"Les ambitions et les axes stratégiques de Covéa restent inchangés" (Thierry Derez, PDG)

ENTRETIEN. Au terme d'une année compliquée pour le groupe d'assurance mutualiste Covéa, le PDG Thierry Derez et son nouveau numéro deux, Paul Esmein, reviennent pour La Tribune sur le bilan du groupe, les polémiques qui ont frappé le secteur, mais aussi sur les sujets de gouvernance alors que le régulateur réclame davantage de contre-pouvoirs et de transparence.
Thierry Derez (à gauche), PDG du groupe Covéa, et Paul Esmein, directeur général adjoint, misent sur la croissance organique en France et restent attentifs aux opportunités de croissance externe dans la réassurance.
Thierry Derez (à gauche), PDG du groupe Covéa, et Paul Esmein, directeur général adjoint, misent sur la croissance organique en France et restent attentifs aux opportunités de croissance externe dans la réassurance. (Crédits : Thierry Borredon)

LA TRIBUNE - Quel bilan tirez-vous de cette année 2020 à la fois atypique et difficile pour Covéa et le secteur de l'assurance ?

THIERRY DEREZ - La pandémie aura bien évidemment un impact sur nos résultats, même si toutes les branches ne sont pas touchées de la même façon. L'impact est positif sur l'assurance automobile et la santé - même si la taxe sur l'assurance santé sera supérieure aux gains de l'année - et neutre sur l'habitation. En revanche, l'impact est beaucoup plus lourd sur l'assurance dommages entreprise, de l'ordre de plusieurs centaines de millions d'euros. Le coût définitif n'est pas encore arrêté, compte tenu des contentieux et des discussions avec les réassureurs qui ne sont pas achevées.

En revanche, ce qui est déjà connu, c'est notre contribution aux mesures gouvernementales de financement de l'économie, et les 400 millions d'euros que nous avons consacrés aux gestes de solidarité au-delà de nos engagements contractuels. Ils ont bénéficié à nos sociétaires et clients et aussi à nos prestataires et fournisseurs. Nous continuons également à venir en aide à des associations, telles que la Fondation des femmes qui lutte contre les violences intrafamiliales.

Comment expliquez-vous que ces efforts de solidarité n'aient pas apaisé la grogne contre les assureurs ?

T.D. - Cela tient sans doute à la nature même de notre métier. Nous sommes sans doute le seul secteur économique où le client achète un produit en espérant ne jamais s'en servir ! C'est un point important, qui relève de la symbolique du malheur, de l'adversité. Les primes sont versées avant de régler les sinistres : c'est un cycle économique inversé. Ce n'est pas toujours facile à comprendre. Enfin, le secteur doit présenter une image de robustesse et de solidité à toute épreuve. Cette image est d'ailleurs confortée par la réglementation prudentielle qui exige de l'assureur une espérance de vie de deux siècles !

PAUL ESMEIN - Il existe en effet une incompréhension de notre métier et nous devons faire de réels efforts de pédagogie. Regardez la polémique sur l'assurance automobile qui connaît en effet moins de sinistres en 2020 : personne n'a semble-t-il à l'esprit que notre modèle repose sur la mutualisation des risques, donc que les gains d'une branche compensent les pertes d'une autre, et inversement. Toutefois, nous observons un grand décalage entre ce qui se dit et la réalité du terrain. Pour Covéa, 2020 restera une bonne année en termes de satisfaction de la clientèle, avec un taux de résiliation des contrats inférieur à celui de 2019. Le solde net du nombre de contrats sera positif.

Vous avez pourtant renoncé pour 2021 à commercialiser des contrats pertes d'exploitation sans dommages...

T.D. - Pour être précis, nous avons supprimé les clauses liées aux fermetures administratives. Pour une raison simple : nous n'avons plus de couverture de réassurance pour ce type de risque. Ce qui a une incidence forte sur les tarifs, mettant en doute la pertinence même de la couverture pour une prochaine pandémie.

