La nouvelle série de sanctions économiques et financières, annoncées samedi 26 février, semble, cette fois, avoir de sérieuses conséquences pour le système bancaire russe et, par contrecoup, sur la vie quotidienne des Russes. « La restriction de l'accès de la banque centrale russe à ses propres actifs, combinée à une interdiction sélective de Swift, est susceptible de déclencher une crise macro-financière de grande ampleur en Russie », souligne ainsi Gilles Möec, économiste en chef chez AXA Invesment Managers.
Un système bancaire et financier sous cloche
Le coup le plus rude, et le plus inattendu, des nouvelles sanctions a été de s'attaquer à la banque centrale de Russie, une grande première. L'objectif est de limiter l'accès de la banque centrale à ses propres réserves, de l'ordre de 650 milliards de dollars, dont plus de la moitié libellée en dollars, en euros et en livre sterling. Cette force de frappe financière a permis à la banque centrale de soutenir jusqu'ici le rouble, ce qu'elle ne peut plus faire.
De fait, la banque centrale russe a cessé ses interventions sur les devises en raison des sanctions occidentales. Et le gouvernement envisage la vente obligatoire de 80 % des recettes d'exportation et de limiter l'exportation de capitaux par les non-résidents.
Cette sanction inédite sur la banque centrale s'est couplée avec la déconnexion de certaines banques russes de la messagerie interbancaire Swift, selon une approche sélective qui ne devrait pas (trop) pénaliser les exportations en gaz et pétrole de la Russie. La mise en place de solutions alternatives à Swift est possible car leur mise en œuvre prendra nécessairement beaucoup de temps, notamment pour sécuriser les échanges. La force de Swift repose en effet sur la confiance que portent toutes les banques à cette messagerie. Même le Kremlin a reconnu, lundi, « que la réalité économique avait considérablement changé ».
Risque de « bank run »
Avant même l'annonce des nouvelles mesures de rétorsion de l'Union européenne, les principales banques ont cherché, dès samedi, à rassurer : « Il est d'une importance fondamentale pour nous que des millions de familles russes, quelle que soit la banque qui les sert, aient confiance en l'avenir, aujourd'hui et toujours, en sachant que leurs fonds sont en sécurité », a souligné ainsi un communiqué commun de Sberbank, VTB, Alfa Bank et Otkritie Bank. Rosbank, filiale à 100% de Société générale, n'est pas concernée par les sanctions, et peut donc continuer de bénéficier de la liquidité du groupe.
Dès dimanche, les agences de presse rapportaient néanmoins de longues queues devant les distributeurs ou les guichets bancaires pour retirer des devises. En revanche, pas de problème pour retirer ou payer en rouble car la Russie dispose de son propre système de paiement domestique, avec la carte Mir, très largement distribuée au sein de la population. Officiellement, les banques russes écartent tout risque de restrictions de cash, en devises ou en rouble.
Sberbank en Europe en cessation de paiement
La situation est plus tendue pour les filiales en Europe des banques russes. C'est le cas notamment de Sberbank Europe, domiciliée en Autriche, et dont l'État russe est actionnaire majoritaire de la maison-mère, et de ses filiales et ses filiales en Croatie et en Slovénie.
La banque ferait face à des retraits d'argent massifs et est en « faillite probable », a prévenu ce lundi la Banque centrale européenne. Toutefois, les clients particuliers bénéficient de la protection des dépôts, à hauteur de 100.000 euros, conformément à la réglementation européenne. Du coup, le régulateur autrichien a imposé à la banque de ne plus procéder à aucun virement, retrait ou autre transaction jusqu'au 2 mars.
Le risque d'hyperinflation
La chute du rouble va bien sûr renchérir considérablement les produits importés, même si la population russe a appris à vivre avec peu ces dernières années. La Russie est également largement autosuffisante dans de nombreuses denrées agricoles, et même exportatrice nette en céréales et viande de porc. En attendant, la banque centrale russe devra émettre davantage de monnaie pour financer les dépenses de l'État et le coût de la guerre.
La chute du rouble pourrait néanmoins favoriser l'essor d'une économie informelle basée sur le dollar (ou l'euro), surtout si le gouvernement est tenté de mettre en place un taux de change forcé. Les ménages seraient alors enclins à dépenser au plus vite leurs roubles tout en conservant leurs devises, alimentant encore plus l'inflation.
« Le Russe moyen va s'appauvrir mais il saura que l'origine du problème est l'agression de l'Ukraine. Le peuple peut se révolter. Cela paraît improbable, comme cela paraissait improbable dans les années 1980 dans l'Europe de l'Est avant la chute du mur de Berlin », souligne, dans son blog, Philippe Waechter, économiste chez Ostrum AM. Pour l'économiste, les sanctions sur le système bancaire et sur la banque centrale risquent en effet de déstabiliser l'économie, mais surtout la société russe.
« Que Poutine évoque l'arme nucléaire est un aveu de faiblesse », estime un gérant obligataire.
Les oligarques russes touchés au portefeuille
C'était la première cible visée par le premier ministre britannique Boris Johnson. La City a été régulièrement critiquée par sa complaisance envers les grandes fortunes russes qui aiment accumuler leurs trésors dans des hôtels particuliers à Londres.
Des menaces de gel des avoirs ou de saisies de biens immobiliers se multiplient au Royaume-Uni, même si l'exercice s'annonce délicat, la propriété de ces actifs étant le plus souvent dissimulée au travers d'un entrelac de trusts logés dans des paradis fiscaux. Toutefois, les autorités britanniques ont annoncé cet après-midi le gel des avoirs sur leur territoire de toutes les banques russes.
En attendant, les 116 oligarques visés par les sanctions auraient, selon le magazine Forbes, perdu plus de 125 milliards de dollars en quelques jours, avec la baisse de la valeur des actifs, alors même que leur fortune s'était déjà effritée ces derniers mois.
Quelques oligarques font même entendre une (petite) voix dissonante. Le fondateur du géant de l'aluminium Rusal, Oleg Deripaska a réclamé la fin du « capitalisme d'Etat » en Russie, disant attendre du gouvernement russe « des clarifications » sur la politique économique face à la crise. Un autre oligarque, Oleg Tinkov, fondateur de la banque en ligne Tinkoff, qui connaît un vrai succès en Russie, a jugé « impensable et inacceptable » que « des innocents meurent chaque jour » en Ukraine.
Enfin, le milliardaire russe Mikhaïl Fridman a dénoncé la guerre en Ukraine dans une lettre ouverte à ses employés du fonds d'investissement LetterOne, alors que Roman Abramovitch, réputé proche de Vladimir Poutine, et propriétaire (en retrait) du célèbre club de football Chelsea, a été contacté par l'Ukraine pour aider aux négociations.
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