Aussi incroyable que celui puisse paraître, le programme de drone MALE européen, l'Eurodrone, pourrait voler avec des moteurs américains. Et plus précisément avec un moteur turbopropulseur développé par General Electric (GE), le Catalyst. Ce qui pose évidemment la problématique de l'autonomie stratégique de l'Europe et de la France en terme de souveraineté d'une part, voire de la capacité à exporter un système d'arme avec un équipement américain majeur à bord sans avoir à demander in fine l'autorisation à Washington.
Face à GE, le motoriste Safran Helicopter Engines (Safran HE) propose quant à lui le moteur Ardiden TP3, le seul turbopropulseur 100% européen pour des applications militaires. Safran HE a embarqué dans son programme quatre partenaires européens : les allemands MT-Propeller et ZF Luftfahrttechnik (ZFL), l'espagnol ITP et l'italien Piaggio Aerospace. Le ministère des Armées soutient la démarche de Safran HE tandis que la Direction générale de l'armement (DGA) ne reste pas insensible à ce type de démarche. D'autant que la DGA spécifie "dorénavant quasi systématiquement, sauf impossibilité, les licences "ITAR free" (International traffics in arms regulation, ndlr) dans nos nouveaux programmes", avait expliqué le Délégué général pour l'armement Joël Barre lors d'une conférence de presse en octobre.
Une compétition en voie d'être tranchée
Cette compétition va être tranchée d'ici à deux semaines par Airbus Defence & Space, le maître d'oeuvre de l'Eurodrone, selon nos informations. Selon un porte-parole d'Airbus interrogé par La Tribune, le constructeur a précisé qu'il menait "actuellement un appel d'offres compétitif pour sélectionner le moteur de l'Eurodrone. Deux fournisseurs ont été présélectionnés à ce stade du processus, chacun d'entre eux offrant une solution européenne".
Ce programme compliqué, qui regroupe quatre pays européens (Allemagne, Espagne, France et Italie), va en outre bénéficier d'aides européennes dans le cadre du plan de développement industriel dans le domaine de la défense (PEDID) à hauteur de 100 millions d'euros. Il serait de bon ton que, pour le futur drone MALE européen, qui devra être opérationnel à l'horizon 2025, le contribuable européen aide au développement d'un moteur "Made in Europe".
"Le besoin unanimement affiché est celui d'une capacité drone de moyenne altitude et longue endurance européenne autonome, a expliqué le 13 octobre dernier à l'Assemblée nationale le chef d'état-major de l'armée de l'air et de l'espace, le général Philippe Lavigne. Ce drone devra pouvoir emporter un nombre conséquent d'effecteurs, qu'il s'agisse de capteurs ou d'armements, pour avoir la capacité, en toute sécurité, d'évoluer dans un espace aérien non ségrégué. Ce projet évolue très favorablement et devrait aboutir prochainement".
Avio, le faux-nez de General Electric
Bientôt certifié par la FAA (Federal Aviation Administration), le Catalyst est bien un moteur "Made in USA" : General Electric doit motoriser le Cessna Denali de Textron Aviation en dépit des retards dans le développement du moteur. Pour européaniser son offre, GE joue donc à fond la carte de sa filiale italienne, le motoriste italien Avio Aero racheté en 2012 au nez et à la barbe de... Safran. Sans complexe, le cheval de Troie européen de GE a estimé dans un communiqué publié en début d'année que la version militaire du Catalyst est 100% européenne. Et donc échappe aux réglementations extraterritoriales américaines portant sur le contrôle des exportations par Washington. Ce qui est évidemment sujet à caution : la version civile du Catalyst a été imaginée dès 2012 par les départements GE Business et GE Turbopropulseurs, qui ont conçu un nouveau moteur dans la gamme des 1.000/1.600 chevaux pour des avionneurs civils. Et le Catalyst bénéficie de 98 technologies américaines brevetées.
Si effectivement le Catalyst semble être ITAR free (réglementation portant sur les armes conventionnelles), il n'échappe pas en revanche à la réglementation américaine elle aussi extraterritoriale EAR (Export administration regulations) pour les biens et technologies à double usage (Commerce Control List-CCL, applications à la fois civile et militaire). La propulsion aéronautique entre dans la catégorie 9 de la CCL. La mise en œuvre de cette réglementations est sous la responsabilité du département au commerce (department of commerce).
"Cette réglementation a une portée extraterritoriale forte, explique le ministère des Armées. Elle s'applique ainsi non seulement aux citoyens ou sociétés américaines ou établies aux États-Unis mais également à toute personne morale de droit américain, y compris lorsqu'elles sont implantées hors du territoire américain, à toute personne en possession d'un bien (ou technologie) EAR et à toute personne présente sur le sol américain".
La réglementation EAR est moins contraignante que celle d'ITAR. Ainsi, le pourcentage en valeur de composants américains incorporés, dit principe « de minimis », doit dans le cadre de la réglementation EAR être supérieur à 10 % dans un produit pour certains pays sous embargo pour terrorisme (Corée du Nord, Cuba, la Syrie, l'Iran, le Soudan). Ce seuil est porté à 25 % pour les pays qui ne sont pas sous cet embargo. Si effectivement le moteur américain échappe à cette réglementation, "Avio Aero reste une société sous le contrôle de GE et donc soumis aux desidarata de sa maison-mère américaine et de l'influence gouvernementale américaine", rappelle-t-on à La Tribune.
Mais comme chacun le sait, la réglementation ITAR et EAR peut évoluer en fonction des intérêts stratégiques et commerciaux des Etats-Unis. Donc la menace perdure sur tous les programmes européens ayant des composants, des sous-systèmes ou des équipements américains. enfin, explique-t-on à La Tribune, "si un moteur américain est sélectionné, à minima il y aura un impact sur les pièces de rechange et ce, quelle que soit la valeur du moteur".
Une concurrence transatlantique
Dans la réforme du dispositif du contrôle de l'exportation, appelée « export control reform initiave », qui a été initiée en 2009 par l'administration Obama, puis a été complétée par l'administration Trump, le président Donald Trump s'est recentré sur le premier et le dernier des quatre objectifs fixés par Barack Obama : 1/ renforcer la sécurité des États-Unis ; 2/ recentrer le contrôle de l'administration américaine sur les exportations les plus sensibles ; 3/ assurer une plus grande interopérabilité avec les alliés ; 4/ Renforcer la compétitivité des industriels américains.
Airbus s'était engagé sur ce programme à défendre la problématique de souveraineté européenne. Ainsi, le patron d'Airbus Defence & Space Dirk Hoke avait estimé dans un communiqué en avril 2018 que le "drone MALE RPAS sera l'un des futurs garants de la souveraineté de l'Europe". Puis, en octobre dans une interview accordée à La Tribune, il avait affirmé que l'Eurodrone "sera un drone 100% Made in Europe pour l'Europe et au-delà". A suivre...
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