Élections allemandes : ce qu'attendent les entreprises du futur gouvernement

Pour les entreprises, les incertitudes politiques sur la coalition qui va gouverner, les conséquences de la crise sanitaire et la nécessité d'accélérer les transitions énergétique et numérique mettent à l'épreuve la stabilité des 16 années de Angela Merkel. Elles comptent sur les investissements publics pour s'adapter et retrouver de la compétitivité. Pour cela, il faudra faire sauter le verrou de la rigueur budgétaire pour les prochaines années. C'est l'un des enjeux du scrutin de dimanche.
Robert Jules
(Crédits : Reuters)

Dimanche prochain, une nouvelle page va s'ouvrir en Allemagne après 16 années de stabilité liée à la longévité politique de la chancelière Angela Merkel. Si tous les partis en compétition lors des élections législatives assurent vouloir assurer cette "stabilité", les entreprises allemandes savent qu'elles doivent relever quelques défis - la transition écologique en particulier - dans un contexte changé par la crise sanitaire. Ainsi, un certain nombre de convictions économiques et financières ont été ébranlées. "Avec la crise, l'Allemagne a compris qu'il n'y avait pas de place pour la seule rigueur budgétaire", souligne Patrick Brandmaier, ​​directeur général de la Chambre franco-allemande de commerce et d'industrie (CFACI).

La crise du Covid-19 a également montré les fragilités d'un modèle économique basé sur les exportations. Outre Rhin, le PIB devrait s'afficher selon les estimations de l'OCDE en hausse de 2,9% en 2021 (en France, il progressera de 6,3%), puis croître de 4,6% en 2022 (4% pour la France). Et si en juillet la production industrielle du pays a augmenté pour la première fois en quatre mois, de 1% par rapport à juin, "elle reste inférieure de 5,5% à son niveau d'avant la pandémie", soulignent les experts du cabinet d'étues Oxford Economics. Et le doute s'installe. L'indice Zew qui évalue le sentiment de confiance économique des entreprises baisse en septembre pour le quatrième mois consécutif pour se retrouver au plus bas depuis mars 2020 quand la crise sanitaire a débuté.

Un paysage politique fragmenté

Aux incertitudes économiques, s'ajoutent les incertitudes politiques. Il est difficile de prévoir quelle coalition gouvernera tant le paysage politique est aujourd'hui fragmenté. Cinq partis sont susceptibles de participer à des négociations :  les conservateurs (CDU-CSU), les sociaux-démocrates (SPD), les libéraux (FDP), les écologistes (Verts) et l'extrême gauche (Die Linke). Établir un contrat de gouvernement pourrait prendre quelques semaines, voire des mois.

En attendant, les entreprises allemandes comme leurs homologues européennes doivent composer avec l'évolution de la crise sanitaire ravivée par le variant Delta et la pénurie de matières premières. "Avec la forte demande due au rebond de l'économie depuis le printemps, les entreprises allemandes ont du mal à assurer l'offre, notamment en raison de la pénurie de matières premières, comme, par exemple, les composants électroniques pour l'industrie automobile", indique Philippe Gudin, économiste chez Barclays Europe.

L'inflation, un vrai problème pour le pays

Cette situation va alimenter une augmentation des prix et peser sur la compétitivité. "Les entreprises vont répercuter la hausse des coûts des inputs sur les consommateurs, ce qui va alimenter une inflation qui devrait approcher 5% à la fin de l'année. Cela devient un vrai problème pour le pays", alerte l'économiste de Barclays Europe.

Inflation qui pourrait être nourrie par une hausse des salaires, qui n'ont que peu évolué ces dernières années en raison de la politique de "modération salariale". Or, le SPD, dans ses propositions, a inscrit une majoration de 12% du Smic, que certains secteurs comme le tourisme et la restauration rejettent aujourd'hui.

Outre la rémunération, le recrutement commence également à devenir problématique. "La main d'œuvre qualifiée se raréfie avec la chute de l'apprentissage alors que chaque année en moyenne partent à la retraite 300.000 employés qualifiés", souligne Patrick Brandmaier.

Vieillissement de la population

Les entreprises subissent de plein fouet les conséquences démographiques du vieillissement de la population. "Le marché du travail est sous tension. Le taux de chômage selon les normes du BIT est faible, sous les 4%. Les entreprises allemandes peuvent rencontrer dans certains secteurs un problème de recrutement de main-d'œuvre. Pour y remédier, il y a l'assimilation et la formation des immigrés, nécessaires à la pérennité du système des retraites et de la croissance économique. Une solution pourrait être aussi le recul de l'âge de la retraite, mais c'est politiquement sensible", explique Philippe Gudin.

A plus long terme, les acteurs économiques savent qu'ils doivent relever le défi de chantiers colossaux : les transitions énergétique et numérique. "Les entreprises attendent une accélération sur ces chantiers. Le futur gouvernement devra en faire ses priorités, car chaque chef d'entreprise allemand pense à la transformation écologique. C'est un enjeu à la fois politique, économique et industriel. Le but est de renforcer la compétitivité de l'Allemagne", considère Patrick Brandmaier.

