Et si l'américain General Electric parvenait à la surprise générale à motoriser l'Eurodrone

Le programme de drone MALE européen pourrait voler avec des moteurs du groupe américain General Electric. Safran Helicopter Engines propose quant à lui une solution 100% européenne. Airbus Defence & Space est sur le point de sélectionner le vainqueur de la compétition.
Michel Cabirol
Le moteur de General Electric, le Catalyst proposé pour propulser l'Eurodrone (photo), semble être ITAR free (réglementation portant sur les armes conventionnelles, International traffics in arms regulation). Toutefois, il n'échappe pas en revanche à la réglementation américaine elle aussi extraterritoriale EAR (Export administration regulations) pour les biens et technologies à double usage.
Le moteur de General Electric, le Catalyst proposé pour propulser l'Eurodrone (photo), semble être ITAR free (réglementation portant sur les armes conventionnelles, International traffics in arms regulation). Toutefois, il n'échappe pas en revanche à la réglementation américaine elle aussi extraterritoriale EAR (Export administration regulations) pour les biens et technologies à double usage. (Crédits : Airbus)

Aussi incroyable que celui puisse paraître, le programme de drone MALE européen, l'Eurodrone, pourrait voler avec des moteurs américains. Et plus précisément avec un moteur turbopropulseur développé par General Electric (GE), le Catalyst. Ce qui pose évidemment la problématique de l'autonomie stratégique de l'Europe et de la France en terme de souveraineté d'une part, voire de la capacité à exporter un système d'arme avec un équipement américain majeur à bord sans avoir à demander in fine l'autorisation à Washington.

Face à GE, le motoriste Safran Helicopter Engines (Safran HE) propose quant à lui le moteur Ardiden TP3, le seul turbopropulseur 100% européen pour des applications militaires. Safran HE a embarqué dans son programme quatre partenaires européens : les allemands MT-Propeller et ZF Luftfahrttechnik (ZFL), l'espagnol ITP et l'italien Piaggio Aerospace. Le ministère des Armées soutient la démarche de Safran HE tandis que la Direction générale de l'armement (DGA) ne reste pas insensible à ce type de démarche. D'autant que la DGA spécifie "dorénavant quasi systématiquement, sauf impossibilité, les licences "ITAR free" (International traffics in arms regulation, ndlr) dans nos nouveaux programmes", avait expliqué le Délégué général pour l'armement Joël Barre lors d'une conférence de presse en octobre.

Une compétition en voie d'être tranchée

Cette compétition va être tranchée d'ici à deux semaines par Airbus Defence & Space, le maître d'oeuvre de l'Eurodrone, selon nos informations. Selon un porte-parole d'Airbus interrogé par La Tribune, le constructeur a précisé qu'il menait "actuellement un appel d'offres compétitif pour sélectionner le moteur de l'Eurodrone. Deux fournisseurs ont été présélectionnés à ce stade du processus, chacun d'entre eux offrant une solution européenne".

Ce programme compliqué, qui regroupe quatre pays européens (Allemagne, Espagne, France et Italie), va en outre bénéficier d'aides européennes dans le cadre du plan de développement industriel dans le domaine de la défense (PEDID) à hauteur de 100 millions d'euros. Il serait de bon ton que, pour le futur drone MALE européen, qui devra être opérationnel à l'horizon 2025, le contribuable européen aide au développement d'un moteur "Made in Europe".

"Le besoin unanimement affiché est celui d'une capacité drone de moyenne altitude et longue endurance européenne autonome, a expliqué le 13 octobre dernier à l'Assemblée nationale le chef d'état-major de l'armée de l'air et de l'espace, le général Philippe Lavigne. Ce drone devra pouvoir emporter un nombre conséquent d'effecteurs, qu'il s'agisse de capteurs ou d'armements, pour avoir la capacité, en toute sécurité, d'évoluer dans un espace aérien non ségrégué. Ce projet évolue très favorablement et devrait aboutir prochainement".

Avio, le faux-nez de General Electric

Bientôt certifié par la FAA (Federal Aviation Administration), le Catalyst est bien un moteur "Made in USA" : General Electric doit motoriser le Cessna Denali de Textron Aviation en dépit des retards dans le développement du moteur. Pour européaniser son offre, GE joue donc à fond la carte de sa filiale italienne, le motoriste italien Avio Aero racheté en 2012 au nez et à la barbe de... Safran. Sans complexe, le cheval de Troie européen de GE a estimé dans un communiqué publié en début d'année que la version militaire du Catalyst est 100% européenne. Et donc échappe aux réglementations extraterritoriales américaines portant sur le contrôle des exportations par Washington. Ce qui est évidemment sujet à caution : la version civile du Catalyst a été imaginée dès 2012 par les départements GE Business et GE Turbopropulseurs, qui ont conçu un nouveau moteur dans la gamme des 1.000/1.600 chevaux pour des avionneurs civils. Et le Catalyst bénéficie de 98 technologies américaines brevetées.

