Exportations d'armes : la souveraineté de la France dégradée face à la réglementation américaine ITAR (2/4)

Il y a les discours, puis il y a la réalité. La souveraineté de la France est confrontée à la dure loi des réglementations américaines ITAR et EAR. Les industriels français de l'armement déposent chaque année entre 800 et 1.000 dossiers pour obtenir des licences d'exportation de la part des États-Unis. Clairement, une souveraineté quelque peu dégradée...
Michel Cabirol
« L'intégration de composants américains dans les systèmes d'armes rend cette réglementation (ITAR) contraignante pour les industriels français qui, pour obtenir une licence ITAR, doivent suivre un processus long, lourd, contraignant et risqué pour le secret des affaires (présence d'inspecteurs américains pour vérifier le respect des obligations) », explique la Cour des comptes dans son rapport sur le soutien aux exportations de matériel militaire.

Les industriels de la défense « sont une composante clé de notre souveraineté », avait estimé le 20 janvier Emmanuel Macron lors de ses vœux 2023 aux armées depuis la base aérienne 118 de Mont-de-Marsan. Ils le sont souvent mais pas complètement. Car la Cour des comptes estime dans son rapport consacré au « soutien aux exportations de matériel militaire » que « les entreprises françaises de défense les plus importantes formulent chacune chaque année environ de 800 à 1.000 demandes de licences au Directorate of defense trade controls (Direction des contrôles commerciaux de la défense) ». Le DDTC met en œuvre la réglementation américaine ITAR (International Traffic in Arms Regulations) et régule les exportations américaines des biens à double usage et des biens militaires de façon très expansive. Ainsi, un composant « itarisé » peut conduire à « itariser » tout un système d'armes, et réciproquement.

« L'intégration de composants américains dans les systèmes d'armes rend cette réglementation contraignante pour les industriels français qui, pour obtenir une licence ITAR, doivent suivre un processus long, lourd, contraignant et risqué pour le secret des affaires (présence d'inspecteurs américains pour vérifier le respect des obligations) », explique la Cour des comptes dans son rapport.

Une réglementation évolutive

Ce dossier est particulièrement ardu pour le ministère des Armées. Pour trois bonnes raisons. Les États-Unis ne jouent pas vraiment le jeu avec la France, arguant que la « DésItarisation » est une initiative qui fait perdre de l'interopérabilité aux systèmes d'armes alliés. Comme souvent Washington peut être de mauvaise foi sur ces dossiers pour utiliser l'arme ITAR sur le plan commercial à son seul profit. Une arme qui plus est légale avec sa double lame. Une fois une licence d'exportation obtenue, des restrictions d'emploi peuvent s'appliquer et être à nouveau contrôlées par le département d'État américain. Les contrôles par les inspecteurs américains sont « très intrusifs », constate la Cour des comptes.

Surtout, ce dossier se caractérise par son ampleur et sa complexité incroyables : la réglementation ITAR peut être très évolutive, selon les intérêts commerciaux et diplomatiques des États-Unis, et elle touche le domaine de l'industrie des composants où l'Europe est quasi-absente. En outre, les volumes sont beaucoup trop restreints pour un investissement rentable. Enfin, la décision de devenir « ITAR free » entraîne pour les industriels des surcoûts non négligeables, qui se répercutent naturellement sur les prix des systèmes d'armes.

« La réglementation ITAR conduit à des lenteurs (dans le meilleur des cas), à un renchérissement des coûts, au retrait de la technologie correspondante du système vendu (moyennant une dégradation de certaines performances), à des retards (en cas de recherche d'une solution alternative dite ITAR free), voire parfois à l'abandon des projets. Dans tous les cas, elle nuit à la réputation du fournisseur », constate la Cour des comptes.

Une prise de conscience brutale

Alliés ou pas, les États-Unis ont bien sûr utilisé l'arme ITAR contre la France sur au moins trois dossiers emblématiques, dont deux ont concerné l'exportation du Rafale (Égypte et Qatar). Washington a mis son veto sur l'exportation des missiles de croisière Scalp (Égypte) et air-air Meteor (Qatar). Ces refus « ont conduit à rechercher en urgence une solution indépendante des composants américains (« ITAR free ») qui a entraîné retards et surcoûts et devrait se traduire par une indemnisation de l'entreprise en cours d'évaluation au moment de la rédaction de ce rapport », constate la Cour des comptes. En 2013, Washington avait déjà refusé une demande de réexportation de la France aux Émirats Arabes Unis de composants "made in USA"  nécessaires à la fabrication de deux satellites espions français (Airbus et Thales). La visite de François Hollande aux États-Unis en février 2014 avait permis de régler positivement ce dossier.

