Malgré l'annonce mercredi d'une poussée de 5,1% en janvier, la Banque centrale européenne (BCE) a maintenu jeudi ses taux directeurs à leur plus bas historique et confirmé l'arrêt fin mars de son programme d'urgence PEPP mis en place durant la pandémie, selon un communiqué à l'issue de la réunion du Conseil des gouverneurs.
Deux heures auparavant, la Banque d'Angleterre avait, elle, annoncé un nouveau relèvement de 25 points de base, portant le taux directeur à 0,50%, et cessant son programme de rachats d'obligations.
"La BCE semblant être la dernière à céder et à abandonner son engagement envers ses croyances antérieures sur l'inflation transitoire, les rendements s'envolent et cela pèse lourdement sur les marchés boursiers européens. La question est maintenant de savoir jusqu'où iront les attentes, car il pourrait y avoir beaucoup de retard à rattraper", réagit Craig Erlam, analyste chez OANDA.
Taux négatif pour les dépôts
La BCE a, en effet, maintenu son principal taux d'intérêt à zéro, tandis que les banques se verront appliquer un prélèvement de 0,50% sur une partie des dépôts qu'elles confient à la banque centrale au lieu de les prêter à leurs clients.
Le ralentissement des achats d'actifs dans le cadre du programme d'achats d'urgence mis en place durant la pandémie (PEPP) est prévu de s'achever à la fin mars 2022. Le remboursement des titres acquis dans le cadre du PEPP seront réinvestis jusqu'à la fin de 2024, indique le communiqué de l'institution de Francfort.
Quant au programme de rachats d'actifs qui existait avant la pandémie et l'un des volets de la politique monétaire accommodante, la BCE indique que "les achats nets mensuels en vertu du programme d'achats d'actifs (asset purchase programme, APP) seront de 40 milliards d'euros au deuxième trimestre 2022 et de 30 milliards au troisième trimestre".
La BCE précise que "à compter d'octobre, et pendant aussi longtemps que nécessaire pour renforcer les effets accommodants des taux d'intérêt directeurs", les achats nets d'actifs en vertu de l'APP se poursuivront à un rythme mensuel de 20 milliards d'euros. La fin des achats nets sera effective "peu avant de commencer à relever les taux d'intérêt directeurs de la BCE", indique le communiqué, signifiant par là qu'une telle hausse n'interviendra qu'à la fin de l'année ou au début de 2023.
Mais dans sa conférence de presse, la présidente de la BCE s'est montré moins affirmative mettant l'accent sur les incertitudes et la nécessité de s'adapter à l'évolution de la conjoncture. "Christine Lagarde a plutôt mis l'accent sur la dépendance aux données et a souligné l'importance de la réunion de mars, au cours de laquelle de nouvelles projections seront annoncées. On peut y voir une indication selon laquelle, compte tenu de la persistance de taux d'inflation élevés, le débat sur une sortie plus rapide de la politique monétaire expansive prend de l'ampleur dans la zone euro également. Une première hausse des taux d'intérêt avant la fin de l'année semble donc être un scénario tout à fait réaliste", considère Ulrike Kastens, économiste chez DWS.
L'inflation refluera dans les prochains mois
La BCE prévoit que l'inflation refluera dans les prochains mois et reviendra en 2023 puis en 2024 juste en dessous de son objectif de 2%. Mais certains dirigeants de la banque centrale ne cachent pas leurs doutes sur la validité de ce scénario, en s'appuyant sur le fait qu'elle a dû à plusieurs reprises revoir à la hausse ses prévisions d'inflation.
"Cette approche attentiste contraste avec les attentes du marché, qui tablait sur des hausses de taux d'intérêt dès cette année. Cela pourrait accroître la divergence avec les investisseurs qui voient la position de la BCE augmenter le risque sur les actifs obligataires. Compte tenu de l'incertitude sur l'évolution des prix de l'énergie et de possibles nouveaux effets inflationnistes créés par les tensions sur les marchés du travail, il y a des risques que l'inflation persiste, appelant éventuellement à une hausse des taux en 2023", indique Pietro Baffico, économiste chez abrdn.
Divergence avec les investisseurs
Les investisseurs ne semblent pas convaincus en effet puisque les taux à terme sur les marchés monétaires ont déjà intégré un relèvement de près de 30 points de base d'ici la fin de l'année, avec un début du resserrement dès juillet. L'indice Stoxx Europe 600 a terminé la séance en baisse de 1,8%, le CAC 40 de 1,54%.
"Face à des taux directeurs moyens anticipés proche des 1.00% dans un an pour le G10, Christine Lagarde a laissé la porte ouverte à toutes les options possibles pour 2022. C'est donc possiblement le début d'un revirement monétaire et dans ce contexte les taux courts ont monté de près de 12 points de base. Le mimétisme pourrait donc finalement pousser la BCE à sortir de son isolement monétaire", anticipe pour sa part Nicolas Forest, responsable de la gestion obligataire chez CANDRIAM.