Si effectivement le Catalyst semble être ITAR free (réglementation portant sur les armes conventionnelles), il n'échappe pas en revanche à la réglementation américaine elle aussi extraterritoriale EAR (Export administration regulations) pour les biens et technologies à double usage (Commerce Control List-CCL, applications à la fois civile et militaire). La propulsion aéronautique entre dans la catégorie 9 de la CCL. La mise en œuvre de cette réglementations est sous la responsabilité du département au commerce (department of commerce).

"Cette réglementation a une portée extraterritoriale forte, explique le ministère des Armées. Elle s'applique ainsi non seulement aux citoyens ou sociétés américaines ou établies aux États-Unis mais également à toute personne morale de droit américain, y compris lorsqu'elles sont implantées hors du territoire américain, à toute personne en possession d'un bien (ou technologie) EAR et à toute personne présente sur le sol américain".

La réglementation EAR est moins contraignante que celle d'ITAR. Ainsi, le pourcentage en valeur de composants américains incorporés, dit principe « de minimis », doit dans le cadre de la réglementation EAR être supérieur à 10 % dans un produit pour certains pays sous embargo pour terrorisme (Corée du Nord, Cuba, la Syrie, l'Iran, le Soudan). Ce seuil est porté à 25 % pour les pays qui ne sont pas sous cet embargo. Si effectivement le moteur américain échappe à cette réglementation, "Avio Aero reste une société sous le contrôle de GE et donc soumis aux desidarata de sa maison-mère américaine et de l'influence gouvernementale américaine", rappelle-t-on à La Tribune.

Mais comme chacun le sait, la réglementation ITAR et EAR peut évoluer en fonction des intérêts stratégiques et commerciaux des Etats-Unis. Donc la menace perdure sur tous les programmes européens ayant des composants, des sous-systèmes ou des équipements américains. enfin, explique-t-on à La Tribune, "si un moteur américain est sélectionné, à minima il y aura un impact sur les pièces de rechange et ce, quelle que soit la valeur du moteur".

Une concurrence transatlantique

Dans la réforme du dispositif du contrôle de l'exportation, appelée « export control reform initiave », qui a été initiée en 2009 par l'administration Obama, puis a été complétée par l'administration Trump, le président Donald Trump s'est recentré sur le premier et le dernier des quatre objectifs fixés par Barack Obama : 1/ renforcer la sécurité des États-Unis ; 2/ recentrer le contrôle de l'administration américaine sur les exportations les plus sensibles ; 3/ assurer une plus grande interopérabilité avec les alliés ; 4/ Renforcer la compétitivité des industriels américains.

Airbus s'était engagé sur ce programme à défendre la problématique de souveraineté européenne. Ainsi, le patron d'Airbus Defence & Space Dirk Hoke avait estimé dans un communiqué en avril 2018 que le "drone MALE RPAS sera l'un des futurs garants de la souveraineté de l'Europe". Puis, en octobre dans une interview accordée à La Tribune, il avait affirmé que l'Eurodrone "sera un drone 100% Made in Europe pour l'Europe et au-delà". A suivre...

Michel Cabirol

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Commentaires 28
à écrit le 11/11/2020 à 13:28
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Incroyable , ils semblerai que en Europe l'ons ne sais plus construire des moteurs d'avion ... Pourtant je croyez que nous somme dans une dèmarche dè reindustrialisation dè notre union ... En plus , je suis certain que les salaires ne sont pas bien é...

à écrit le 10/11/2020 à 21:02
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Selon moi GE développe en partie le moteur en Tchéquie avec l ex Walter . Safran et MT doivent faire au même prix. Les deux moteurs sont à peu près au même stade de développement. A mon sens c'est une fuite pour faire diminuer le coût de ...

le 11/11/2020 à 23:58
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Entièrement d'accord jusqu'à la dernière phrase :)

à écrit le 10/11/2020 à 16:24
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On sera interdit d'exportation par les Américains. Aucun élément américain dans nos armes. Méfiance avec les allemands qui nous bloquent aussi ! Le contrat de coopération doit être béton.

à écrit le 10/11/2020 à 14:56
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L'article est assez incomplet. Sait-on quel est l'écart de coût entre les deux solutions? Pour l'heure la seule information de l'article est qu'il y a deux soumissionnaires et que Airbus doit préciser le vainqueur. Mais nous n'avons aucune informa...

le 11/11/2020 à 11:10
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Post très naïf, comment voulez-vous qu'un journaliste ait accès à une telle info confidentielle. Faut pas rêver non plus

le 11/11/2020 à 11:25
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Allons Totoff, si le journaliste a écrit c'est surement a la demande d'Airbus ou de Safran. Si il n'a rien à dire qu'il leur dise clairement qu'avec si peu d'info il ne peut pas faire d'article. Sinon qu'il n'écrive pas une information non pertinen...

le 11/11/2020 à 22:13
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Éduquer les journalistes : mais oui, mais oui et la liberté de la presse ? Vous n'auriez pas des tendances d'autocrate Rémy ? Moi j'ai appris pas mal de choses dans cet article. Mais vous en tant qu'apprenti autocrate, vous savez tout sur tout

le 12/11/2020 à 9:40
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Cher Totoff, j'attends effectivement certaines informations et j'attends aussi que l'on me donne des éléments de comparaison. Si demander de la méthodologie est autocratique alors pas de soucis. Mais balancer des chiffres ou des données sans él...

