Tesla et le Bitcoin : « Elon Musk est soumis à de fortes pressions »

INTERVIEW. A quoi joue Elon Musk ? En moins de vingt quatre heures, le patron de Tesla a secoué la cryptosphère en se distançant subitement de la doyenne des cryptomonnaies, dénonçant sa consommation colossale d'énergies fossiles pour pouvoir être produite sur les ordinateurs. Auteur d'un rapport démontrant une empreinte carbone prometteuse - et même verte - du Bitcoin, Laurent Benichou, professeur de cryptomonnaies et d’économie Blockchain à HEC et Polytechnique, réagit au propos du chef d'entreprise américain.
(Crédits : dr)

Le dernier tweet de l'oracle Elon Musk, ancien porte-parole du bitcoin, a fait trembler le monde des cryptomonnaies jeudi 13 mai. En se désolidarisant de la doyenne des devises cryptées, qui fonctionne grâce à des ordinateurs en réseau, se rendant ainsi coupable d'un impact sur l'environnement important, le patron de Tesla - qui y avait pourtant placé 1,5 milliard de dollars, autorisant même l'achat de véhicules électrique de la marque avec le précieux jeton jaune - a fait plonger « l'or numérique » de 15%, son plus bas depuis deux mois et demi. En cause, le trublion du marché automobile a dénoncé l'empreinte carbone liée à la production d'électricité du Bitcoin « particulièrement le charbon », tweetait-il.

Mais moins de 24 heures plus tard, après être tombé à 46.045 dollars, le cours du bitcoin reprenait des couleurs, s'échangeant à 50.700 dollars vendredi après-midi. Tout en postant une photo de la voiture Tesla envoyée en orbite avec le message « Don't panic », Elon Musk a tenté de rassurer. Retour sur le volet environnemental du Bitcoin dénoncé par Musk avec Laurent Bénichou, professeur de cryptomonnaies et d'économie Blockchain à HEC et Polytechnique.

LA TRIBUNE - Vous avez publié avec plusieurs auteurs un rapport intitulé « le bitcoin, un cadeau pour l'environnement » (bitcoin, a gift to environment), dans lequel vous expliquez les bénéfices pour le climat de l'activité de minage des cryptomonnaies (lorsque les ordinateurs en réseau opèrent la preuve de travail en résolvant des équations complexes, contre une rémunération pour le mineur). Si le protocole du Bitcoin est réellement une opportunité pour le climat, pourquoi cette sortie soudaine d'Elon Musk, anciennement fervent défenseur de la monnaie cryptée et décentralisée ?

LAURENT BENICHOU - Le débat se situe aujourd'hui uniquement autour du minage. Toutes les parties prenantes (y compris Elon Musk) ignorent superbement la composante monétaire du débat, or un bitcoin nous offrirait un système monétaire incroyablement plus frugal pour l'économie mondiale que le système monétaire actuel. Ce que je résumais dans une tribune par cette phrase : ce que ne voient pas les idéologues anti-Bitcoin est qu'en combattant Bitcoin au motif qu'il consommerait 10 sacs de charbon au lieu du système monétaire actuel qui n'en consommerait qu'un seul (présupposé par ailleurs hautement contestable), ils défendent surtout un système monétaire qui gâche 1.000 sacs de charbon et qui, peut-être n'en gâchera plus que 900 si les préconisations du GIEC (le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat NCDLR) sont mises en place.

Aussi, mon interprétation personnelle est qu'Elon Musk est soumis à de fortes pressions de deux groupes depuis qu'il a accepté le paiement en bitcoin : d'une part les institutionnels du monde économique et bancaire traditionnel (régulateurs, banques centrales et commerciales, concurrents automobiles de Tesla), d'autre part les « anti-Bitcoin » rassemblés sous la bannière facile de l'écologie (écologistes malthusiens, partisans de la gestion centralisée de la dépense carbone, fonds d'investissement dans la surenchère permanente « ESG »...) Elon Musk n'est plus dans un débat sur la vérité de l'impact carbone de Bitcoin mais dans une situation d'urgence pour éviter à Tesla des attaques réputationnelles, réglementaires, de suppression de subventions à l'achat de véhicules...

