Cryptomonnaies : les Etats-Unis mettent les bouchées doubles pour les encadrer

Dans une série de rapports qui viennent d’être publiés, l’exécutif américain insiste sur la nécessité de mettre en place des règles pour mieux contrôler le marché, lutter contre la fraude et mettre en place un e-dollar.
L'administration Biden semble déterminée à se doter d'un cadre législatif susceptible de réguler les cryptomonnaies. Outre la volonté de limiter les risques de déstabilisation financière et de lutter contre la cybercriminalité, l'un des enjeux est aussi rattraper le retard notamment face à l'Europe qui a adopté au printemps le projet de règlement Market in Crypto Assets (MiCA), qui doit encadrer les crypto-actifs sur le Vieux Continent.
L'administration Biden semble déterminée à se doter d'un cadre législatif susceptible de réguler les cryptomonnaies. Outre la volonté de limiter les risques de déstabilisation financière et de lutter contre la cybercriminalité, l'un des enjeux est aussi rattraper le retard notamment face à l'Europe qui a adopté au printemps le projet de règlement Market in Crypto Assets (MiCA), qui doit encadrer les crypto-actifs sur le Vieux Continent. (Crédits : Reuters)

Alors que les élections de mi-mandat approchent, l'administration Biden semble déterminée à se doter d'un cadre législatif susceptible de réguler les cryptomonnaies. La Maison-Blanche vient ainsi de tracer pour la première fois, à travers la publication d'une série de rapports, une feuille de route pour l'encadrement de ce marché en plein essor, où c'est pour l'heure le laissez-faire le plus total qui règne outre-Atlantique.

L'objectif est notamment d'ériger des règles pour limiter les risques de déstabilisation financière, mais aussi de lutter contre l'usage des cryptomonnaies par les cybercriminels, et de mettre en place un dollar numérique. La publication de cette feuille de route fait suite à un décret présidentiel signé en mars dernier, dans lequel le président appelle les agences fédérales à examiner en détail les risques et opportunités offerts par les cryptomonnaies, et à établir des rapports en conséquence.

Mieux réguler les stablecoins

La feuille de route publiée par la Maison-Blanche, qui n'a pour le moment valeur que de recommandation et non de loi, souligne plusieurs domaines dans lesquels les cryptomonnaies peuvent apporter des bénéfices, dont les paiements transfrontaliers et l'inclusion financière. « La publication de ces rapports est encourageante, dans la mesure où elle constitue un pas supplémentaire dans la bonne direction, à savoir doter l'industrie des cryptomonnaies de régulations claires », affirme Anna Rosenberg, spécialiste de la réglementation des crypto-actifs et directrice des affaires publiques chez FTI Consulting, un cabinet de conseil international.

« S'ils insistent sur la nécessité, pour la Security and Exchange Commission [SEC, le gendarme de la Bourse, Ndlr] et la Commodity Futures Trading Commission [CFTC, qui régule le marché des dérivés, Ndlr], d'enquêter et sévir contre les manquements à la loi dans l'industrie, c'est parce qu'il est important d'établir des règles claires pour que les entreprises puissent s'y conformer tout en faisant ce qu'elles font le mieux : innover. Les rapports évoquent également les bénéfices des monnaies numériques en matière d'inclusion financière, ce qui est une excellente chose. Elles peuvent en effet intégrer 7 millions d'Américains non bancarisés dans le secteur financier, en abaissant les barrières que notre système bancaire a érigées. »

L'exécutif américain insiste également sur les risques de déstabilisation financière induits par les stablecoins, ces cryptomonnaies dont la valeur est adossée à un élément de l'économie réelle, comme le dollar ou l'or, et donc sur la nécessité de les réguler. « Les monnaies numériques et le système financier traditionnel sont de plus en plus interconnectés, avec le risque de créer des réactions en chaîne », note ainsi la Maison-Blanche.

En mai dernier, l'effondrement de TerraUSD, l'un des stablecoins adossés au dollar les plus populaires, a secoué le monde des cryptomonnaies et fait perdre des dizaines de milliards de dollars aux investisseurs.

Afin de rendre les stablecoins plus sûrs, l'administration Biden suggère que le Département du Trésor « travaille avec les institutions financières pour améliorer leur capacité à identifier et réduire les cybervulnérabilitiés en partageant l'information, les jeux de données et les outils d'analyse. »

La SEC a, quant à elle, affirmé se pencher sur la récente « Fusion » de la Blockchain Ethereum, précisant que le mécanisme de la preuve d'enjeu pouvait s'apparenter légalement à du prêt financier, activité qui requiert de s'enregistrer auprès des autorités et de fournir un certain nombre d'informations visant à préserver les investisseurs des conflits d'intérêts. En février, la SEC a infligé une amende de 100 millions de dollars à la jeune pousse BlockFi, spécialisée dans le prêt en cryptomonnaies, pour avoir omis de s'enregistrer.