à écrit le 10/11/2020 à 13:29
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"The gearbox, power turbine and combustor will be made in Turin and the rotating components will be supplied from Warsaw, both locations belonging to Avio, acquired by GE in 2013, and the final assembly line should be at Walter Engines in Prague. It ...

le 10/11/2020 à 14:59
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Connaissez-vous la signification de l'acronyme ITAR et surtout des conséquences de celui-ci pour la capacité à exporter ces matériels ?

le 10/11/2020 à 14:59
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Connaissez-vous la signification de l'acronyme ITAR et surtout des conséquences de celui-ci pour la capacité à exporter ces matériels ?

le 11/11/2020 à 11:13
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Et les IP, elles viennent d'où ? Du pays de Merlin l'enchanteur ? GE tente d'européaniser le Catalyst mais cela reste et restera toujours un moteur américain.

le 12/11/2020 à 10:51
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Aucun des pays listés ne font partie du contrat de base (France Allemagne Espagne). Si c'est pour mettre des moteurs US et ITAR , je pense qu'il vaut mieux acheter des drones US ça coutera bien moins cher au contribuables. Je vois pas pourquoi des c...

à écrit le 10/11/2020 à 12:52
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Juste une petite remarque pour tous les commentateurs avisés de l'industrie. Le client militaire spécifie des performances et un coût objectif. Dans ce cadre l'industriel propose une solution. Il est probable que le moteur de GE est simplement moins ...

le 10/11/2020 à 15:00
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Je poste exactement le même commentaire que plus-haut.

le 10/11/2020 à 19:22
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Juste un commentaire pour celui qui s'imagine un commentateur avisé de la chose industrielle et de Défense. Sur le plan purement technique: il ne s'agit évidemment pas de dénigrer le Catalyst de GE: ce sont des pros avec un savoir-faire immense et de...

le 11/11/2020 à 12:46
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Visiblement l'ironie du propos vous échappe quant aux commentateurs avisés de l'industrie....Justement lorsqu'on regarde les communiqués de Safran sur ce moteur il ne reste plus grand chose de l'Ardiden3. C'est surtout un argument dans la proposition...

le 11/11/2020 à 15:01
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"lorsqu'on regarde les communiqués de Safran sur ce moteur il ne reste plus grand chose de l'Ardiden3": les informations dont je dispose (Air&Cosmos, aerobuzz, aviationpros etc) indiquent précisément le contraire: ce serait bien un générateur de gaz ...

à écrit le 10/11/2020 à 11:38
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Le problème : la solution européenne est plus chère, moins performante, loin de l'entrée en série, plus risquée pour la certification civile demandée pour cet appareil. Safran et autres, ne sont quasi jamais compétitifs et ne gagnent que par protect...

le 11/11/2020 à 11:15
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- Safran plus cher que GE: avez-vous des infos factuelles à nous fournir plutôt que des sentiments personnels ? - moins performantes: idem, avez-vous des éléments factuels sur les réponses aux RFP pour prouver que l'Ardiden 3TP est moins performant ...

le 11/11/2020 à 23:51
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@Polaris: je n'ai pas à divulguer ce type d'information mais ceux qui sont impliqués dans ces RFPs savent de quoi je parle. Nos appareils sont souvent bons comme vous le citez, nos équipements moins. Les MRTT US et Lakota, ce dont des versions fort...

à écrit le 10/11/2020 à 11:16
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Pauvre UE , la France devrait se tourner vers l'Afrique et développer la francophonie plutôt que de rester dans ce machin technocratique. Nous avons le 3ème patrimoine mondial marin et on perd notre temps dans cette UE complètement sclérosée.

le 10/11/2020 à 21:25
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Excellent !

le 11/11/2020 à 9:50
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Je partage le même avis que vous Au lieu que la France continue sur un partenariat éclairé avec lafrique francophone, il laisse l'Asie, les maghrébin prendre la marge du terrain. Sur un système de désorientation physiologique partant vers une dég...

à écrit le 10/11/2020 à 10:01
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Je croyais qu'avec le monde d'après où l'on glorifiait la souveraineté stratégique (et tt particulièrement la France), une telle dissonance surtout pour un tel programme compris ds la stratégie de défense commune, n'aurait plus cours: Airbus défense ...

à écrit le 10/11/2020 à 9:40
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La solution GE ne devrait même pas être envisagée.

à écrit le 10/11/2020 à 8:32
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C'est l'europe de la défense dans toute sa splendeur....ecoeurant !!!

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