SCAF, Eurodrone, Tigre, MGCS, MAWS : d'un hiver désespérant à un été prometteur ?

Après un hiver désespérant, le début de l'été pourrait être très prometteur pour la coopération franco-allemande avec la poursuite ou l'envol de plusieurs grands programmes multilatéraux. Le Bundestag doit effectivement donner son feu vert pour le SCAF (système de combat aérien du futur) et la modernisation de l'hélicoptère de combat Tigre. L'Eurodrone attend le financement de l'Espagne tandis que le MGCS (char du futur) et le MAWS (patrouille maritime) restent à risques encore.
Michel Cabirol
Au fil des jours et des semaines, des négociations jusqu'ici bloquées reprennent souvent à l'initiative de Paris, qui tente de trouver des solutions pour aider et convaincre définitivement les Allemands de basculer du bon côté.
Au fil des jours et des semaines, des négociations jusqu'ici bloquées reprennent souvent à l'initiative de Paris, qui tente de trouver des solutions pour aider et convaincre définitivement les Allemands de basculer du bon côté. (Crédits : Michaela Rehle)

SCAF, MGCS, Eurodrone, Tigre Mark 3, MAWS... Au sortir de l'hiver, les cinq grands programmes lancés en coopération en bilatéral ou en multilatéral en 2017 par la France et l'Allemagne sont alors à des degrés divers tous dans une impasse. Voulu par l'Élysée, l'axe franco-allemand est tout près de vaciller. Certains évoquent alors déjà des plans B, des observateurs demandent l'arrêt d'une coopération à sens unique avec l'Allemagne. Mais le ministère des Armées tient le cap en dépit des grosses tempêtes, qui s'abattent sur ces programme et ébranlent même les certitudes des négociateurs tant les positions semblent très (trop ?) éloignées entre les industriels des deux pays. Pour sortir de toutes ces impasses, l'Hôtel de Brienne mobilise les derniers carrés pour pousser les feux de cette coopération, jugée hautement stratégique par la France, mais peut-être pas autant par l'Allemagne.

Tigre : des négociations à l'arrêt amis qui reprennent

Mais, au fil des jours et des semaines, des négociations jusqu'ici bloquées reprennent souvent à l'initiative de Paris, qui tente de trouver des solutions pour aider et convaincre définitivement les Allemands de basculer du bon côté. C'est notamment le cas pour la modernisation du Tigre au standard Mark 3, un programme crucial pour l'armée de Terre française. Sans aucune alerte fin 2020, les Allemands reviennent en début d'année à la table des négociations pour exprimer des "préoccupations sur la disponibilité du Tigre, qui n'avaient pourtant aucun lien avec le Tigre Mark 3", explique la ministre des Armées Florence Parly dans une interview accordée à La Tribune.

Un coup de théâtre qui prend complètement de court le ministère des Armées et l'industriel Airbus Helicopters même si la disponibilité des Tigre est un vrai sujet en Allemagne. Lors du Conseil franco-allemand de défense et de sécurité de février, Angela Merkel enfonce le clou en déclarant qu'"il y a encore toute une série de négociations à conduire en particulier avec Airbus pour la partie allemande". Des rumeurs laissent même à penser que les forces armées allemandes souhaitent s'offrir des Apache AH-64 plutôt que des Tigre modernisés. Pourtant, la volonté de lancer le Tigre Mark 3 avait été confirmée "à plusieurs reprises", a noté le PDG d'Airbus Helicopters, Bruno Even, dans une interview accordée à La Tribune.

De Paris, le flottement de Berlin agace beaucoup. D'autant que les préoccupations allemandes sur la disponibilité défaillante de leurs Tigre génère un blocage dans les négociations pendant quelques semaines. En outre, le renoncement de l'Allemagne en 2018 à lancer avec la France le missile MAST-F, un programme de missiles tactiques air-sol qui doit armer le Tigre, résonne à ce moment-là dans tous les esprits comme un avertissement : Berlin va-t-il définitivement lâcher le Tigre ou est-ce une tactique pour mettre la pression sur Airbus Helicopters sur le dossier de la disponibilité comme le pensent certains ?

