Crise des hypermarchés : qui sera encore là demain ?

L’hypermarché fait de moins en moins recette, comme le montrent les annonces de fermeture de magasins par Carrefour, Auchan ou Casino. La distribution doit se réinventer pour survivre.
Auchan envisage de se recentrer sur l'alimentaire.
Auchan envisage de se recentrer sur l'alimentaire. (Crédits : Reuters)

«Parmi les six acteurs de la grande distribution qui pèsent chacun entre 10 et 20 % de
parts de marché, qui sera encore là demain ? », s'interrogeait le 12 février dernier Alexandre Bompard, PDG de Carrefour, lors du EY Day au ministère des Finances. Question pertinente, à l'heure où les groupes centralisés (Carrefour, Auchan, Casino) multiplient les annonces de fermeture ou de vente de magasins. Carrefour vient de se délester d'environ 3.000 salariés et Auchan a mis en vente 21 sites (dont un hypermarché, une douzaine de supermarchés, quatre Chronodrive), soit 723 emplois concernés. Une première pour le groupe familial qui compte 637 magasins et 73.800 collaborateurs en France, et qui a la réputation d'offrir les meilleures conditions de travail du secteur. Le groupe Casino (Géant, Monoprix, Franprix, Naturalia) est, lui, lourdement endetté, son cours de Bourse est chahuté et il multiplie les cessions d'actifs : 34 magasins déficitaires cédés à Leclerc et Lidl.

Une stratégie qui ne convainc pas les observateurs, comme l'agence Moody's, qui vient de dégrader sa note. Sous pression, son actionnaire majoritaire, Jean-Charles Naouri, vient de placer, en procédure de sauvegarde la maison mère, Rallye, afin de protéger le groupe étranglé par les dettes de la spéculation. Il a désormais six mois pour négocier sous la protection du tribunal de commerce avec ses créanciers, notamment ses banquiers. Cette initiative était devenue indispensable pour calmer les attaques spéculatives dont le groupe fait l'objet depuis un an, mais elle ne permet que de gagner du temps. Bref, le « food », le secteur de la distribution alimentaire, souffre en France. Les racines du mal sont connues : des marges trop faibles (autour de 3 % de marge nette en moyenne) qui obligent les enseignes à écouler de gros volumes ; des hypermarchés en perte de vitesse (- 2,4 % en chiffre d'affaires pour les hypers de plus de 7.500 mètres carrés en 2018 selon IRi, - 3,3 % entre 2010 et 2018 selon Nielsen) ; une guerre des prix sans fin et une baisse d'attractivité du modèle du « tout sous le même toit » qui a fait le succès de l'hyper durant les Trente Glorieuses.

« L'évolution des habitudes de consommation, le développement du numérique et une transformation brutale du champ concurrentiel avec l'arrivée d'Amazon et Alibaba nous oblige à évoluer », analyse Alexandre Bompard. C'est pour réussir cette transformation que les actionnaires de l'ex-numéro deux mondial - rétrogradé à la neuvième place selon Deloitte (en 2016. Carrefour n'a pas souhaité figurer dans le classement 2017 car il en conteste la méthodologie) mais qui reste le premier employeur privé français avec 115.000 salariés - sont allés chercher cet énarque qui a opéré avec succès le rapprochement de la Fnac avec Darty. Le jeune PDG est conscient que le métier de distributeur a bien changé depuis le 15 juin 1963 et l'ouverture du premier hypermarché français, le Carrefour de Sainte-Geneviève-des-Bois (Essonne).

Du sens et du numérique

Un an et demi après le lancement du plan « Carrefour 2022 » destiné à remettre le groupe sur le chemin de la croissance, « Carrefour n'a plus le même visage », selon son PDG. Moins de salariés mais des recrutements plus digitaux, plus féminins, plus issus de la diversité, et des partenariats noués avec Tencent, Google, Système U et Tesco. Et deux missions à remplir : la « transition alimentaire pour tous » sous le slogan Act for Food (l'enseigne s'engage sur la qualité des produits), et une stratégie multicanal en connectant les points de vente tout en multipliant les formats de magasins. Alexandre Bompard assure être « en avance sur les indicateurs du plan Carrefour 2022, avec un cours de bourse et un corps social qui vont bien ». Si la première affirmation est correcte (hausse de l'action de 2,7 % au premier trimestre), les syndicats ne partagent pas la seconde. Chez Force ouvrière, on dénonce le projet de location-gérance des magasins (10 hypers et 21 supermarchés) « qui représente, socialement, une mort lente ». La CFDT, elle, alerte sur « le passage en location-gérance qui a de graves conséquences sur la rémunération et le statut collectif des salariés concernés ».

