commercial qu'environnemental.
Le CETA a été inscrit à l'ordre du jour par les sénateurs communistes jeudi 21 mars. (photo d'illustration)
Le CETA a été inscrit à l'ordre du jour par les sénateurs communistes jeudi 21 mars. (photo d'illustration) (Crédits : Firas Abdullah/ABACAPRESS)

Le CETA revient dans les débats, cette fois au Sénat. Dans le contexte inflammable de la crise agricole et à trois mois des élections européennes, les sénateurs devront se prononcer ce jeudi sur l'Accord économique et commercial global (AECG) entre l'UE et le Canada, plus connu sous son acronyme anglais CETA.

Ce dernier a été inscrit à l'ordre du jour par les communistes. Une manœuvre inhabituelle, puisqu'ils ont ainsi privilégié sur leur temps parlementaire réservé, non pas une de leurs propositions de loi, mais un projet de loi du gouvernement visant à autoriser le Parlement à ratifier ce traité. L'objectif du PCF est ainsi d'aboutir à l'échec de son adoption au Sénat, dominé par la droite et où le camp présidentiel est très minoritaire.

Signé fin 2016, adopté par le Parlement européen fin 2017 et appliqué provisoirement depuis, le CETA n'est toujours pas ratifié par l'ensemble des parlements nationaux de l'UE. L'Assemblée nationale l'avait, de son côté, approuvé de justesse le 23 juillet 2019 par 266 voix contre 213, suscitant à l'époque un taux d'abstention record dans les rangs macronistes.

Les communistes dénoncent une « distorsion de concurrence »

Mais le traité n'avait jamais été soumis à la chambre haute, malgré plusieurs promesses gouvernementales. Depuis, le camp présidentiel a perdu la majorité absolue à l'Assemblée, ce qui rend très incertaine l'issue d'un nouveau vote des députés, nécessaire si le Sénat s'y oppose. Les communistes promettent d'ailleurs un « coup de tonnerre » politique ce 21 mars.

Interrogé par La Tribune, le sénateur PCF Fabien Gay dénonce « un accord qui met en compétition les travailleurs ». « Il permet d'importer des produits de l'autre bout du monde dans des conditions que l'on interdit à nos propres agriculteurs, déplore-t-il. C'est une distorsion de concurrence insupportable », fait-il valoir.

« Sur le fond, cet accord fragilisera l'élevage et la viande de notre agriculture française », ajoute Cécile Cukierman, sénatrice et porte-parole du PCF. « Nous sommes dans l'incapacité de mettre en place les différents contrôles et clauses miroirs exigés. In fine, une partie de nos agriculteurs sont défavorisés avec la mise en œuvre du CETA ».

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Contacté par La Tribune, le président du groupe Les Républicains au Sénat, Bruno Retailleau, affirme de son côté que « nous ne devons plus importer les pratiques que nous interdisons en France ou en Europe ». « Oui, au libre-échange, mais un libre échange, juste et loyal », déclare le patron de la droite sénatoriale, majoritaire à la chambre haute.

Un accord « exemplaire » pour le gouvernement

Le ministre du Commerce extérieur, Franck Riester, a, lui, défendu un accord « exemplaire » avec des résultats « sans appel » dans Les Echos le 18 mars. « En six ans, les exportations vers le Canada ont bondi de 33 % et l'excédent des filières agricoles et agroalimentaires a été multiplié par trois, à 578 millions d'euros », a-t-il déclaré.

« Le CETA, c'est +24 % d'exportations vers le Canada pour le vin, +60 % pour le fromage, +106 % pour les produits sidérurgiques, +142 % pour les textiles et chaussures. Nos gains ont aussi été considérables en matière de services (+71 %) », a détaillé le ministre.

Pour l'élevage, « nous n'avons pas été envahis par le bœuf canadien, défend Franck Riester. L'effet du CETA a été quasi nul : les importations du Canada représentent 0,0034 % de notre consommation de bœuf. C'est moins de 0,001 % pour la volaille et le porc ! »

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Selon un récent rapport de la Direction générale du Trésor, publié le 7 mars dernier, le commerce de biens entre la France et le Canada a augmenté de 34% entre 2017 et 2023. Les exportations françaises sont passées de 3,2 à 4,2 milliards d'euros (+33%) et les importations de 3,1 à 4,2 milliards d'euros (+35%). La France a enregistré cinq années d'excédent commercial avec le Canada, d'une valeur moyenne de 243 millions d'euros, et deux années de déficit, en 2021 (-295 millions d'euros) et en 2023 (-23 millions d'euros).