Mais l'enjeu du programme est tel pour la France que renoncer à la participation de l'Allemagne n'est pas une option. "Pour le débloquer, nous avons proposé de partager avec les Allemands notre méthode pour améliorer la disponibilité du Tigre", explique Florence Parly dans La Tribune. La ministre évoque les fameux contrats verticalisés passés avec les maîtres d'œuvre industriels qui progressivement améliorent la disponibilité des flottes des hélicoptères de l'armée française. L'initiative de l'Hôtel de Brienne est gagnante. "Maintenant que l'ensemble des négociations avec Airbus Helicopters sur le contrat Tigre Mark 3 sont achevées à l'OCCAR depuis fin mars, nous attendons l'inscription du sujet à l'ordre du jour d'une séance parlementaire du Bundestag, en parallèle du processus d'approbation espagnol", explique Florence Parly.

Le SCAF peut poursuivre sa saga

Début mars, le programme SCAF (système de combat aérien du futur) était dans une telle impasse que la plupart des observateurs mais aussi des négociateurs ne voyaient plus vraiment d'issue. Entre Dassault Aviation et Airbus, les positions de négociations s'apparentaient depuis le début de l'année à une guerre de tranchée sur le pilier 1 (avion de combat), le programme étant découpé en sept piliers (avion, moteur, remote carrier, cloud de combat, cohérence du programme, capteurs et furtivité). Le plus emblématique programme européen, lancé par l'Allemagne, l'Espagne et la France, était à deux doigts du crash.

Le Conseil franco-allemand de défense et de sécurité n'arrange rien. La déclaration d'Angela Merkel radicalise les positions des industriels français, qui font bloc derrière Dassault Aviation, prêt à laisser tomber. "On a un petit peu rouvert le sujet de la répartition et de la poursuite des travaux, expliquait la Chancelière allemande. (...) C'est un projet, qui est sous leadership français, mais il faut quand même que les partenaires allemands puissent être à un niveau satisfaisant face à leurs partenaires (français, ndlr). Et donc, on doit voir précisément les questions de propriété intellectuelle, de partage des tâches et du partage du leadership". Après ce rendez-vous manqué, le ministère des Armées tente tant bien que mal de recréer les conditions pour que les industriels reprennent un dialogue constructif.

Mais les négociations restent figées. "Il y a un moment où c'était très compliqué, en particulier entre Dassault et Airbus, de se parler et d'avancer", explique-t-on au sein du ministère. Finalement, l'opération inédite de déballage public au Sénat de Dassault Aviation et d'Airbus sur l'échec de leurs négociations aura été in fine salutaire. Les séances de "psychothérapie" organisées par le Sénat auront permis à Dassault et à Airbus d'une part, et d'autre part à Berlin et Paris, de mieux se comprendre et de repartir sur de nouvelles bases de confiance. Et les négociations repartent. "Cela s'est traduit par une offre industrielle de Dassault Aviation et d'Airbus DS début avril sur la partie NGF (Next Generation Fighter), puis par une offre de Safran, MTU et ITP fin avril sur la partie moteur", résume Florence Parly dans La Tribune. Et l'Allemagne, l'Espagne et la France finalisent enfin un nouveau jalon sur le SCAF. Ils se partageront à parts égales une facture de 3,5 milliards d'euros pour pouvoir lancer la phase de définition d'un démonstrateur, qui devrait voler à l'horizon 2026/2027.

L'Eurodrone attend l'Espagne pour décoller

Fin novembre, tous les voyants sont enfin au vert pour le lancement du drone MALE européen après des négociations de très longue durée pour un programme lancé en septembre 2016. Déjà. Il n'est que temps. En janvier 2021, la ministre des Armées révèle à l'Assemblée nationale que l'Eurodrone, attendu dans les armées en 2025, n'arriverait "pas avant 2028" au sein de l'armée de l'air. Soit avec au moins trois ans de retard. Lors du conseil des ministres franco-allemand de juillet 2017, l'objectif était de parvenir à "un contrat global avant 2019".  Selon Florence Parly, "nous avons résolu toutes les questions sur les plans technique et juridique". Mais, en février, c'est la douche froide. L'Espagne n'a pas de budget disponible pour le drone MALE européen.

