Crypto-actifs : les six raisons qui accélèrent le mouvement de régulation

Après la folie des cryptos, les États cherchent de plus en plus à sonner la fin de la récréation en encadrant davantage ce secteur naissant. Avec la guerre en Ukraine, ces réflexions, déjà présentes au moment de la crise Covid, passent désormais au rang de priorités aux yeux des régulateurs. La Tribune a identifié six tendances qui pressent le pas de la régulation partout dans le monde.
Jeanne Dussueil
(Crédits : iStock)

Après le temps de l'accélération, vient celui de la régulation, selon le cycle bien connu innovation-spéculation-régulation. Consacré pendant les confinements liés au Covid, le marché des cryptomonnaies continue de croître, pour atteindre aujourd'hui une valorisation de 2.300 milliards de dollars, soit davantage que les subprimes en 2008 (1.200 milliards). Certes, ces derniers étaient disséminés dans une multitude de produits financiers, ce qui a provoqué la crise de confiance entre les banques. Reste que la Banque d'Angleterre n'a pas hésité récemment à faire cette comparaison. La crainte est d'autant plus grande que l'enthousiasme pour les cryptomonnaies, perçues comme un investissement alternatif, se nourrit précisément des crises et soubresauts de l'économie traditionnelle.

Dès lors, partout dans le monde, les régulateurs s'activent pour encadrer, sinon contenir, cette vague numérique. Cette volonté de réguler est désormais bien établie aux Etats-Unis, après bien des hésitations, et le président américain Joe Biden incite désormais les autorités monétaires et financières à plancher sur le dollar numérique et les risques liés aux cryptomonnaies, notamment dans les domaines de la fraude ou du blanchiment.

« Il y a une prise de conscience », confirme à La Tribune la député européenne Aurore Lalucq (Alliance des socialistes et démocrates) qui plaide pour l'élargissement des directives européennes issues du monde de la finance aux cryptoactifs. Parmi ces adaptations, le vote du MiCA (Maket in Crypto Assets) qui va apporter d'ici peu une première pierre à la régulation au niveau européen.

Quels sont les facteurs qui viennent accélérer la régulation des cryptomonnaies ? La Tribune en a identifié six.

1. L'inflation nourrit la quête d'investissements alternatifs

Le monde se trouve désormais face à une inflation jamais atteinte depuis des décennies, du moins dans les pays développés. La guerre en Ukraine n'a rien arrangé, propulsant les prix de l'énergie vers des plus hauts historiques. Conséquence, les banques centrales, en premier lieu la  Réserve fédérale, sont engagées dans un violent resserrement de leur politique monétaire, avec pour effet, une hausse des taux, notamment sur les emprunts d'État, et de peser sur les marchés actions. Face à ce contexte de marché incertain, les investisseurs sont en quête de valeurs refuge face à l'inflation. Et les cryptomonnaies pourraient bien endosser ce rôle même si  l'or a pris près de 20% depuis le début du conflit.

« Les plans de relance, la création monétaire et l'inflation ont modifié les comportements. On se questionne davantage sur la monnaie. Mais ce n'est pas uniquement vers les cryptomonnaies », tempère William O'Rourke, avocat spécialisé sur le secteur au cabinet ORWL. Accélération du mouvement de la régulation ou confirmation ?

« Il n'y a pas de corrélation évidente avec la crise ukrainienne. La loi MiCA était liée à Facebook et à son projet de crypto Libra en 2018 (abandonné depuis ndlr). Avant cela, l'engouement pour les ICO (initial coin offering) ont donné le statut "PSAN" en 2019, introduisant un enregistrement exigeant auprès de l'AMF. Aujourd'hui, la guerre en Ukraine crée surtout de la pression politique et des fantasmes autour des oligarques russes, notamment avec les textes AML (anti money laundering) qui sont actuellement en discussion à Bruxelles », observe l'avocat dont les clients voient, certes, « arriver MiCA assez vite, même si nous verrons les effets dans trois ans, après le temps de l'infusion et la transposition des Etats ».

