La publication ce mercredi des chiffres sur l'inflation dans la zone euro va rendre de plus en plus difficile pour Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne (BCE), de continuer à caractériser la hausse des prix de "transitoire", comme elle l'a fait au cours des dernières réunions des membres de l'institution monétaire. Les observateurs en auront une idée à l'issue de la conférence de presse qui suivra la tenue jeudi de la réunion intermédiaire de Conseil des gouverneurs de la BCE.
Le consensus tablait sur un ralentissement
Selon les données publiées par Eurostat ce mercredi, les prix à la consommation dans les 19 pays ayant adopté la monnaie unique ont progressé en janvier de 5,1% par rapport à janvier 2021. Il s'agit là d'un record historique depuis la création de l'euro. Le consensus établi par l'agence Reuters tablait sur un ralentissement, à 4,4%, après le niveau record atteint en décembre, à 5%.
Le principal facteur qui perturbe les anticipations d'inflation est l'énergie. Sa facture s'envole de 28,6% en janvier, alors qu'elle avait déjà augmenté de 25,9% en décembre. Dans des proportions plus modestes, les prix de l'alimentation, de l'alcool et du tabac ont progressé de 3,6%, ceux des services de 2,4% et ceux des biens industriels hors énergie de 2,3%.
En revanche, le rythme de hausse de l'inflation sous-jacente, hors énergie et alimentation, ralentit légèrement à 2,5% contre 2,7% en décembre. Cet indicateur est particulièrement scruté par la BCE, car moins volatil.
En effet, jusqu'à aujourd'hui, la Banque centrale européenne estime que la hausse des prix se nourrit des perturbations des chaînes d'approvisionnement, une situation qui va se résoudre au fil des mois. L'institution projette même que l'inflation repassera sous le seuil des 2% à partir de 2023, l'objectif officiel qu'elle vise.
L'incertitude reste forte
Toutefois, au gré des données égrenées ces derniers mois, un nombre important de responsables ont remis en question la qualité des projections de la BCE et ont fait valoir que l'inflation risquait de terminer l'année à un niveau plus élevé qu'anticipé par l'institution de Francfort. "Christine Lagarde devrait reconnaître la tendance à la hausse de l'inflation, et donc la nécessité de relever sensiblement sa prévision d'inflation pour 2022 en mars, sans doute de plus de 100 points de base, mais l'incertitude reste forte, notamment en ce qui concerne les perspectives d'inflation et de croissance à moyen terme, ce qui conduira la BCE à différer toute annonce significative. Christine Lagarde devrait aussi réaffirmer que des hausses de taux sont peu probables en 2022", commente François Rimeu, stratégiste à La Française AM.
Mais l'institution de Francfort peut-elle ignorer la prise de position de la Fed, qui a indiqué la semaine dernière qu'il y aurait une hausse des taux, dont la première probablement en mars, l'arrêt du rachat du programme d'actifs, et le début d'un allègement du bilan de la Réserve fédérale ?
"La hausse incessante de l'inflation a conduit la plupart des banques centrales à entamer une normalisation de leurs positions politiques. La patience des faucons de la BCE risque de s'émousser à mesure que les pressions inflationnistes sous-jacentes continueront de se renforcer au cours des prochains mois", analysent Frederik Ducrozet, stratégiste, et Nadia Gharbi, économiste, chez Pictet Wealth Management. Les deux experts anticipent que "la BCE ramène son taux de dépôt à zéro en deux hausses de 25 points de base en mars et juin 2023, avant de faire une pause au second semestre 2023".
Comme il s'agit jeudi d'une réunion intermédiaire sans communication des projections sur la conjoncture, le Conseil des gouverneurs de la BCE devrait maintenir sa politique monétaire en l'état car les arguments avancés lors des précédentes réunions restent d'actualité. "La vision à plus long terme devrait rester inchangée : la BCE devrait maintenir sa vue d'une inflation sous-jacente sous les 2% en 2023. Par ailleurs, elle pourra également utiliser les derniers développements sur le front de la pandémie avec la diffusion du variant Omicron et le risque de ralentissement des niveaux d'activité au premier trimestre ainsi que les risques géopolitiques pour justifier sa position accommodante tout en soulignant certains risques pour le scénario central sur la croissance", souligne Vincent Manuel, Directeur des investissements chez Indosuez Wealth Management.
Le problème des différences d'inflation dans la zone euro
En outre, un autre point complique la tâche de la BCE par rapport à la Fed: la différenciation des taux d'inflation entre pays. "Hausse des taux, hausse des taux... D'accord, mais à quel niveau en Europe ? A quel niveau pour l'Allemagne, pour l'Italie, la Grèce, la France ? Cela, on ne le voit quasiment jamais pour la simple et bonne raison qu'aucun modèle mathématique n'existe aujourd'hui pour les calculer tant la zone euro est dotée d'un système complexe et aux agrégats nombreux et parfois antinomiques", soulignent les experts du gérant obligataire Octo AM. A raison, au regard des différences. La hausse des prix atteint, en janvier, 5,1% en Allemagne, 5,3% en Italie, 6,1% en Espagne, 8,5% en Belgique, 7,6% aux Pays-Bas, mais "seulement" 3,3% en France, le taux le plus bas de la zone euro. De tels écarts rendent d'autant plus complexe l'établissement d'un taux idéal pour tous les pays.
Reste que si la Fed commence à augmenter ses taux directeurs en mars, et resserrer tous les dispositifs de sa politique monétaire accommodante, le mouvement va se propager à travers l'économie mondiale. C'est le chemin que devrait suivre la Banque centrale d'Angleterre qui tient également une réunion ce jeudi. Après avoir déjà relevé, à la surprise générale, son taux directeur de 0,10% à 0,25% en décembre, elle pourrait récidiver en le portant à 0,5% pour enrayer une inflation qui s'affichait à 5,4% en décembre après 5,1% en novembre. Dans ces conditions, la BCE peut-elle rester sans bouger comme l'a fait durant plusieurs mois la Fed, avant de faire volte-face, son président Jerome Powell faisant même un mea culpa en reconnaissant la nécessité d'agir de manière "humble" et "agile" devant l'évolution de la conjoncture ?
Salaires et gaz
"La réponse tient en deux mots : salaires et gaz. Le marché du travail en zone euro ne connaît pas de tensions de salaires, à la différence des Etats-Unis, et la BCE juge qu'il en sera ainsi sur son horizon de prévision. En outre, elle ne peut pas grand-chose pour peser sur les prix de l'énergie qui sont responsables de l'aggravation récente du risque inflationniste", expliquent Bruno Cavalier et Fabien Bossy, chez Oddo BHF. Autrement dit, la position de la BCE dépend aussi de l'évolution de l'affrontement - pour l'instant diplomatique - entre l'Otan et la Russie sur le théâtre des opérations ukrainien et de la capacité des salariés à obtenir des augmentations.