Champion de l'hyper, Auchan a perdu 1,145 milliard d'euros en 2018. Conséquence repris en main par les Mulliez, la grande famille du Nord, il va vendre 21 de ses magasins. Si certains ne trouvent pas preneur, un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) sera mis en œuvre. Le groupe est aussi en train de céder la quasi-totalité de ses 1 600 magasins italiens (hypers, supers, supérettes Auchan et Simply) au groupe italien coopératif Conad. Les syndicats membres du comité central d'entreprise d'Auchan ont décidé de mettre en œuvre le droit d'alerte économique pour avoir des explications sur la situation du groupe. « Le modèle de l'hypermarché a bien fonctionné pendant quarante ans. Mais nous ne sommes plus dans les années soixante- dix et sans doute aurions-nous dû réagir plus rapidement aux changements en cours », admet un porte-parole de l'enseigne nordiste, qui a désormais pris la mesure de ce désamour de la clientèle pour les grandes surfaces qui vendent de tout.

Auchan a décidé de proposer un « hypermarché plateforme » recentré sur l'alimentaire, les autres secteurs (sport, textile, électroménager etc.) étant gérés par des « leaders spécialisés non-alimentaires ». Des changements destinés à « gagner la bataille du sens », nouveau slogan qui s'appuie sur la multiplication des contrats d'approvisionnement en circuits courts (10 000 prévus fin 2018), le Nutriscore affiché sur les MDD (marques de distributeur) et 496 cuisines ouvertes associées à des cours de cuisine, des foodcourt, des rayons traiteur. Le numérique est une autre forme de diversification, via le partenariat avec Alibaba, avec le déploiement d'un système intégré alliant technologie et data dans les 484 magasins Auchan et RT-Mart, des corners dédiés aux produits de la vie quotidienne pilotés par l'intelligence artificielle et 9 magasins « phygitaux » ouverts en 2018. « La Chine est le laboratoire du commerce de demain. Un pays où nous avons une position de leader avec environ 15 % du marché et 780 points de vente », précise le porte-parole.

Philippe Moati, ancien du Credoc et fondateur de l'Observatoire Société et Consommation (ObSoCo), qui suit l'évolution du secteur depuis vint-cinq ans, ne croit pas à la mort de l'hypermarché : « Ça reste le format le plus fréquenté par 85 % des consommateurs en charge des courses. » Néanmoins, il reconnaît que la critique du modèle de distribution de masse incarné par l'hyper se radicalise, et que la fréquentation baisse peu à peu, ce qui remet en cause les équilibres économiques : « L'hypermarché est un concept de vente de gros volumes qui affronte une consommation qui s'individualise ». Il croit plutôt au « commerce de précision » face à l'hyper monolithique qui est en train de perdre un à un les rayons « non-alimentaires » (- 3,8 % de CA en 2018 selon IRi) sous la pression de l'e-commerce.

Diversification des circuits

Les solutions du fondateur de l'ObSoCo : se débarrasser des plus grands hypers, à condition de trouver des repreneurs, et réduire les surfaces de vente des autres. Pour faire face aux baisses des ventes des produits non alimentaires (- 30 % en huit ans selon Nielsen). Carrefour a opté pour le « shop in shop », comme les corners Darty qui remplacent le rayon brun (électronique et informatique), et ceux de la marque de matelas Tediber dans trois hypers de la région parisienne. Auchan va tester au second semestre 2019 des espaces de ventes en association avec des « leaders spécialisés non alimentaires » dans le textile, le sport, l'électroménager, la culture, l'équipement auto, etc. Un « tout sous le même toit » mais à plusieurs.