Avez-vous été surpris par l'abandon par Bercy du dispositif Catex proposé par les assureurs visant à créer une couverture minimale en cas de future pandémie ?

P.E. - Nous ne sommes pas vraiment surpris. Les propositions de Bercy n'étaient pourtant pas si différentes du projet porté par les assureurs. C'est le paramétrage du dispositif qui divergeait, notamment le coût maximal supporté par les finances publiques. Il s'agissait en effet d'un partenariat public-privé, dans lequel les assureurs prenaient en charge le coût du premier risque, et au-delà d'un certain seuil, c'est le réassureur public qui intervenait, via la CCR [Caisse centrale de réassurance, Ndlr].

Mais pour que ce mécanisme puisse fonctionner, il doit reposer sur une mutualisation des risques, et donc une adhésion obligatoire en inclusion des contrats dommages d'entreprises. Au regard du contexte économique, les fédérations professionnelles n'ont pas souhaité supporter une nouvelle cotisation. Les négociations sont arrêtées mais le projet existe et il pourrait bien revenir sur la table quand la situation économique sera stabilisée.

L'abandon de votre projet de rachat du réassureur PartnerRe remet-elle en chantier la stratégie du groupe Covéa ?

T.D. - Nous avons en effet souhaité renégocier le prix de vente compte tenu des circonstances exceptionnelles et des incertitudes créées au début de la pandémie, incertitudes qui ne sont d'ailleurs pas toutes levées aujourd'hui. Cette demande n'a pas rencontré l'assentiment du vendeur et nos administrateurs en ont tiré, avec courage, les conclusions qui s'imposaient. Mais nos ambitions et nos axes stratégiques restent inchangés: croissance organique en France et croissance externe à l'international dans le métier de la réassurance. Sur la réassurance, le raisonnement reste le même : diversifier les risques et compléter ainsi notre empreinte sur l'assurance. Mais les incertitudes planétaires actuelles rejaillissent sur le métier et sa valorisation. Nous verrons quand l'environnement sera plus apaisé.

P.E. - Cette crise nous a confortés dans nos choix stratégiques et notre vision du marché. L'idée selon laquelle l'assurance primaire porterait le risque de fréquence et la réassurance le risque d'intensité ne reflète plus totalement la réalité.

Avez-vous encore du potentiel de croissance en France et envisagez-vous des opérations de croissance externe dans l'hexagone ?

T.D. - Nous sommes leaders en France sur des segments importants, comme l'automobile, l'habitation, les flottes d'entreprises ou la protection juridique. Nous ne sommes donc pas qualifiés pour reprendre des actifs IARD en France, sauf sur des niches. Et l'assurance-vie n'est pas forcément un marché sur lequel nous avons envie d'investir compte tenu du niveau actuel des taux ! Tout notre engagement est donc de continuer à gagner des parts de marché en proposant les meilleurs services aux meilleurs coûts. C'est toute la logique du regroupement des mutuelles pour améliorer la compétitivité et la qualité. Il y a encore beaucoup de potentiel de croissance devant nous.

Quel est l'objectif de votre partenariat de co-investissement avec le holding Exor, maison-mère de PartnerRe ?

T.D. - Ce partenariat était prévu dès l'origine dans les discussions que nous avions avec Exor lors de notre proposition d'achat de PartnerRe. Nous avons des compétences et des capacités complémentaires. Exor nous apporte notamment son expertise du tissu industriel et des technologies. Par ailleurs, il nous est apparu opportun d'investir dans des véhicules side-cars de réassurance à un moment où les prix paraissent monter.

Vous avez été assez critiqués par le régulateur sur votre gouvernance avec, selon lui, une concentration excessive des pouvoirs. La nomination récente de Paul Esmein en tant que numéro deux du groupe est-elle une réponse aux critiques du régulateur ?