Vous citez deux études divergentes sur l'impact réel du minage informatique du Bitcoin, (Coinshares / Cambridge). La première prétend que les mineurs, dont la majorité se situe en Chine, utilisent à 73% des énergies renouvelables, la seconde, également citée par Musk, porte sur l'étape clé du "hashing" (qui vient créer la signature numérique d'une transaction), ici à 39% de renouvelables. Pourquoi diffèrent-elles autant sur leurs conclusions ?

Les études diffèrent parce que le minage est distribué partout dans le monde, ce qui rend impossible l'obtention d'un chiffre exact. Chaque étude va donc chercher à se rapprocher de la vérité via une méthode spécifique. Et précisément, les études Coinshares et Cambridge sur la consommation d'énergie fossile pour le minage de Bitcoin diffèrent avant tout par leur méthodologie. Cambridge s'appuie sur un sondage (auquel les mineurs sont loin d'avoir tous répondu) alors que Coinshares a appliqué aux différentes fermes de minage le mix énergétique de la région de production du Bitcoin. Je pense que cette dernière méthode est encore bien conservatrice puisque les mineurs cherchent dans chaque région la méthode la moins chère, ce qui passe par l'utilisation d'énergies renouvelables instockables (les mineurs ont alors beaucoup plus de capacité de négociation vis-à-vis des producteurs éoliens ou hydroélectriques).

Quoi qu'il en soit, entre Cambridge et Coinshares, on a un taux d'utilisation de renouvelables dans la production de Bitcoins compris entre 39% et 73%, taux qui doit déjà faire verdir d'envie les autres industries.

Les modèles électriques des Tesla sont aussi pointées du doigt pour leur empreinte énergétique, avec la fabrication d'une batterie en Chine qui émet 60% plus de CO2 que celle d'un moteur à explosion. Des émissions, qui, - comme les promesses que vous avancez d'un bitcoin moins énergivore -, doivent être réduites aussi de 66% à l'avenir. La Tesla a-t-elle de meilleure chance de devenir plus verte plus rapidement que le minage des cryptomonnaies ?

Vous posez la question de fonds qui est celle du mix énergétique global de la Chine et de notre volonté occidentale de travailler avec un tel pays. En fonction des périodes, le monde oscille entre la reconnaissance que les échanges permettent aux habitants des pays pauvres de se développer (et qu'il faut donc leur laisser plus de marges de manœuvre sur le plan écologique) et la volonté de boycott ou de surtaxation des pays ayant une part trop importante d'énergies fossiles dans leur production.

La fabrication de batteries me semble plus complexe et moins flexible que celle de Bitcoins, dont la production peut déménager facilement au plus près d'une source d'électricité bon marché. Par ailleurs, si demain, le gouvernement chinois interdit la fabrication de produits par énergies fossiles, toute l'industrie chinoise sera complètement déstabilisée sauf celle de la production de bitcoin, qui s'en sortira sans une égratignure, avec dans le pire des cas une réduction de la fréquence des blocs pendant 15 jours.

« Si le bitcoin était un pays il utiliserait la même quantité d'électricité par an que la Suisse », écrivent les analystes de Deutsche Bank dans une note cités par l'AFP. A quels horizon le bitcoin pourrait-il alors reposer entièrement sur les renouvelables ?

La consommation d'énergies vertes par Bitcoin est déjà une réalité car Bitcoin est à peu près le seul système capable de s'emparer des surcapacités de production d'électricité. Bitcoin permet déjà à des acteurs comme Hydroquébec de monétiser des capacités de production qui auparavant étaient perdues. Ce faisant, Bitcoin permet à ces sociétés de financer de nouveaux projets de production électrique verte.