2. Le poids grandissant des cryptomonnaies dans l'épargne

La popularité des cryptos ne se dément plus. Elle est même installée en France avec 8% des Français qui ont déjà investi dans les cryptos, selon une étude de KPMG/Adan. La Russie occupe d'ailleurs le haut du podium mondial pour l'utilisation et la création ("minage") de cryptomonnaies. Avec l'Ukraine, les deux pays se classent d'ailleurs respectivement 4ème et 18ème sur l'adoption des cryptomonnaies dans le monde, selon Chainalysis. Dans certaines régions aux climats froids et à l'électricité bon marché, notamment en Sibérie, de nombreux Russes en ont fait un complément ou même une source principale de revenus.

Mais après les particuliers, ce sont désormais les acteurs de la finance traditionnelle qui se tournent vers les cryptomonnaies. Même une banque privée, Delubac & Cie, vient d'obtenir un statut d'opérateur de services sur actifs numériques (PSAN) auprès de l'Autorité des marchés financiers (AMF) pour proposer à ses clients des cryptoactifs.

Aux Etats-Unis, comme en Europe, c'est devenu une évidence. « En septembre 2021, 13% des fonds spéculatifs (hedge funds) américains et 23% des fonds spéculatifs européens possédaient des crypto-actifs », constate la Banque d'Angleterre, qui précise néanmoins qu'il s'agit probablement d'investissements sur des montants peu élevés.

3. Un moyen de contourner des sanctions

Parmi toutes les catégories d'actifs numériques, "les crypto-actifs me préoccupent le plus dans le contexte russe", a récemment déclaré Christine Lagarde à la tête de la BCE.

Et pour cause, avec la guerre, les Russes se sont rués sur le bitcoin. Les volumes d'achats de cryptomonnaies en rouble ont atteint en mars des records et les prix du bitcoin grimpent ces derniers jours (+15% depuis dimanche à près de 44.000 dollars), galvanisés par l'idée que la crise ukrainienne prouve l'utilité d'une devise décentralisée et non contrôlée par un gouvernement, selon le cabinet Kaiko cité par l'AFP. 

Autre cryptomonnaie qui a le vent en poupe en Russie, le Tether, un stablecoin émis par une entreprise privée qui garantit détenir des actifs équivalents à son émission pour assurer qu'un Tether vaut un dollar.

Cet engouement est-il une menace ? "Oui", a affirmé la patronne de la Banque centrale européenne, après avoir souligné que les cryptomonnaies échappant au système bancaire traditionnel sont "certainement utilisées comme moyen d'essayer de contourner les sanctions qui ont été décidées par de nombreux pays à travers le monde contre la Russie et des acteurs spécifiques".

Particuliers ou entreprises russes "essaient évidemment de convertir leurs roubles dans les crypto-actifs", a relevé Christine Lagarde, notant que les volumes de roubles convertis ont atteint un niveau particulièrement élevé depuis les sanctions imposées par les Occidentaux. En cause plus particulièrement, les sanctions imposées par l'Europe avec notamment l'exclusion de certains établissements bancaires russes du système interbancaire international Swift.

Ce regain d'intérêt pour les cryptomonnaies s'est d'ailleurs vérifié dans d'autres pays soumis à des sanctions, tels l'Iran ou encore la Corée du Nord.

4. A l'inverse, un moyen de recevoir des aides

Le flux de cryptos augmente aussi dans l'autre sens. Dès les premières heures du conflit, le gouvernement ukrainien a ouvert des adresses et des portefeuilles de cryptomonnaies lui permettant de recevoir des bitcoins et autres cryptomonnaies. D'autres personnalités participent à ces dons, tel le patron de Twitter Jack Dorsey, aussi soutien du bitcoin dont le cours atteint aujourd'hui 40.089 dollars l'unité.

Toute personne possédant des cryptomonnaies peut donc les envoyer vers ces adresses crypto. Depuis le début de l'effort de guerre, ces dons reçus via la blockchain affluent, selon le cabinet Chainalysis. Les transactions en Europe de l'Est sont particulièrement élevées vers des adresses situées en dehors de la région.

5. La multiplication des usages

Longtemps confronté à la question de son usage dans le quotidien, depuis sa création au lendemain de la crise financière en 2009, le bitcoin tente toujours de sortir de son image d'actif volatil et purement spéculatif.

