Armement : les clés de succès pour une coopération européenne réussie

Tigre, SCAF, MGCS... à l'heure où l'avancée de ces programme stratégiques reste suspendue au calendrier politique allemand et pâtit des positions divergentes entre industriels, plusieurs acteurs majeurs de ces projets ont livré leur vision des conditions d'une coopération multilatérale réussie. Ce thème a été au cœur d'une table ronde qui a réuni, le 21 juin au Paris Air Forum, Martin Briens, directeur de cabinet de la ministre des Armées, le général Philippe Lavigne, chef d'état major de l'Armée de l'air et de l'espace, Bruno Even, PDG d'Airbus Helicopters, Frank Haun, directeur général de KNDS, et Eric Trappier, président du GIFAS et PDG de Dassault Aviation.
« Il faut que le type de coopération s'adapte à la volonté de faire de la performance opérationnelle », considère le PDG de Dassault Aviation, Eric Trappier.
« Il faut que le type de coopération s'adapte à la volonté de faire de la performance opérationnelle », considère le PDG de Dassault Aviation, Eric Trappier. (Crédits : Dassault Aviation / Pierre Barut)

C'est une étape décisive qui vient d'être franchie pour le système de combat aérien du futur (SCAF), un système de plateformes en réseau qui devrait voir le jour à l'horizon 2040 et dont la pièce maîtresse sera un nouvel avion de combat. Le 23 juin, ce programme stratégique européen majeur, lancé en 2017 par la France et l'Allemagne, rejointes par l'Espagne, a obtenu l'aval du Bundestag pour le financement de la phase de définition d'un démonstrateur, dite « 1B », qui porte sur la recherche et le développement technologique - sans toutefois que la commission des finances du Parlement allemand approuve la phase 2, celle de la conception d'un démonstrateur.

Un feu vert qui intervient dans un climat de négociations difficiles, sur fond d'intérêts divergents, en cette année électorale outre-Rhin, pour ce qui est de l'avancée de plusieurs programmes d'armement multilatéraux. Si le SCAF vient de sortir de l'impasse, en revanche, l'hélicoptère Tigre Mark 3 et le char du futur restent, pour l'heure, en suspens. Et la question des conditions nécessaires pour assurer une coopération multilatérale réussie en matière d'armement se pose plus que jamais...

Impulsion gouvernementale

Le PDG d'Airbus Helicopters Bruno Even le martèle : la clé du succès, c'est la volonté, tant opérationnelle que politique. « La coopération européenne crée des champions », rappelle le dirigeant du constructeur franco-allemand, dont l'enjeu du moment est la modernisation du Tigre au standard Mark 3, pour prolonger la vie de cet hélicoptère d'attaque à l'horizon 2050, avec des capacités additionnelles. « Il est essentiel que dès le départ, l'ensemble des utilisateurs soient alignés, sinon, cela crée diversité des configurations et complexité, avec des difficultés techniques et des coûts associés », pointe le dirigeant du constructeur né de la coopération européenne, il y a trente ans. « On parle de programmes de longue durée, que ce soit en développement, en production ou en support. Pour s'assurer qu'ils soient soutenus, y compris au point de vue budgétaire, il faut un alignement politique fort de l'ensemble des pays », affirme-t-il.
 
« Nous avons besoin d'un engagement réel des deux gouvernements », déclare pour sa part Frank Haun, directeur général du franco-allemand KNDS, maison mère de Nexter et de Krauss-Maffei Wegmann (KMW), qui planche sur le Main Ground Combat System (MGCS) - le char européen du futur. Un programme majeur de défense terrestre qui reste en attente de développement. Concrètement, « il faut un accord sur l'échange de technologies, les droits de propriété intellectuelle et, enfin, une discussion sur l'export d'armements. Ceci est à faire avant même le démarrage », poursuit le patron du groupe franco-allemand pour qui la coopération européenne en matière d'armement terrestre est un must : il faut des équipements similaires et communs pour plus d'efficacité sur les théâtres d'opérations. Et de réclamer « une impulsion gouvernementale plus forte ».

SCAF : l'enjeu crucial de l'export

De son côté, le PDG de Dassault Aviation Eric Trappier, qui planche avec Airbus sur le futur avion de combat, le Next Generation Fighter (NGF), tire les leçons du SCAF. « Il faut que le type de coopération s'adapte à la volonté de faire de la performance opérationnelle », considère-t-il. Autre problématique, celle de mettre en adéquation les budgets et les ambitions. « La coopération doit alléger le fardeau, pas l'alourdir », en conduisant à des surcoûts. Et tout l'enjeu, pour lui, est de réussir à l'export. Reste que dans ce domaine, les sensibilités varient selon les pays. « Elles peuvent être structurelles, les pays étant plus ou moins enclins à exporter, mais aussi conjoncturelles, en fonction des gouvernements, des situations locales et des crises », analyse le directeur de cabinet de Florence Parly, Martin Briens.

