Naval Group : pourquoi l'exportation reste cruciale pour ce groupe stratégique pour la France

Naval Group est au cœur du réarmement des marines du monde entier. Le groupe naval doit se relancer à l'exportation pour rester compétitif et innovant en vue d'accompagner les ambitions de la Marine nationale face aux nombreux enjeux de sécurité sur et sous les mers et océans du monde entier.
Michel Cabirol
A la tête de Naval Group, Pierre Eric Pommellet est au cœur des enjeux de sécurité maritimes
A la tête de Naval Group, Pierre Eric Pommellet est au cœur des enjeux de sécurité maritimes (Crédits : Reuters)

Pour donner toute sa pleine puissance à la Marine nationale, Naval Group doit être taillé pour le grand large. Car sans l'exportation, le champion naval tricolore, qui ne peut s'appuyer que sur le seul marché national, s'affaiblirait, dépérirait et ne resterait pas au niveau des attentes d'une marine nationale ayant à la fois une vocation et une ambition mondiale, dont l'IndoPacifique où Paris fait beaucoup plus illusion que peur. Cette stratégie, clairement affichée par Emmanuel Macron à la tête d'un pays riche d'une zone économique exclusive (ZEE) de plus de 11 millions de km², s'accompagne forcément par un industriel référent, une tête de gondole solide sur ses fondamentaux (construction navale et armements adéquats) mais également portée par l'innovation technologique (lasers - effecteurs et communications -, dronisation, interconnexions avec le spatial, cyberdéfense, quantique...)

Un fleuron garant de l'indépendance française

Ce champion-là doit être Naval Group, capable de vendre ses navires dans le monde entier (bâtiments de surface, sous-marins, systèmes de systèmes) et soutenu par une supply chain tricolore efficace et innovante. C'est à ce prix qu'il demeurera cette tête de gondole dont la France a besoin pour nouer des relations bilatérales très intimes avec certains pays sur une très longue durée (sur le coût de possession d'un navire, qui s'étale au-delà de 20 ans). Des partenariats qu'elle aura choisi sans aucune contrainte politiques, technologiques, en termes d'approvisionnements et de financements bancaires tout en restant résiliente vis-à-vis de la pression médiatique (ONG, critères ESG, commission européenne).

Récemment Naval Group n'a pas souhaité par exemple déposer une offre en dollars en Colombie pour le projet PES afin de ne pas s'exposer à d'éventuelles poursuites américaines (réglementations extraterritoriales). Le groupe naval est à un moment charnière de son développement même si le site de Lorient (bâtiments de surface) a pour le moment de la charge jusqu'en 2028/2029 : corvettes émiriennes jusqu'en 2023, frégates FDI France (première livrée en 2024) et grecques (2 navires livrés par an à partir de 2025) mais fin du programme FREMM, dont la dernière la Lorraine sera livrée le 3 novembre prochain). L'arrivée prochaine de Marie-Laure Bourgeois (1er décembre) à la tête des équipes commerciales (France et export) va redynamiser toute la politique commerciale de Naval Group au regard de sa longue expérience à l'international chez Thales.

Si le groupe naval doit être soutenu par l'État français à l'export, il a également le devoir de rester compétitif face à des concurrents audacieux mais aussi peu scrupuleux en termes d'éthique (dont la Turquie et Israël) dans un marché naval militaire mondial en pleine ébullition (guerre en Ukraine, montée progressive des tensions avec la Chine, vulnérabilités des communications mondiales sous-marines, tensions énergétiques, halieutiques, terres rares...). Cela passe par des campagnes commerciales agressives où l'équipe de France joue collectif (Naval Group, Thales, Safran, MBDA, ECA Group, notamment), par un renforcement des moyens sur l'intelligence économique, par le retour des réseaux dans les pays cibles tout en restant propre, et, enfin, par un État français qui reste décomplexé par les ventes d'armes. Le ministre des Armées et son administration ont un rôle central à jouer dans cette partition.