Chez Casino, c'est la filiale e-commerce CDiscount qui prend en charge la vente
d'appareils d'électronique de loisir. Le recentrage sur l'alimentaire est donc en cours mais les enseignes font face à une diversification accrue des circuits de distribution : magasins bio, associations pour le maintien d'une agriculture paysanne (Amap), e-commerce (qui ne pèse encore que 6 % du food mais est en progression), circuits courts. « Carrefour travaille sur de nouveaux formats d'hyper [Next, Essentiel et Rebond, ndlr] dont l'un basé sur le discount (Essentiel, en test à Avignon). Si vous privilégiez un segment de clientèle, vous risquez de perdre les autres. C'est difficile, car il faut toujours faire du volume, mais ça vaut le coup d'essayer », analyse Philippe Moati.

Parmi les leaders du food, les groupements d'indépendants (Leclerc, Intermarché, Système U) semblent mieux résister à la baisse d'attractivité. D'abord parce que leurs hypers sont plus petits (6.000 à 10.000 mètres carrés chez Leclerc contre 15.000 à 18.000 pour Auchan), et ensuite parce que chaque magasin appartient à un chef d'entreprise très au fait des réalités locales. Une dimension entrepreneuriale non négligeable, selon Philippe Moati. Un hyper plus petit, avec moins de rayons et plus de nourriture de qualité sera-t-il la martingale poursauver les enseignes en difficulté ? La réponse appartient au consommateur.

EN CHIFFRE

115.000. Le nombre de salariés de Carrefour, premier employeur privé français.

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Commentaires 11
à écrit le 07/06/2019 à 16:58
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Alerte, nos grandes surfaces pratiquent des prix abusifs d'un jour à l'autre. Quand ne s'étonne pas si elles périclitent tant pis pour elles si elles perdent des clients et qu'elles vont disparaître. Une bouteille d'huile plus de 0,60 centimes de hau...

à écrit le 04/06/2019 à 17:23
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Ça fait des mois que l'on dit aux français de cesser d'aller au super. Notre poltique du boycot commence a fait ses effets. On est contents.

à écrit le 04/06/2019 à 14:51
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plus forte baisse des ventes au détail depuis 1995, en mai, au UK (Bloomberg). le journal The Guardian montrait le 02 mai dernier que les ouvertures de magasins sont en chute libre depuis au moins 2013 au UK, alors que les fermetures sont à un niveau...

à écrit le 04/06/2019 à 11:18
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Ben j'y vais tout à l'heure... Difficile de remplacer le supermarché quand on habité à la campagne et quand on bosse étant donné que c'est pratique, alors oui on se fait avoir mais comme le dit Machiavel "Le commerce est l'école de la tromperie" donc...

le 04/06/2019 à 11:50
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Coup de bol ! J'habite une petite commune 1350 habitants, le poissonnier à ouvert une épicerie, en plus un charcutier est présent. Du coup, dans ce commerce d'environ +/- 100m2 (je ne sait pas précisément), nous avons d...

le 04/06/2019 à 12:52
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Un poissonnier dans une commune de 1350 habitants, je suppose que vous habitez dans une zone un peu peuplée au final avec des communes alentours non ? Ici beaucoup y ont pensé (1600 habitants) mais personne ne s'est lancé bon faut dire aussi qu'on a ...

à écrit le 04/06/2019 à 11:09
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C'est le lot de tous les bonheurs des dames de se faire vieilelbeufiser un jour. Bon ok, là on a des pères Baudu drolement grassouillets. Perso je fais mes courses chez un softdiscount de petite surface, tres bons produits pas chers. Pas de temps a ...

à écrit le 04/06/2019 à 11:00
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Ce n'est pas un souci spécifique à la France. Les hypermarchés vont disparaître comme les dinosaures . Les élus portent une grande responsabilité sur la disparition des commerces de proximité, parcmètres, taxes en tous genr...

à écrit le 04/06/2019 à 9:25
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ils ont gagne plein de m2 sur les stocks, par des extensions, etc c'est devenu invivable ils vont faire machine arriere et retransformer une partie de leur surface de vente en galeries

à écrit le 04/06/2019 à 8:35
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Enfin une bonne nouvelle !

le 04/06/2019 à 10:14
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qu'on aime ou non les hypers, quand il s'agit d'emplois perdus il n'y a pas de quoi se réjouir.

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