"Quand je dis que le contrat est notifiable d'ici à l'été, il faut que l'Espagne s'engage sur le financement de ce programme, explique Florence Parly dans l'interview accordé à La Tribune. Cette capacité de financement dépend des délais de ratification des plans de relance et donc de la vitesse avec laquelle les fonds européens du plan de relance vont parvenir à l'Espagne.Il n'y a pas de réserve de principe sur le programme mais il y a une question de financement à finaliser".

L'Eurodrone ou MALE RPAS (3,1 milliards d'euros) a déjà passé le cap du parlement allemand. Il a été approuvé en avril sans difficulté par le Bundestag. Il est vrai que ce programme est sous leadership allemand.

Rheinmetall bloquait MGCS

Deux programmes pour l'heure restent à quai. L'un, MGCS (Main Ground Combat System) ou le char européen du futur, vient de se relancer alors que l'autre MAWS (Maritime Airborne Warfare System) ou système de patrouille maritime, est complètement à l'arrêt. Sur MGCS, les discussions entre les industriels viennent de reprendre après "un grand temps d'arrêt", explique-t-on de source proche du dossier. Pour quelles raisons les discussions avaient-elle été arrêtées ? "Rheinmetall a vis-à-vis de ses deux partenaires industriels Nexter et KMW des exigences en contradiction avec les conditions qui nous ont permis de trouver un accord sur le SCAF", regrette très clairement Florence Parly à La Tribune. Par conséquent, le projet ne progresse pas pour le moment au rythme souhaité par tous. Pourtant il y a des solutions sur la table".

En dépit des exigences de Rheinmetall, qui embarrassent aussi bien Nexter que Krauss-Maffei Wegmann (KMW) et qui ont jusqu'ici bloqué des négociations, le ministère de la Défense allemand n'a pas souhaité se mêler d'un problème entre deux entreprises privées dans lequel il ne s'estime pas compétent pour intervenir. Les négociations bloquent principalement sur l'armement du char du futur que Rheinmetall considère comme sa chasse gardée. Mais Nexter propose une coopération équilibrée et de long terme pour l'armement principal du MGCS, autour de technologies d'avenir regroupées dans un système d'armes à fort potentiel d'évolution. Le groupe français propose ainsi le concept ASCALON (Autoloaded and SCALable Outperforming guN) destiné à traiter les menaces lourdes de dernière génération. Les négociations sur le SCAF enfin finalisées, le ministère des Armées va tenter d'accélérer celles sur le MGCS.

MAWS dans les tourmentes de la coopération

Il est loin le temps où l'Allemagne et la France, en juillet 2017 à l'Élysée, conviennent de chercher "une solution européenne" en matière de système de patrouille maritime "afin de remplacer leurs capacités actuelles respectives. Une feuille de route commune sera mise au point en 2018". Le programme MAWS est destiné à remplacer les Atlantique 2 à l'horizon 2035 et les P-3C Orion allemands. "Lorsqu'il est apparu que les avions de patrouille maritime allemands auraient une durée de vie moindre que les nôtres, nous avons proposé à l'Allemagne une solution de transition pour les forces armées allemandes, pour ne pas compromettre ce programme franco-allemand", explique la ministre à La Tribune.

Dans ce cadre, la France a proposé à l'Allemagne d'utiliser ses Atlantique 2 rénovés. "Nous avons légitimement pensé que cette proposition était intéressante et, qui plus est, s'inscrivait dans une démarche cohérente dans laquelle nous sommes déjà engagés avec les Allemands avec le C-130, dans le cadre de l'escadron franco-allemand de C-130 à Evreux", a souligné la ministre. Non seulement l'Allemagne n'a semble-t-il pas répondu à la France - ce qui a surpris -, mais cette dernière a "récemment découvert que le Congrès américain s'apprêtait à donner une autorisation de FMS pour des avions de patrouille maritime P8, qui ne peuvent pas être, de notre point de vue, un gapfiller dans l'attente du MAWS", constate Florence Parly dans la Tribune.