« S'agissant des États-Unis, il apparaît judicieux de s'émanciper le plus possible de la dépendance aux composants américains en développant des solutions industrielles dites « Itar free », dès la conception des matériels, estime la Cour des comptes.

Pour pallier ces contraintes, la France cherche donc à mettre en œuvre des programmes d'équipements dits « Itar free » dès leur conception, selon l'instruction 1618 de la DGA relative aux programmes d'armement. "Nous avons besoin progressivement de nous désensibiliser par rapport à un certain nombre de composants américains, ce qui ne veut pas dire nécessairement pouvoir se désensibiliser complètement", avait expliqué en septembre 2018 l'ancienne ministre des Armées, Florence Parly.

Au-delà, « cette préoccupation doit être aussi prise en compte au niveau européen », estime la Cour des comptes. Ainsi, il a été inscrit dans le règlement du Fonds de défense européen (FED) destiné à soutenir la mise au point de solutions européennes (produits ou composants), le principe selon lequel « aux fins d'une action financièrement soutenue par le fonds, les destinataires et les sous-traitants participant à une action ne sont pas soumis au contrôle d'un pays tiers non associé ou d'une entité de pays tiers non associé ».

Itar free : un objectif inatteignable

La Cour des comptes estime qu'avec les États-Unis « la meilleure solution consiste à s'émanciper de la dépendance à leurs composants en développant des solutions industrielles dites Itar free ». C'est ce qu'essaie de faire depuis 2018 le ministère des Armées à travers une stratégie lancée par Florence Parly. Pour autant, en 2020 dans une réponse adressée alors au député LR François Cornut-Gentille dans le cadre du projet de loi de finances 2021 et rendue publique, le ministère des Armées avait estimé que « l'investissement pour disposer de l'ensemble des filières stables et pérennes pour garantir et maintenir une autonomie suffisante est inatteignable en national ».

Dans son discours de ses vœux 2023, le Délégué général pour l'armement Emmanuel Chiva a rappelé que la quatrième mission de la direction générale de l'armement (DGA) était d'« orienter et soutenir la base industrielle de défense dans une logique de souveraineté ». Ainsi, « la base industrielle et technologique de défense est le bras armé de l'autonomie stratégique et de la souveraineté de la France ». Pour le président de la République cette nouvelle « loi de programmation militaire va permettre à la France de devenir un pays plus solide encore sur la défense de sa souveraineté ». A voir.

Les risques de la coopération

« L'interdépendance industrielle globale conduit l'industrie de l'armement à dépendre partiellement des pays fournisseurs », constate la Cour des comptes. C'est notamment le cas de MBDA présent en France et en Grande-Bretagne mais aussi en Italie et... en Allemagne, qui a une politique d'exportation restrictive et a refusé de nombreuses fois d'accorder des licences d'exportation à la France et la Grande-Bretagne à destination de pays de Golfe notamment. « L'incorporation de composants étrangers aux matériels fabriqués ou la coopération interétatique dans leur conception et leur production soumet les exportations aux réglementations de ces pays, ce qui peut conduire à bloquer certaines exportations françaises », note la Cour des comptes.

« Les coopérations et les exportations sont des opportunités car elles renforcent notre modèle de souveraineté et d'autonomie industrielle sans créer de nouvelle dépendance », a toutefois assuré Emmanuel Chiva.

La réglementation ITAR est complémentée par celle concernant les biens à double usage (EAR) mise en œuvre par le department of commerce (DOC). Elle a été renforcée par l'export control reform act de 2018, notamment pour les technologies émergentes. L'EAR a également des conséquences extraterritoriales via l'octroi de licences portant sur des composants américains parfois faiblement substituables, en particulier dans les secteurs des semi-conducteurs et de l'avionique. Clairement les États-Unis est cet allié qui ne veut pas toujours que du bien à la France...

Michel Cabirol

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 19
à écrit le 06/02/2023 à 18:44
Signaler
Nous payons au prix fort nôtres allégeance aux États-Unis.

