Les bons résultats de l'exercice 2022 publiés cette semaine par les cinq principales banques françaises (BNP Paribas, Société générale, Crédit mutuel Alliance fédérale, Crédit agricole et BPCE), soit près de 28 milliards d'euros de profits nets cumulés, annoncent pourtant des lendemains plus difficiles en 2023. Du moins pour les activités de banque de détail en France.
La raison ? Une montée trop rapide des taux d'intérêt qui n'a pas le temps de se diffuser dans les bilans, notamment au passif, compte tenu des spécificités du marché français. Et le dirigeants des banques les plus exposées au marché français, les réseaux mutualistes en tête, ont pris soin d'expliquer cet aléa de la gestion actif/passif qui plombe les marges d'intérêt.
Comme le résume le tout nouveau président du directoire de BPCE (Banques populaires Caisses d'épargne), Nicolas Namias, « plus nous sommes exposés à l'économie française, plus le pincement des marges sera important. C'est ce que nous avons commencé à voir à la fin de l'année 2022 et c'est ce qui va marquer toute l'année 2023 ». Pour comprendre cet état plutôt contre-intuitif alors que le secteur bancaire n'a cessé de se plaindre ces quinze dernières années de la chute des taux, il faut en effet se plonger dans le bilan d'une banque française sur son marché domestique.
Livret A : un impact de 2,4 milliards d'euros en 2023
A l'actif du bilan se trouvent en effet des encours de crédit à taux fixes, à taux bas et à duration très longue. En face, au passif, il y a des dépôts (gratuits), de l'épargne réglementée, plus ou moins importants, dont le coût explose et des financements de marché à des taux de marché (qui augmentent). Bref, les banques sont confrontées à des emplois à taux fixe et à des ressources à taux variables. Certes, l'actif va progressivement s'ajuster au fur et à mesure de la production nouvelle de crédit, elle-même contrainte par le taux d'usure. « Les masses sont telles que l'on sait comment cela va se matérialiser en 2023 mais il est important d'avoir une solidité financière pour faire face à cette phase transitoire », précise Nicolas Namias.
Ainsi, pour les réseaux de BPCE, la hausse des taux de l'épargne réglementée en 2022 - sur laquelle le groupe a une part de marché historique importante - s'est traduite par un impact négatif sur le produit net bancaire de 700 millions d'euros. Et la note va logiquement s'aggraver en 2023 alors que le taux du Livret A est désormais de 3 % depuis le 1er février. « Le passage à un taux Livret A de 3% et 6% sur le LEP aura un impact de l'ordre de 2,4 milliards d'euros en année pleine, soit environ 1,4% du produit net bancaire annuel total du secteur bancaire français », avance Rafael Quina, directeur chez Fitch, en charge du secteur bancaire.
Bien sûr, les banques, dans la gestion de leur actif passif, tentent de contenir ce risque de taux et de liquidité par des opérations de marchés. Ainsi, la Société Générale a mis en place des couvertures mais qui, précise Claire Dumas, directrice financière, « nous privent d'une partie du bénéfice de la hausse des taux. Ces couvertures vont progressivement arriver à échéance en 2024 et 2025 et capturer le plein bénéfice de la hausse des taux ».
Amortisseur de chocs
Toutefois, souligne l'agence Fitch, parmi les banques françaises, ce sont les groupes mutualistes et La Banque Postale qui seront davantage affectés par le pincement des margés, par rapport à BNP Paribas et Société générale qui profitent « d'un positionnement plus orienté vers les services aux entreprises (et donc plus grande exposition à des taux variables et commissions plus élevées), comme le trade finance, le cash management ou l'affacturage ».
Mais, pour Philippe Brassac, directeur général de Crédit agricole SA, ce modèle de transformation « à la française » est un atout. « Contrairement à ce que nous pouvons observer ailleurs, ce modèle délivre de la protection sur les emprunteurs et du pouvoir d'achat sur les épargnants. C'est donc un puissant amortisseur de chocs, et même un réducteur de chocs », explique le dirigeant mutualiste. Ce dernier estime même que ce modèle n'est pas au détriment de la banque.
« Nous sommes sans doute plus affectés que d'autres à court terme par la remontée des taux mais nous retrouverons ces taux dans nos bilans. Mais, pendant cette phase transitoire, et la différence est fondamentale, l'économie aura été protégée, les emprunteurs auront été protégés et nous évitons ainsi des crises immobilières qui naissent de l'incapacité des emprunteurs à rembourser leurs crédits », observe Philippe Brassac. D'autant, s'amuse-t-il, « cela n'empêche pas de délivrer des résultats ! ». En tout cas, cela empêche une explosion du coût du risque sur le crédit immobilier.
« Au terme de cette phase transitoire, le contexte macro financier sera plus intéressant pour les bilans bancaires. Mais l'important est bien de financer l'économie pendant cette phase transitoire », estime Nicolas Namias. « La reprise des marges nettes d'intérêts est plutôt attendue à partir du second semestre 2023 voire début 2024 », confirme Rafael Quina.
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