T.D. - Le régulateur nous a effectivement invités à travailler avec lui sur des évolutions de notre gouvernance. Nous avons bien évidemment saisi cette invitation. Et la nomination d'un numéro deux fait partie de ces réponses. Mais nos initiatives pour notre gouvernance ne s'arrêtent pas là. Nous avons également renforcé les pouvoirs de contrôle du conseil d'administration, avec la création de comités spécifiques, comme un comité des risques distinct du comité d'audit et un comité stratégique. Enfin, nous avons enrichi les missions du comité des rémunérations en lui confiant des pouvoirs de nominations des dirigeants des différentes structures du groupe.

P.E. - Nous travaillons par ailleurs sur les pouvoirs de contrôle de l'assemblée générale de la SGAM Covéa, en modifiant la manière dont les mutuelles nomment leurs représentants. Enfin, nous avons un chantier ouvert sur la simplification des structures du groupe. Ce processus prendra environ 2 à 3 ans, notamment pour laisser le temps nécessaire à la consultation des sociétaires et de leurs représentants.

Pour quelles raisons avez-vous maintenu la fonction de PDG alors que les régulateurs recommandent la dissociation des fonctions pour les grands groupes d'assurance ?

T.D. - Tout d'abord parce que c'est parfaitement légal. Ensuite, cette organisation renvoie à l'histoire même du groupe. Les périodes de grandes difficultés rencontrées par certaines de nos mutuelles l'ont été à des périodes de dissociation des fonctions. Ces mauvaises expériences ont laissé des traces. Enfin, cette question relève en dernier ressort du conseil d'administration. Et ce dernier a pu constater que le cumul des fonctions fonctionne plutôt bien, avec un groupe leader sur ses marchés et une solidité financière saluée par les agences de notation. Le conseil a donc choisi la formule Président-Directeur général. La porte n'est bien évidemment pas fermée, mais le choix aujourd'hui est de maintenir cette forme de gouvernance.

Comment réagissez-vous à la lourde condamnation du Tribunal de Commerce pour violation de vos devoirs d'administrateur dans le contentieux qui vous oppose depuis deux ans et demi au réassureur Scor ?

T.D. - Cette décision contourne tout d'abord, pour ne pas la traiter, la question centrale de l'intérêt de l'entreprise. La mission principale d'un administrateur est pourtant d'œuvrer dans ce sens. Qui plus est, dans ce cas spécifique, je n'ai jamais été autorisé à présenter mon projet au conseil et a fortiori à répondre aux questions. En outre, le jugement aboutit à une décision critiquable en droit, et ce à partir d'allégations que je réfute totalement. C'est la raison pour laquelle nous avons formé recours auprès de la Cour d'appel, composée de juges professionnels.

P.E. - Au-delà du dossier lui-même, il faut s'interroger sur la portée de cette décision pour une majorité d'entreprises. Elle signifie tout simplement qu'un actionnaire ne peut plus siéger à un conseil, sauf à s'interdire par avance de proposer tout projet stratégique ou de défendre une offre alternative. Ensuite, dans le détail, le jugement s'appuie sur le règlement intérieur du conseil dont le but aurait dû être en principe d'encadrer les débats et non de brider la capacité d'intervention d'un administrateur. Une telle décision est un déni du rôle tant des administrateurs que des actionnaires.

T.D. - Permettez-moi également une observation. Je rappelle que c'est parce que je suis dirigeant de Covéa, que j'ai été nommé au conseil de Scor. Comme ce fut d'ailleurs le cas pour mon prédécesseur, Jean-Claude Seys. Ma fonction était connue de tous. Et c'est à la demande expresse de Scor que je suis resté administrateur lorsque Covéa est devenu son premier actionnaire.

Quelle est votre plus forte inquiétude pour 2021 ?

T.D. - Ce qui m'inquiète le plus est le coût social de cette crise. Nous ne voyons pas encore les dégâts sociaux, psychologiques et psychiques que cette crise est en train de générer. Il va falloir beaucoup de courage, d'imagination et d'audace pour relever collectivement ce défi.

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