Frapper les hackers au porte-monnaie

La Maison-Blanche entend également sévir contre l'usage des cryptomonnaies par des acteurs malveillants, comme les hackers qui déploient des rançongiciels et demandent ensuite un paiement en monnaie numérique pour échapper plus facilement aux autorités. Elle propose dans cette optique la mise à jour de certaines lois pour les adapter à la réalité des cryptomonnaies, comme le Bank Secrecy Act, qui requiert notamment des institutions financières qu'elles aident le gouvernement à lutter contre le blanchiment d'argent. Mais aussi d'augmenter les peines prévues en cas de transferts financiers illégaux, ainsi que d'accroître les pouvoirs donnés au Département de la Justice (DoJ) pour poursuivre les fraudes impliquant des monnaies numériques.

Depuis le début de l'année 2021, la Federal Trade Commission (FTC, agence fédérale qui régule le droit à la consommation et les entraves à la concurrence) estime que l'équivalent de plus d'un milliard de dollars a été volé en cryptomonnaies. Comme on estime que moins de 5% des victimes de fraude dans ce domaine le signalent aux autorités, ce chiffre est en outre très largement sous-estimé.

« Les cryptomonnaies sont devenues un outil privilégié des acteurs malveillants. En ciblant les transferts d'actifs numériques, le FBI est d'ores et déjà parvenu à entraver leur capacité à faire de l'argent en exploitant la vulnérabilité des particuliers et des entreprises », a ainsi noté Chris Krebs, ancien directeur de la Cybersecurity and Infrastructure Security Agency, une agence fédérale américaine spécialisée dans la cybersécurité, lors du Data Security Summit organisé par l'entreprise Rubrik le 14 septembre dernier.

Les sanctions adoptées à l'encontre de la Russie suite à l'invasion de l'Ukraine ont en outre ouvert une nouvelle porte aux cybercriminels, selon lui. « Le gouvernement russe a tout intérêt à favoriser les hackers qui cherchent à extorquer de l'argent aux Occidentaux. En outre, les cryptomonnaies peuvent être utilisées comme un moyen d'effectuer des transferts financiers Est-Ouest en contournant les sanctions. »

Le département de la justice vient à cet égard de former une nouvelle division consacrée à la criminalité impliquant les cryptomonnaies. Un réseau de 150 enquêteurs fédéraux va ainsi être déployé aux États-Unis pour lutter contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme à l'aide des cryptomonnaies.

Vers un e-dollar ?

Enfin, la Maison-Blanche a également souligné les bénéfices que pourrait apporter un dollar numérique. On peut notamment lire dans l'un des rapports qu'une monnaie numérique contrôlée par une banque centrale (ou CBDC pour Central Bank Digital Currency) donnerait un système de paiement « plus efficace, permettrait davantage d'innovations technologiques, faciliterait les paiements transfrontaliers et serait meilleur pour l'environnement. »

Une telle monnaie constituerait une sorte de jumeau numérique du dollar, qui serait régulé par la Fed (la banque centrale américaine), laquelle garantirait également sa valeur. Elle différerait en cela des monnaies déjà dématérialisées que les particuliers ont sur leur compte bancaire, et dont la valeur est garantie par les banques commerciales. D'après l'Atlantic Council, un laboratoire d'idées, 105 pays dans le monde ont commencé à expérimenter une CBDC. Les États-Unis sont donc à la traîne.

Une réaction à MiCA

Ces annonces de la Maison-Blanche ont lieu alors que l'Europe a, de son côté, adopté au printemps le projet de règlement Market in Crypto Assets (MiCA), qui doit encadrer les crypto-actifs sur le Vieux Continent. Le texte doit entrer en vigueur d'ici 2024, et cet été, l'ancien directeur de la CFTC, Chris Giancarlo, a souligné que son pays risquait de se faire distancer dans la régulation sur les cryptomonnaies s'il n'adoptait pas rapidement ses propres lois, l'approche promue par MiCA s'exportant alors de facto aux États-Unis.

« Il nous faut notre propre cadre de régulations pour les activités basées aux États-Unis, qui soit différent du cadre européen. J'ai beaucoup de respect pour l'Europe, mais les deux marchés sont très différents », a-t-il affirmé lors d'un événement à New York. Caroline D. Pham, qui dirige aujourd'hui la CFTC, a déclaré lors du même événement que les États-Unis devraient édicter les règles plutôt que se plier à celles des autres.

Le Nasdaq vient de son côté tout juste d'annoncer qu'il allait créer une branche dédiée aux cryptomonnaies, ainsi qu'un service de conservation d'actifs numériques pour le bitcoin et l'ether. Une preuve supplémentaire que les monnaies numériques gagnent peu à peu leurs titres de noblesse aux États-Unis.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.