Des coopérations, oui mais programmatiques

Enfin, la coopération européenne ne peut plus être l'Alpha et l'Oméga d'une stratégie d'un groupe de la dimension stratégique de Naval Group, clé de voûte de la dissuasion nucléaire française. Pour trois raisons. La dissuasion nucléaire, qui ne se partage pas, n'est possible que si Naval Group entretient ses compétences et son savoir-faire au sein d'un groupe complet (sous-marins pour la marine et à l'exportation). En outre, les retours d'expérience des coopérations nouées au début des années 90 avec Navantia (sous-marins) et plus récemment avec Fincantieri (bâtiment de surface) se sont révélés être des échecs. Ni Navantia, ni Fincantieri ont véritablement joué le jeu de la coopération, ils ont surtout tenté de prendre un avantage concurrentiel, voire technologique dans le cadre des coopérations avec Naval Group pour l'affaiblir.

Troisièmement, le spectre industriel et technologique du champion tricolore est parmi l'un des plus complets dans le paysage européen (TKMS, Navantia, Fincantieri, Lürssen, Damen...) Ce qui veut dire que le 50/50 est une construction politique loin de la réalité industrielle. A la lumière de ces deux constats, une coopération doit être dénuée d'affect (le mal français) et opportuniste. En ce sens, le programme européen EPC (European patrol corvette) est un excellent laboratoire entre Fincantieri, Naval Group et Navantia. Dans le cadre de Naviris (entreprise commune entre Naval Group et Fincantieri), la France et l'Italie travaillent sur une corvette armée de 3.000 tonnes au moins avec des capacités anti-aériennes et anti-sous-marines.

Quels prospects pour Naval Group ?

Pour Naval Group, le retour du salon Euronaval, qui ouvre ses portes mardi, est une aubaine. Le PDG de Naval Group Pierre Eric Pommellet et ses équipes commerciales vont pouvoir faire le point après la pandémie, qui a paralysé les échanges commerciaux en 2020 et une partie de 2021, sur les enjeux et les besoins des marines avec la venue de plus de 120 délégations venues du monde entier. A commencer par la marine grecque, qui pourrait notifier « dans les mois qui viennent »  la quatrième frégate de défense et d'intervention (FDI) en option pour « être livrée en 2026/2027 »,  explique-t-on au sein du groupe. Elle pourrait se révéler toutefois cauchemardesque pour Naval Group, le prix de ce bâtiment étant fixe car déjà négocié dans le cadre du contrat signé en mars 2022. En revanche, l'achat de quatre corvettes a été reporté dans le cadre d'arbitrages court terme d'Athènes en faveur d'un soutien du pouvoir d'achat des Grecs dans une période inflationniste.

Dans le domaine des bâtiments de surface, Naval Group a peu de projets en cours à l'exception de la Roumanie et de l'Arabie Saoudite. En dépit de la politique de réassurance de la France dans le cadre de la guerre en Ukraine (déploiement de 750 militaires français), Bucarest continue avec l'aide de Damen de rouler Naval Group dans la farine dans le dossier des quatre corvettes Gowind, sélectionnées... en 2018. Une offre qui peut être renouvelée jusqu'à fin 2023. Naval Group n'est pas vraiment aidé non plus par son partenaire local SNC, qui joue sa propre partition. Pour sa part, l'Arabie Saoudite, qui regarde de très près ce qui se passe en Grèce, est intéressée par des FDI équipées de missiles anti-aériens Aster 15 et 30 et qui seraient construites dans un chantier naval local. Le Royaume a besoin de frégates avec la fin prochaine des frégates Sawari 1 et doit également décider ou pas de moderniser les Sawari 2 (3 bâtiments). C'est le prospect le plus important pour Naval Group, qui lorgne aussi sur des besoins de la marine norvégienne.

Dans le domaine des sous-marins, le groupe naval a plusieurs prospects sur le feu à plus ou moins longue échéance. C'est notamment le cas aux Pays-Bas, où la compétition pour quatre sous-marins (2,5 milliards d'euros) pourrait être relancée avec une nouvelle demande de RFP (Request for proposal, proposition technique et commerciale) au moment du salon NEDS (17 novembre). Le RFP indiquera l'ambition réelle des Pays-Bas en termes de sous-marins. Associé au groupe néerlandais Royal IHC, Naval Group proposera une nouvelle fois le Black Sword Barracuda (3.000 tonnes) et retrouvera l'allemand TKMS et le suédois Saab. Le groupe surveille également plusieurs besoins en Asie (Indonésie, Philippines où le Scorpène est en lice dans les deux pays), en Amérique du Sud (Chili, Argentine) mais aussi en Égypte, au Maroc (à plus long terme), voire en Australie... Marie-Laure Bourgeois va donc rapidement plonger dans le bain.

Michel Cabirol

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