Un plan de soutien de 130 milliards d'euros

Comme dans d'autres pays, la crise sanitaire du coronavirus a obligé le gouvernement fédéral à apporter un soutien à l'ensemble de l'appareil économique, qui avait été mis à l'arrêt. Dès juin 2020, il a adopté un plan sur deux ans d'un montant de 130 milliards d'euros. Outre l'aide à court terme, le plan prévoit de financer et soutenir des initiatives en faveur de la protection du climat et du développement des technologies d'avenir, par exemple dans les mobilités, la rénovation des bâtiments ou encore un soutien à la constitution d'une filière hydrogène.

Quant à la transition numérique, "des investissements publics sont également nécessaires. La numérisation des services de l'administration publique en Allemagne est très en retard par rapport à d'autres pays", rappelle Philippe Gudin.

Une impulsion financière qui devrait probablement offrir des opportunités aux entreprises, notamment celles du Mittelstand, plutôt habituées à financer sur leurs fonds propres leurs investissements, mais aussi imposer un cadre plus strict en termes de réglementation que devra mettre en place la prochaine chancellerie. "Face à ce tsunami de contraintes réglementaires, il va falloir un cadre normatif très contraint", prévoit Patrick Brandmaier.

Consensus sur la croissance verte

Or, s'il existe un certain consensus sur la nécessité de la croissance verte et de la transition énergétique, il y a des différences notables sur la mise en œuvre. La CDU-CSU et le SPD prônent la neutralité carbone d'ici 2045, et le SPD propose la sortie progressive de l'Allemagne du charbon d'ici 2038. Les Verts avancent la neutralité carbone  à 2040, et la sortie du charbon à 2030. Par ailleurs, le SPD fixe un objectif de 100% de production d'électricité par les énergies renouvelables en 2040, une échéance que les Verts avancent à 2035.

"Pour relever le défi de la transition énergétique, les entreprises allemandes attendent du nouveau gouvernement des investissements publics. Les Verts et le SPD y sont favorables, le FDP considère que le mécanisme du marché du carbone et les incitations à l'investissement privé peuvent suffire", estime Philippe Gudin.

Or, depuis leur niveau de 2015, les investissements publics ont baissé. Le FMI avait déjà sommé l'Allemagne de les relancer critiquant son modèle mercantiliste qui affaiblissait ses partenaires européens. La crise a là aussi remis en cause ce dogme. "Le modèle économique allemand dépend trop des exportations, ce qui crée un déséquilibre avec les autres pays de la zone euro. Une stimulation de la demande intérieure via des hausses de salaires et des investissements publics dans le pays, notamment dans les infrastructures, pourraient permettre un rééquilibrage et une meilleure intégration européenne", juge Philippe Gudin.

Rigueur budgétaire ou dette

Quant aux modalités de ces financements importants pour aider les entreprises à changer de modèle de développement, il divise les partis en lice. Or, c'est un point clé car il porte sur la rigueur budgétaire qui est un pilier de la gouvernance allemande.

Depuis 2020, l'Allemagne a contracté une dette de près de 190 milliards d'euros, soit 4,2% de son PIB. Elle a enregistré son déficit public le plus important depuis trente ans, qui pourrait se rapprocher des 9% cette année. Les habitudes ayant la vie dure, le gouvernement a préparé son budget 2022 sur un déficit public de 3%. La dette publique devrait atteindre 74,5% du PIB cette année, et devrait se maintenir à ce niveau à ce niveau-là. "La coalition qui va gouverner sera face à un dilemme en matière budgétaire. Les investissements publics nécessaires pour les entreprises allemandes sont de nature à creuser le déficit. Or le mécanisme constitutionnel de "frein à la dette" doit s'appliquer à nouveau à partir de 2023. Soit il va falloir augmenter les impôts, ce que refuse le FDP, soit modifier la constitution comme le préconisent les Verts ou du moins trouver un moyen de contourner la règle », explique l'économiste de Barclays Europe.

Ce sera probablement sur ce choix que risquent de buter les discussions pour constituer une coalition de gouvernement, car le "frein à la dette", qui vise à équilibrer le budget de l'Etat, empêche aujourd'hui l'investissement indispensable pour soutenir la transformation des entreprises et leur compétitivité. Mais comme l'a montré Angela Merkel durant ses 16 ans au pouvoir, l'Allemagne peut se montrer extrêmement pragmatique quand il en va de l'intérêt de ses entreprises.

Robert Jules
Commentaire 1
à écrit le 25/09/2021 à 9:02
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Qu'ils reprennent un scientifique ,ils sont cartésiens ,ils ont l'esprit analytique , du bon sens ,vont droit à l'essentiel et ils savent compter . C'est déjà énorme .

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