Contrairement à ce qui peut se dire ou s'entendre, les pays clients de l'industrie de défense française règlent leurs factures sans difficulté, y compris l'Égypte souvent pointée du doigt. C'est la Cour de compte, gardienne de l'orthodoxie budgétaire et financière, qui le constate dans son rapport sur « Le soutien aux exportations de matériel militaire ». Ainsi, la situation de Bpifrance Assurance Export (AE), qui apporte sa garantie à une grande partie des exportations d'armements pour le compte de l'État (risques crédit et/ou d'interruption de contrat), a été au cours de la période 2010-2021, « constamment bénéficiaire et les primes versées ont dépassé le montant des indemnités », observe la Cour des comptes. A l'exception de 2015, en raison du sinistre majeur lié à l'interdiction d'exportation des porte-hélicoptères Mistral à la Russie. Le coût financier de la non livraison des deux navires fabriqués par Naval Group s'est élevé à 409 millions d'euros pour la France.
« Ce résultat largement positif s'explique à la fois par la bonne tenue des pays emprunteurs et, surtout, par la bonne exécution des accords de consolidation », analyse la Cour des comptes.
Toutefois, note la rue Cambon, en raison notamment de la diminution du volume du recouvrement des créances, « le résultat a tendance à se dégrader au cours des deux derniers exercices ». A surveiller mais la tendance reste encore largement positive. La commission des garanties et du crédit au commerce extérieur a examiné 205 demandes relevant du secteur militaire, et 167 ont obtenu un accord au cours des exercices 2015-2021. Le flux annuel de demandes varie de 20 à 39 et le nombre de dossiers accepté de 19 à 27, explique la Cour des comptes.
Le militaire pèse dans le portefeuille de Bpifrance AE
La part du militaire dans le stock de crédits garantis, qui était inférieure au quart de l'encours de Bpifrance AE au début de la décennie 2010 atteignait à la fin de l'exercice 2021 près de 29 %. Loin du pic de 2017 où elle frôlait les 38 %. Pour autant, la Cour des comptes souligne que plusieurs contrats militaires importants sont entrés en vigueur ou ont été conclus à la fin de l'année 2021 et que, s'ils ont fait l'objet de promesses de garantie, celles-ci n'étaient pas encore entrées en vigueur au moment de la rédaction de ce rapport.
« La tendance devrait donc être à la croissance », estime-t-elle. D'autant note-t-elle, que « l'écart entre les conditions proposées en matière de risque de crédit et le taux de l'endettement sur le marché s'est réduit, rendant les garanties des crédits acheteurs plus attractives ». C'est ce qui avait permis à la Grèce de payer comptant l'acquisition des Rafale, le taux des obligations assimilables du Trésor de la Grèce à dix ans étant inférieur à 1% entre janvier et fin octobre 2021.
Un portefeuille militaire très concentré...
Ainsi, l'encours du portefeuille d'assurance-crédit de Bpifrance AE montre que « les cinq pays avec lesquels les commandes plus importantes ont été conclues (47 milliards d'euros sur un total de de 56,34 milliards, soit 78 %) relèvent majoritairement des catégories 2 et 3 à l'exception de l'Égypte classée en catégorie 5 ». Les pays sont notés dans le cadre d'une « classification des risques pays des participants à l'Arrangement sur les crédits à l'exportation bénéficiant d'un soutien public ». Cette classification range les États en sept catégories allant de 1 (non classé, meilleur risque) à 7 (plus mauvais risque).
L'encours du portefeuille d'assurance-crédit de Bpifrance AE est très concentré puisque dix pays représentent 92 % de la totalité de l'encours militaire (Inde, Qatar, Arabie Saoudite, Égypte, Émirats Arabes Unis, Belgique, États-Unis, Singapour, Koweït et Corée du sud). Les pays dits à haut revenu membres de l'OCDE ou de la zone euro sont non classés et bénéficient des primes les plus faibles. À titre d'exemple, on trouve dans la catégorie 2 les Émirats Arabes Unis et la Chine, dans la 3 l'Inde et l'Indonésie, dans la 4 la Colombie et l'Azerbaïdjan, dans la 5 le Brésil et l'Égypte, dans la 6 la Bolivie et le Cameroun, dans la 7 l'Irak et l'Argentine.
... et relativement risqué
En dépit de cette situation positive, la Cour des comptes considère que l'encours du portefeuille militaire d'assurance-crédit de Bpifrance AE est « relativement risqué ». « Un rééquilibrage au profit de pays plus solvables nécessiterait pour rendre les garanties plus attractives une révision des taux de prime d'assurance qui leur sont appliqués car elles renchérissent de manière très importante le coût des crédits », explique la Cour des comptes. Et de préciser toutefois que la direction générale du Trésor ne compte pas s'engager dans cette voie. En outre, la dénonciation du contrat des sous-marins australiens montre que la signature des contrats avec les pays de l'OCDE n'est pas sans risque. « L'amélioration de la qualité du portefeuille pourrait donc être recherchée par une politique de tarification des primes qui n'exclut pas les meilleurs risques », estime-t-elle.
La cour des comptes est préoccupée par d'éventuels sinistres liés notamment à la réglementation américaine ITAR (International Traffic in Arms Regulations) ou à des veto de réexportation. Ainsi, les polices d'assurance Bpifrance AE peuvent intégrer le risque d'interruption de contrat lié au refus d'exportation d'un composant par les autorités américaines ou au retrait d'une licence préalablement accordée. En outre, Bpifrance a également identifié un risque lié à l'Allemagne. Une clause a été introduite pour la première fois en 2017. « Des menaces de sinistres de cette nature ont notamment accompagné la vente des systèmes d'armes des avions Rafale à l'Égypte et au Qatar », rappelle à ce propos la Cour des comptes.
Ces menaces ont conduit l'Etat français et les industriels concernés à rechercher en urgence une solution indépendante des composants américains (ITAR free) qui a entraîné retards et surcoûts. Ce qui devrait « se traduire par une indemnisation de l'entreprise (probablement MBDA, ndlr) en cours d'évaluation au moment de la rédaction de ce rapport ». Et de conclure que « cette perspective souligne l'importance de développer des solutions indépendantes de composants étrangers soumis à autorisations d'exportation ». C'est l'un des plus grands défis de l'industrie d'armement française, qui dépose chaque année entre 800 et 1.000 dossiers pour obtenir des licences d'exportation de la part des États-Unis.
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Lire ou relire les trois premiers volets de cette série sur les exportations d'armements :
Exportations d'armes : ces sombres menaces identifiées par la Cour des comptes (1/4)
Exportations d'armes : les industriels sont-ils des mauvais payeurs ? (3/4)
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