à écrit le 03/02/2023 à 12:28
Signaler
Fabriquons nous-même sur le territoire français nos FPGA , nos DSP, nos processeurs (risc par exemple), nos mémoires RAM et mémoires flash et ça ira mieux. Dommage que notre champion franco-italien ST ait abandonné la gravure fine il y a quelques ann...

le 04/02/2023 à 12:21
Signaler
Bonjour, La france et l'union européenne souhaitent favoriser la souveraineté dans tous les développement de points ... Mais l'ons constate que certain acteurs téléguidé de l'étranger blosue ou nous rendre peux competitive .. hzusse des prix de l...

à écrit le 02/02/2023 à 23:22
Signaler
Bonjour, C'est la qu'on paye cash, je dirais même bien fait! de ne pas avoir protégé l'industrie électronique française toute aussi performante que l'américaine années 60, avec de grands sites comme le CNRS, université de Grenoble, le CEA. En appui...

le 05/07/2023 à 5:10
Signaler
Difficile quand nous sommes coincés dans d'ignobles chantages. Les EU et les Anglais comme les Allemands sont des prédateurs. Tout le monde le sait et essaie de s'en prémunir sauf la France prodigue.

à écrit le 02/02/2023 à 21:57
Signaler
N'aura-t-on pas le même problème avec les allemands, pour toutes fabrication franco-allemande ???

le 05/07/2023 à 5:20
Signaler
C'est dejà le cas. Déjà sous Merkel.

à écrit le 02/02/2023 à 14:19
Signaler
L'UE doit s'affranchir des exigences des USA , comme ce scandale qu'est l’extraterritorialité du droit qui permet aux américains de faire ce qu'ils veulent si vous utilisez le dollar comme monnaie d'échange. L'UE doit se défendre et se protéger mieu...

à écrit le 02/02/2023 à 14:01
Signaler
D'ailleurs, c'est pour ça que notre président laisse les fonds américains racheter les entreprises produisant du matériel pour nos armées

à écrit le 02/02/2023 à 11:55
Signaler
Au moment où les restrictions ont eté faites, la France était au courant et n'avait pas d'autres choix; Mainteant que les restrictons d'appliquent, c'est trop facile d'accuser les autres....

à écrit le 02/02/2023 à 11:33
Signaler
Bonjour, Personnellement je regrette que notre pays est été incapable de faire preuve de souveraineté militaire.... Car depuis le général de Gaulle nous savons que les usa serait opposé à l'exportation de haute technologie militaire française. Do...

le 02/02/2023 à 13:25
Signaler
Vous regrettez mais vous n'y pouvez rien : La France a pris une mauvaise orientation stratégique depuis la fin de la 2ème guerre mondiale. Politiquement et socialement: Les Grandes Ecoles dont Polytechnique, établissement sous tutelle du Ministère d...

à écrit le 02/02/2023 à 8:59
Signaler
15 % d'augmentation du prix d'électricité ce début du mois de février, c'est juste une catastrophe et du vol Evidemment cela n'est pas dû au hasard mais bien au manque de courage de Macron d'aller voir à Berlin et dire ça suffit . Donc il n'y a pas ...

le 02/02/2023 à 22:25
Signaler
Depuis sarko on n a plus d independance energetique .. c est bien lui qui a signe pour le marché électrique européen et divisé edf en 2 : production et distribution … j2m( ex PDG de la générale des eaux- vivendi), viré de son conseil d m’administrati...

le 03/02/2023 à 9:16
Signaler
"15 % d'augmentation du prix d'électricité ce début du mois de février" Oui et 15% d'augmentation du prix du gaz le 1er janvier

à écrit le 02/02/2023 à 8:44
Signaler
Je ne connaissais pas la réglementation américaine ITAR. Quand, il y a 2 jours, Emmanuel Macron disait :" que "rien n'est interdit par principe" concernant une livraison d'avions de combat en Ukraine. Il voulait dire : " Quand nous aurons terminé,...

à écrit le 02/02/2023 à 8:13
Signaler
Ben oui, les Français qui votent Mélenchon ou Le Pen et sont contre l'Europe ne se rendent pas compte que toute seule la France n'est plus rien .

le 02/02/2023 à 8:58
Signaler
Sur le sujet, c'est vite plié avec l'Europe. Tous nos voisins achètent du matériel militaire américain. Exporter des armes n'est par leur problème. La France n'aura aucun soutien en la matière.

le 02/02/2023 à 9:23
Signaler
Pour que la France soit quelque chose il faut donc la dissoudre dans le magma européen dirigé par les USA. Très cohérent.

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.