Les échanges bilatéraux de biens UE-Canada ont, quant à eux, augmenté de 51% sur la même période, selon les chiffres de la Direction générale du Trésor. Les exportations européennes sont passées de 32 à 49 milliards d'euros (+51%), les importations de 18 à 28 milliards d'euros (+52%), et l'excédent européen de 14 à 21 milliards d'euros (+50%).

Des exportations limitées en volume

Interrogé par La Tribune, l'économiste Maxime Combes nuance néanmoins l'optimisme du gouvernement et ses chiffres, expliquant que si l'accord connaît des gagnants, il fait aussi des perdants. « Sur les vins et spiritueux, ce n'est pas nouveau que la France exporte et gagne sur les marchés internationaux » relativise-t-il. Et sur l'élevage, « le Canada n'utilise pas pleinement l'ensemble des quotas dont il dispose, mais ça viendra un jour ».

« La question, c'est de savoir si on sacrifie demain des producteurs bovins en France pour vendre des vins et spiritueux au Canada », résume l'économiste à l'Association Internationale de Techniciens, Experts et Chercheurs (Aitec). Cet accord génère selon lui « une concurrence entre des secteurs dont les conditions de production sont nécessairement différentes », rejoignant ici les inquiétudes soulevées par le PCF.

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« En termes de retombées économiques générales, ce n'est pas complètement le tableau que voudrait nous décrire la Commission européenne », ajoute Mathilde Dupré, co-directrice de l'Institut Veblen pour les réformes économiques. « Si on regarde les chiffres en volume, on n'est pas sur des tendances très fortes », affirme la spécialiste.

Un bilan du CETA, publié en janvier par l'Institut Veblen, dresse, en effet, un « tableau mitigé pour le commerce ». Celui-ci montre que, en volume, les exportations européennes ont augmenté « de 8% entre 2016 et 2020 » et « de seulement 0.7 % entre 2017 et 2022 », contre une augmentation de « 34 % en quantité entre 2012 et 2017 », avant l'application provisoire de l'accord.

Pour Mathilde Dupré, le bilan est également négatif pour l'environnement. « L'augmentation des échanges s'est faite dans des domaines plutôt mauvais pour l'environnement : engrais, produits énergétiques, produits issus de l'industrie de type fer, aluminium, produits chimiques ou industrie automobile », énumère la co-directrice de l'Institut Veblen.

« Si c'était le même type d'accord avec les Etats-Unis, ce serait une autre affaire »

Charlotte Emlinger, économiste spécialiste du commerce agricole au Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII), salue de son côté « un bilan plutôt positif qui a permis d'augmenter les exportations ». « Le montant n'est peut-être pas celui qui était espéré initialement, mais cela a favorisé le commerce », assure-t-elle.

« Les craintes qu'on pouvait avoir sur une très forte hausse des importations de viande n'ont pas eu lieu, assure l'économiste. Le CETA n'a pas ouvert complètement le marché. Pour bénéficier des baisses de droits de douane, il fallait que les agriculteurs canadiens se mettent à niveau sur les standards et normes et ils ne l'ont pas fait », explique-t-elle.

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« Le Canada n'est pas un pays très important en termes de volume, de commerce » rappelle enfin Charlotte Emlinger. « Si c'était le même type d'accord avec les Etats-Unis, ce serait une autre affaire, mais je ne comprends pas toujours très bien la forte opposition qui peut être générée sur cet accord », déclare l'économiste.

Si le Parlement français venait à rejeter le CETA, cela remettrait en cause son application provisoire à l'échelle de toute l'Europe. À condition néanmoins que le gouvernement français notifie à Bruxelles la décision de son Parlement, ce qu'il n'est pas tenu de faire. Seul Chypre l'a rejeté, mais le gouvernement chypriote n'a jamais notifié ce rejet, ce qui permet à l'accord de continuer de s'appliquer.

Commentaire 1
à écrit le 21/03/2024 à 15:03
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a quand une amande pour ceux qui se drogue et double a la constatation de nouveau delit et ce sans limite pour atteindre le million d'euro

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