Après les 25 milliards de dollars de provisions faites par les banques américaines, c'est au tour des établissements européens de mettre des sommes astronomiques de côté pour faire face aux potentielles pertes causées par la crise économique liée à la pandémie de coronavirus. Les établissements bancaires craignent en effet une envolée du nombre de prêts non remboursés de la part des entreprises et des ménages fragilisés par la pire récession depuis la seconde guerre mondiale.
HSBC, Santander, Deutsche Bank accumulent les provisions
A l'occasion de la publication de ses résultats trimestriels, la banque HSBC, établie à Londres mais très exposée à l'Asie, a ainsi révélé avoir provisionné 3 milliards de dollars pour créances douteuses, contre 569 millions de dollars un an auparavant. Ce montant s'explique également par son exposition au courtier pétrolier singapourien Hin Leong, dont la faillite est très controversée. La banque britannique estime que les provisions pour créances douteuses pourraient atteindre entre 7 et 11 milliards de dollars sur l'ensemble de l'année.
L'espagnole Santander, première banque de la zone euro par capitalisation, a quant à elle provisionné 1,6 milliard d'euros en prévision de la crise économique. Les deux géants bancaires ont ainsi vu fondre leur bénéfice de respectivement 57% et 82% au premier trimestre de l'année.
De son côté, Deutsche Bank, la première banque allemande en difficulté depuis des années, a passé des provisions pour pertes sur des crédits s'élevant à 500 millions d'euros entre janvier et mars 2020, contre 140 millions sur la même période l'année précédente.
A chaque banque son rythme
Selon Gwenhaël Le Boulay, directeur associé senior au Boston consulting group (BCG), ces provisions ne sont pas étonnantes et sont le résultat de deux facteurs.
"Premièrement, ces provisions sont effectuées dans une logique d'anticipation car ces pertes n'ont pas encore eu lieu. Aujourd'hui, il est impossible d'avoir une boussole qui indique précisément avec quelle sévérité les différents secteurs seront touchés par la récession économique", explique-t-il.
Dans l'impossibilité de prédire le futur, tout le monde s'attache à établir différents scénarios. Celui du BCG anticipe que les pertes sur crédit seront supérieures d'un facteur cinq aux pertes initialement attendues avant la crise.
"Ensuite, l'autre grand facteur c'est le rythme auquel les différents établissements vont souhaiter passer ces provisions", développe Gwenhaël Le Boulay. Selon lui, les banques les plus solides, celles affichant des ratios de solvabilité les plus élevés, auront tendance à provisionner davantage dès à présent. Les établissements dont les ratios sont plus fragiles pourraient, eux, avoir une lecture différente.
Des craintes sur les stocks de crédits accordés avant la crise
En Europe, les risques sur les crédits pourraient être limités par les différentes mesures gouvernementales, comme le Prêt garanti par l'Etat (PGE) en France qui permet aux banques de ne supporter que 10% du risque. Toutefois, les craintes reposent aussi et surtout sur le stock de crédits accordés en amont de la crise, avant la mise en place du PGE.
"Aujourd'hui, les crédits délivrés sont là pour assurer la continuité de l'activité dans une période difficile. Il n'y a pas de prêts d'investissements ou destinés à faire de nouvelles acquisitions. Mais des investissements ont été faits par le passé et chaque établissement a un coût du risque de crédit sur ces dettes du passé", explique Gwenhaël Le Boulay.
L'importance du financement bancaire en Europe
Les banques françaises, dont les premiers résultats trimestriels sont attendus la semaine prochaine, procèderont-elles à des provisions dans des volumes similaires ? Difficile de répondre tant l'équation intègre différents facteurs. Toutefois, les entreprises françaises, comme européennes, ont davantage recours au financement bancaire qu'aux Etats-Unis.
"Il y a une très forte différence entre les Etats-Unis et l'Europe, en termes d'intermédiation bancaire. Les entreprises américaines font davantage appel aux marchés avec des crédits obligataires notamment. Lorsque l'on regarde le volume des prêts bancaires aux entreprises par rapport au PIB, il est deux fois plus important en Europe qu'aux Etats-Unis", rappelle Gwenhaël Le Boulay.
L'impact bancaire de la faillite d'une entreprise en Europe est donc plus important que celle d'une entreprise outre-Atlantique.
Des banques solides mais des fragilités inévitables
Les établissements européens auront-ils les reins suffisamment solides pour traverser cette crise ? Tous les spécialistes du secteur s'accordent sur un point : les banques sont aujourd'hui beaucoup plus solides aujourd'hui que lors de la crise de 2008 avec des ratios de solvabilité beaucoup plus élevés. Toutefois, cela reste un constat général et "certaines banques sont plus fragiles : intrinsèquement car leurs ratios sont plus bas ou de par leur degré d'exposition à certaines géographies et à certains secteurs qui ont beaucoup souffert ,comme le pétrole et le tourisme", nuance Gwenhaël Le Boulay. En France, où le paysage bancaire est beaucoup moins fragmenté que dans d'autres pays comme l'Allemagne, les groupes se montrent moins fragiles.
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