"La vente proposée permettra à l'Allemagne de moderniser et de maintenir sa capacité d'aéronefs de surveillance maritime (MSA) au cours des 30 prochaines années", a expliqué le département d'État américain.

En dépit de l'attitude de Berlin, la ministre souhaite repartir très rapidement au combat et demander des explications à son partenaire allemand. "Dès lors que c'est un projet de coopération, cela doit le rester parce que c'est un engagement fort qui a été pris il y a quatre ans. Nous allons rapidement clarifier ce sujet avec l'Allemagne", souligne-t-elle. Un programme très important pour la France. Les Atlantique 2 permettent à la France d'assurer la crédibilité de dissuasion et la protection de ses espaces maritimes.

Michel Cabirol

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Commentaires 13
à écrit le 19/05/2021 à 13:12
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La poursuite de ces programmes ne veut forcément dire que cela est une bonne chose pour la France

à écrit le 19/05/2021 à 7:50
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les allemands cherchent toujours à nous rouler, comme les britanniques, il vaudrait mieux cooperer avec d'autres pays, comme l'espagne ou la grèce.

à écrit le 18/05/2021 à 21:10
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Reptiles allemandes, 5eme collonnistes, qui jettent des paves dans le mer pour ruiner le progres et cooperation europeen.

à écrit le 18/05/2021 à 17:01
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Encore beaucoup d' attente qui traduit le peu d' allant des uns et des autres puisque le papa otanesque us veille..

à écrit le 18/05/2021 à 16:22
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Faire de l'Allemagne l'alpha et l'omega de notre politique industrielle de défense (et de notre politique de défense tout court)un est une erreur, et même une faute. Pour la France, la coopération avec l'Allemagne semble constituer e fin en soit, ave...

le 18/05/2021 à 17:23
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L’analyse est évidemment pertinente. Après, ce qui pique et piquera aussi les Germains, c’est le fait Indien, le fait Chinois, les USA, la Russie. Demain, ce sera l’Indonesie, le Brésil, le Nigeria voir la Turquie. La situation qui prévalait quand no...

à écrit le 18/05/2021 à 14:46
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On pourra pavoiser quand les allemands respecteront Thales et Safran. On s’est montré sympas sur Rheinmetal, non?

à écrit le 18/05/2021 à 14:45
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Encore quelques mois et les Verts dirigerons l'Allemagne dans une coalition , donnons nous l'illusion d'une coopération dans l'industrie militaire, mais attendons un peu avant de crier victoire. !!!

à écrit le 18/05/2021 à 11:58
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On doute un peu qd même qu'un industriel comme Dassault, fort de plus de 60 ans d'indépendance stratégique obtenu au forceps , se soit fait damer le pion par les Teutons ( on se souvient du claquement de porte ds la coopération avec l'eurofighter, ...

à écrit le 18/05/2021 à 11:52
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Hallucinants, ces allemands!!! Si l'Europe de la défense ne se fait pas, ce sera leur faute.

à écrit le 18/05/2021 à 9:07
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M. Cabirol, vous avez l'air de vous réjouir mais n'avez vous pas compris le jeu des allemands? Ces derniers eux ont bien compris qu'Emmanuel Macron est prêt à toutes les concessions pour faire avancer ses projets européens. Donc sur chaque projet, il...

le 18/05/2021 à 14:35
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Pas mieux ! Se rappeler qu'à l'origine EADS a été constitué à 70% par des apports français (Aérospatiale, Matra, etc...), bref la fine fleur de l'époque. Tout ça pour tomber dans les mains des Allemands, en attendant que ce soit le pays qui soit ra...

à écrit le 18/05/2021 à 8:41
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par le bout du nez triste France !!

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