Après les sueurs froides du week-end, la communauté française des cryptomonnaies a poussé lundi un grand ouf de soulagement. Depuis vendredi soir, et les tweets alarmistes du député de la majorité Pierre Person (LREM), la communauté était en ébullition face à la dernière version du texte de la directive européenne "MiCA" (Market in Crypto Assets). Le texte, très attendu, et voté ce lundi 14 mars par le Parlement européen, fixe en effet le tout premier cadre réglementaire sur la revente et la conservation des crypto-actifs en Europe.
Et c'est in extremis que l'amendement interdisant le protocole informatique (système de la preuve de travail, proof of work) sur lequel reposent notamment les deux principales cryptomonnaies, le bitcoin et l'ether, a été repoussé par les députés européens.
« A moins de 48h de l'adoption de MiCa, la version finale du texte remet en cause l'émission ou l'offre d'échange de crypto-actifs qui reposent sur des protocoles de preuve de travail (bitcoin en première ligne). Interdire la PoW est une vision très singulière sur ce sujet de la blockchain ! » condamnait par exemple sur le réseau LinkedIn Céline Moille, avocate chez Deloitte. « L'union européenne a t'elle décidé de se suicider économiquement ? », s'alarmait-on encore sur les réseaux.
L'heure est donc au soulagement suite au vote. Mais pour Pierre Person, député de la majorité, très engagé dans la défense l'écosystème français des crypto-actifs, si ce risque a été écarté par le retrait de l'amendement, il n'y a pas encore de quoi crier victoire. Le texte, doit, lui, entrer en application d'ici 24 mois.
LA TRIBUNE - Après avoir alerté la communauté ce week-end concernant l'amendement du MiCA qui aurait visé à interdire le Bitcoin en Europe, son retrait in extremis est sans doute une victoire ?
PIERRE PERSON - Nous avons évité le pire. Pour autant, la dernière version du texte laisse en suspens de nombreuses questions, car elle se réfère à un document qui va être finalisé... plus tard. Un petit rappel des faits s'impose : la version parue le week-end dernier condamnait définitivement le futur des cryptomonnaies en Europe. Au début, avec MiCA, et en raison de la consommation énergétique des cryptomonnaies, sous la pression des Verts et des socialistes, il s'agissait d'interdire le protocole du "Proof-of-Work" (PoW) (soit le processus informatique - utilisé par notamment par le bitcoin, la doyenne des cryptomonnaies- qui vient valider les transactions et miner de nouveaux jetons dans la blockchain, de manière sécurisée et décentralisée NDLR). Cela excluait donc les blockchains Bitcoin et Ethereum.
Finalement, le Parlement n'a pas retenu cet amendement. L'Europe a choisi d'adosser les protocoles du bitcoin aux règles de la finance durable. C'est un message politique que les députés ont envoyé. Mais concrètement, cela reste un flou juridique. La seule victoire est que cela n'induit plus l'interdiction du bitcoin et d'ether ou d'autres cryptos développées sur le Proof-of-Work. Quant à savoir d'où vient l'énergie des cryptos ? Comment faire la promotion du minage en Europe ? S'il reste encore un espoir que le texte soit clarifié avant sa mise en application, ces questions sont pour l'heure évacuées. A ce stade, la technologie doit respecter la taxonomie, point.
D'autant que d'autres problèmes demeurent. D'abord, avec MiCA, les NFT (non fungible token) ne sont pas considérés comme des cryptoactifs mais comme des actifs financiers. Ainsi, dans un jeu vidéo, une épée achetée sous la forme d'un bien unique numérisé (NFT) sera alors soumise aux règles des marchés financiers... Il va falloir revoir la copie. Ensuite, sur la finance décentalisée (DeFI, soit ces services financiers automatisés reposant sur la blockchain NDLR), cela reste un flou juridique. En gros, il faudra attendre que l'ESMA (European Securities and Markets Authority, l'autorité européenne de régulation des marchés financiers) produise une liste de critères de régulation qu'elle décidera au fil de l'eau. C'est un grand fourre-tout qui vise à détricoter la nature des régimes existants pour les cryptos. Cela va donc accentuer l'instabilité juridique.