Face à lui, son rival Ethereum est, grâce à son protocole, à l'origine d'une nouvelle mode à appréhender par les régulateurs : les NFT. Ces jetons non fongibles permettent à un acheteur d'obtenir un jeton numérique vérifié, prouvant que l'œuvre achetée est un original. Un usage concret qui rencontre un succès lucratif dans l'art et au-delà. Déjà, de nouvelles startups des NFT voient le jour pour venir peupler les univers virtuels des marques, les métavers promis par Facebook devenu Meta.

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Outre la collection, les marques cherchent à créer de nouveaux écosystèmes de paiement dans ses métavers, à l'image de l'engouement pour les stablecoins, ces cryptomonnaies numériques adossées au dollar (ou à une autre devise) et qui permettent des échanges instantanés, sécurisés et sans frais intermédiaires dans des mondes numériques créés pour l'utilisateur-consommateur.

Ces stablecoins sont dès lors dans le viseur des régulateurs. Au Royaume-Uni, le Trésor estime qu'ils devraient être régulés de la même manière que les moyens de paiements déjà existants, par le Régulateur des systèmes de paiements (PSR), et par la Banque d'Angleterre (BoE) si leur taille créée un danger systémique, a-t-il estimé dans un rapport.

D'autres mesures sont également prévues par le Trésor, comme "l'étude de moyens de rendre le système de taxation britannique plus compétitif pour encourager le développement du marché des crypto-actifs".

Autre usage recherché par ces actifs, celui de réserve de valeur. Mais pour l'heure, les régulateurs mettent en garde : le bitcoin "ne constitue pas (...) une réserve de valeur, mais plutôt un actif spéculatif, qui s'apparente un peu aux bulbes de tulipes aux Pays-Bas au XVIIe siècle", a déclaré le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau en mars.

6. Mettre fin à la domination du dollar

A mesure que les sanctions s'abattent sur la Russie, le gouvernement multiplie les mesures pour soutenir le rouble et réduire sa dépendance au dollar. L'idée d'accélérer sur un rouble numérique, dans la famille des monnaies numérique de banque centrale (MNBC) fait même son chemin à Moscou, à l'image de plusieurs expérimentations.

Alors que les Européens cherchent à mettre la pression sur la Russie en réduisant les commandes d'hydrocarbures, Moscou impose en retour le paiement en rouble... et peut-être demain, en bitcoin comme l'a suggéré récemment un élu de la Douma. Une idée qui renvoie au projet Petro au Venezuela, une monnaie numérique adossée au cours du pétrole.

Pour reprendre main sur le terrain numérique, après la première alerte lancée par Facebook avec son projet de monnaie digitale propre (abandonnée depuis), toutes les grandes banques centrales planchent sur le sujet d'une monnaie banque centrale numérique. En Europe, la BCE mise ainsi sur la création d'ici à 5 ans d'un euro digital comme monnaie de banque centrale sécurisée et anonyme pour les paiements de proximité, selon des modalités qui restent à définir. Car les banques commerciales font toujours de la résistance

Après un premier cas d'usage lors des JO de Pékin, le gouvernement chinois pousse les feux sur l'e-yuan, alors même que toutes les activités autour des cryptomonnaies ont été bannies en 2021.

Enfin, la régulation des cryptos pourrait mener, dans un second temps, vers de nouvelles taxes. Après l'interdiction de ces actifs, l'Inde va introduire une "roupie numérique" soutenue par l'État et imposer une taxe de 30% sur les bénéfices des monnaies virtuelles dans le cadre de nouvelles mesures budgétaires. De quoi aussi générer de nouvelles rentrées fiscales à l'heure où les États pourraient avoir plus de difficultés à se financer sur les marchés.

Lire aussi 7 mnLe rouble numérique, le joker de Poutine pour contourner les sanctions occidentales

 (Avec AFP)

Jeanne Dussueil

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Commentaire 1
à écrit le 13/04/2022 à 19:19
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on sait pas si on doit rire ou pleurer!!! tous ces bons gauchistes qui ont foutu la merde en remettent une couche tolerante!!!!!! le bitcoin ne vaut rien, c'est pas une monnaie, c'est que dalle; c'est l'expression du fait que les gens ne veulent plus...

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