Tant que le bitcoin croît en valeur, les mineurs utilisant des énergies fossiles resteront rentables. Au moment où la valeur de Bitcoin se stabilise ou baisse, les mineurs « verts » résistent car leur structure de coûts est inférieure, alors que les autres font faillite. La balle est donc dans le camp des banques centrales qui doivent cesser de favoriser la dévalorisation des monnaies souveraines par rapport au Bitcoin pour promouvoir le minage basé sur des énergies renouvelables. Cela passe par l'arrêt des assouplissements quantitatifs, de l'aide aux gouvernements défaillants par la baisse des taux etc.

Que pensez-vous des protocoles moins énergivores utilisés par d'autres cryptomonnaies tel l'ethereum, et de l'une de ses monnaies utilisant son protocole blockchain, le « BitGreen » ?

Il faut bien comprendre que la production d'énergie demandée par le « proof-of-work » (preuve de travail NDLR) de Bitcoin est une garantie de sécurité pour les détenteurs de bitcoins. Ce qui est considéré comme une forte contrainte par les anti-Bitcoin est en réalité un attribut extrêmement important de confiance pour les utilisateurs d'une monnaie décentralisée. Les monnaies qui utilisent le proof-of-stake (la preuve sur l'enjeu obtenu grâce à un autre consensus informatique NDLR) - moins énergivore - sont prometteuses mais elles ont pour moi deux écueils : 1. Elles n'ont pas le recul de Bitcoin qui peut se targuer d'être resté inviolé depuis 2009. 2. Une attaque à 51% me semble beaucoup plus dangereuse dans le proof-of-stake, l'attaquant gardant sa capacité de 51% ad vitam aeternam. A l'inverse en proof-of-work, il faudrait investir sans arrêt dans le matériel, ce qui empêche une attaque de perdurer dans le temps.

N'est-ce pas problématique pour la crédibilité du bitcoin en tant qu'actif, et peut-être plus tard comme monnaie d'échange, d'être dépendante d'effet d'annonces des leaders du marché, les « baleines » influenceuses, tel Elon Musk pouvant même spéculer sur leur propre fortune ?

L'influence d'Elon Musk n'est que transitoire : elle est liée à son charisme personnel mais surtout au fait que Bitcoin manque actuellement de défenseurs qui soient des têtes d'affiche du monde économique et monétaire. A terme, on peut espérer qu'Elon Musk aura moins de pouvoir sur le cours de Bitcoin. Je pense que son annonce fait frémir car elle pose la question de la possibilité d'« institutionnalisation de Bitcoin ». Est-ce que les Fidelity, Morgan Stanley ou Goldman Sachs vont aussi se rétracter, travaillés au corps par des forces anti-Bitcoin ? L'institutionnalisation de Bitcoin se ferait alors plus lentement car les « pure players » (Coinbase, Grayscale, NYDIG, Gamini ou Galaxy Digital) n'ont pas encore des marques aussi puissantes et un accès immédiat aux investisseurs institutionnels. En tout état de cause, l'institutionnalisation de Bitcoin, lente ou rapide, est un phénomène plus profond qui va faire fleurir de nouveaux ambassadeurs.

A l'inverse, on peut retourner la même question au système monétaire traditionnel : n'est-ce pas problématique pour la crédibilité du dollar ou de l'euro en tant qu'actifs d'être aussi dépendants d'effets d'annonce de Jerome Powell ou de Christine Lagarde ?

Propos recueillis par Jeanne Dussueil.

Lire aussi : Un kilo d'or pour un bitcoin, que vaut la comparaison des deux actifs ?

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Commentaires 2
à écrit le 15/05/2021 à 10:46
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Cela semble en effet logique comme raisonnement, nous sommes en dictature financière néolibérale à savoir les Etats des nations au service des actionnaires milliardaires, on le voit bien avec ces mouvements d'argent de plus en plus gros et rapides en...

à écrit le 15/05/2021 à 10:28
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Et les banques avec leurs buildings énormes, leurs nombreux magasins gérant un argent tout autant virtuel, ne créant aucune richesse juste parasitant l'économie, cette monnaie virtuelle une fois usinée ne coûte plus un centime, ne consomme plus d'éne...

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