Existe-t-il un lobby pro cryptomonnaies qui a su convaincre les parlementaires européens dans la dernière ligne droite ?
Il n'y a pas eu beaucoup de lobbying. Ce sont surtout des particuliers, via des forums sur Internet qui s'expriment, plutôt que du lobbying classique mené par des entreprises. D'ailleurs, les lobbys sont ceux des industries déjà en place, notamment du secteur bancaire. Ces derniers travaillent ardemment pour que le secteur de l'innovation et des crypto-actifs ne puisse pas éclore. En outre, ils connaissent rarement l'aspect réglementaire des crypto-actifs.
Je pense qu'au final, les députés ont du trouver les arguments des Verts trop dogmatiques. Le rapporteur a donc trouvé un entre-deux. Il n'a pas voulu une interdiction. Il reste toutefois un problème de fond. Les parlementaires ne connaissent rien à la technologie. On se concentre toujours sur les dégâts environnementaux des cryptomonnaies. En envoyant un tel message, l'Union européenne se tire une balle dans le pied. On n'a pas compris au niveau européen que la technologie fonctionne avec de nouveaux standards. Avant, on réfléchissait en terme de tiers et d'intermédiaires (banques, conseillers, autorités etc.) Pour la Commission, il s'agit toujours de transposer les grandes lignes de ce référentiel sur une réalité toute autre. Il fallait concevoir un autre paradigme. Mais réinventer un nouveau rôle est bien plus compliqué. On préfère transposer. Alors que l'administration de Joe Biden a annoncé accélérer sur le sujet et embrasser les crypto-actifs, de notre côté, avec cette logique, nous ne ferons pas naître de champions européens. On est en train de perdre la bataille.
Faut-il placer l'enjeu environnemental au cœur du débat de la régulation des cryptoactifs?
Il s'agit d'une vision simpliste et caricaturale. La position de repli du rapporteur du projet de directive Stefan Berger est d'aligner les cryptos sur la taxonomie de la finance durable. Mais cela induit un immense flou juridique. Je le répète, l'enjeu n'est pas la consommation énergétique du Bitcoin mais l'origine de cette production d'énergie.
Ce sera l'objet d'un rapport que je rendrai dans dix jours, sur les nouveaux modèles économiques de production d'énergies, notamment intermittentes. Concrètement, il serait plus efficace de bannir les activités minières sur les énergies fossiles et de promouvoir ces acteurs qui utilisent le surplus de production d'énergie (via l'hydroélectrique, l'éolien) pour rendre les technologies plus efficientes. Mais les Verts et les socialistes font de la politique dogmatique. Ce sont les usages que les politiques doivent réguler, non les technologies elles-mêmes. Les députés européens pensent qu'ils protègent les citoyens. En réalité, ils mortifient potentiellement la compétitivité du continent.
Les tensions internationales semblent donner un nouveau coup d'accélérateur aux projets de monnaies digitales de banque centrale (MDBC). Ce mouvement risque-t-il de nuire au développement des autres cryptomonnaies?
Il y a bien une volonté de durcir la régulation des cryptomonnaies. Mais les cryptos et les MDBC naviguent dans deux mondes parallèles. Ils ne sont pas en effet interopérables. Dans un monde où, je le crois, les deux cohabiteraient, l'enjeu se trouve donc sur - Le - nouveau standard technologique mondial. Or, aujourd'hui, la finance décentralisée n'est libellée qu'en dollar.
Si le flou juridique devait freiner le développement des cryptos en Europe, cela serait une erreur au plus grand profit profit du dollar. Il y a un vrai besoin de monnaie numérique de banque centrale. Mais nous n'avons toujours pas décidé si celle-ci devait être une devise de gros ou de détail. Le citoyen doit-il avoir son compte bancaire en MDBC ? Comment faire tandis que les banques commerciales sont contre, de peur de voir leurs dépôts filer vers la banque centrale ? Et comment l'Etat va-t-il s'imbriquer dans ces projets ? A la BCE (Banque centrale européenne), Christine Lagarde n'a toujours pas tranché.
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