Le traité sur la défense entre Paris et Berlin, signé début 2019 à Aix-la-Chapelle, suivi d'un accord adopté en octobre 2019, encadre entre autres l'exportation. Mais quid de l'Espagne, également associée au SCAF ? « Il nous apparaît utile et nécessaire d'étendre cet accord bilatéral ou d'avoir un accord avec l'Espagne pour nous assurer qu'entre partenaires, nous ayons les mêmes règles du jeu en matière d'exportations », avance-t-il.

Principe du « meilleur athlète » : comment négocier ?

Autre principe de coopération réaffirmé par Martin Briens, celui du "best athlete". Autrement dit, c'est l'industriel qui a la meilleure compétence dans un domaine qui prend le leadership. « Ce sont des programmes de longue durée, très coûteux, qui, nécessairement, connaîtront des péripéties. Ce principe apparaît comme une bonne garantie contre les risques de dérives de coût, de délais et de sous-performance », juge-t-il. Mais comment négocier ? Le sommet franco-allemand de 2017 avait posé que la France serait leader sur le SCAF et l'Allemagne sur le MGCS. Un travail complexe s'en est suivi. « Nous avons passé beaucoup de temps à identifier qui était le plus à même de faire le travail de pilotage. Nous sommes aujourd'hui parvenus à un équilibre », déclare-t-il, en affirmant la volonté de reproduire la même formule pour les phases suivantes des programmes.

De même, « il est important pour réussir d'avoir un directeur de programme, pas trois... », insiste de son côté Eric Trappier. Pour lui, la recette du succès se résume ainsi : « Il faut un besoin opérationnel commun avec des spécificités et un directeur étatique qui assume la maîtrise d'ouvrage. C'est au maître d'ouvrage de dire qui est le "best athlete" dans un certain nombre de domaines. Ensuite, il faut lui faire confiance pour aller chercher les meilleurs au rang moins un et moins deux avec une contrainte de retour géographique et industriel. De fait, il faut ensuite répartir le travail entre les pays qui auront financé le projet ».

Mais encore faut-il, pour négocier, savoir à qui parler. Ainsi, la direction générale de l'armement (DGA), en France, n'a pas d'équivalent outre-Rhin. « En Allemagne, ces dernières décennies, beaucoup de technologies et de connaissances ont été transférées de l'agence d'acquisition vers l'industrie, alors que la DGA possède encore une compétence technologique et de connaissances impressionnante et reste beaucoup plus impliquée dans l'ingénierie, faisant évoluer l'industrie dans la voie qu'elle estime juste », explique Frank Haun. « La DGA a clairement dans sa mission la dimension de stratégie industrielle, ce qui suppose le développement de compétences, de technologies et de l'industrie dans la durée », ajoute Bruno Even. Autant de différences face auxquelles un équilibre est à trouver...

Vers une défense commune

Pendant ce temps, une nouvelle étape est en passe d'être franchie sur la voie d'une culture européenne commune de Défense, avec la construction d'un bâtiment, sur la base aérienne d'Évreux, visant à accueillir le premier escadron de transport franco-allemand. Une première... « Imaginez un avion qui va être piloté, par exemple, par un Allemand, un copilote français, avec des mécaniciens allemands ou français : c'est extraordinaire en termes d'intégration », se félicite le général Philippe Lavigne, chef d'état major de l'Armée de l'air et de l'espace.

Ainsi, dans un même bâtiment, « la confiance, l'échange, la réflexion et l'opération vont pouvoir prendre corps ». Sans oublier une autre clé, nécessaire pour la colonne vertébrale de la défense européenne de demain - celle de la formation. « Il est important que des étudiants et des jeunes officiers puissent échanger et se rencontrer dans nos écoles de l'air, pour travailler ensemble, se connaître - et pour que la confiance grandisse », conclut le général.

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Commentaires 2
à écrit le 28/06/2021 à 9:23
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La première des clefs, et la plus importante, c'est de ne pas s'associer aux Allemands.

à écrit le 28/06/2021 à 8:19
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Pour qu'un développement en coopération fonctionne, il faut surtout arrêter de prendre ses voeux pour des réalités, et être réaliste. Par exemple, les Allemands veulent un drone bi-moteur pour voler au-dessus de leur sol, les Francais veulent un dro...

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