Le transport aérien est désormais pris dans l'escalade des sanctions prises contre la Russie et les répliques venues du Kremlin. Les espaces aériens de l'Union européenne, du Royaume-Uni, de la Norvège, du Canada et quelques autres pays (37 en tout) sont désormais fermés aux appareils commerciaux russes, avec une possibilité de dérogation pour les vols humanitaires, et la Russie a fait de même pour les appareils venant de ces territoires. Cette nuit, Joe Biden a confirmé que les Etats-Unis allaient fermer leur espace aérien "à tous les vols russes"
Plus que la desserte de la Russie, c'est la fermeture de l'espace aérien russe et l'interdiction de survol de son immense territoire qui va poser le plus de problèmes aux compagnies européennes. Car pour aller au Japon, en Chine ou en Corée du Sud, le plus court est en effet de passer par la Sibérie. Le contrôle aérien russe a ainsi la main sur un espace de plus de 26 millions de km², placé entre l'Europe et l'Asie.
Des détours de plus de 1.500 km
Aujourd'hui, il n'est plus possible pour les compagnies européennes de survoler la Sibérie pour toucher Tokyo, Séoul ou Pékin. Et le détour par le sud est loin d'être anodin, compte tenu de l'immensité du territoire russe. Les avions doivent contourner le Caucase, ce qui les obligent à redescendre au niveau de la Turquie et rallonge les vols d'environ 1.500 km, soit au moins deux heures supplémentaires.
Les vols vers le nord de l'Inde et l'Asie du Sud-Est seront également touchés, mais dans une moindre mesure. Au vu de la flambée des prix du kérosène, le coût additionnel sera loin d'être négligeable pour les compagnies européennes.
Idéalement placée au nord de l'Europe pour desservir l'Asie, Finnair a déjà annoncé qu'elle serait impactée par la fermeture des routes transsibériennes. La compagnie finlandaise étudie déjà un plan de nouvelles économies (après celles mises en place pour la crise sanitaire) au cas où la situation se prolonge.
Le poids de la desserte de l'Asie est bien plus important pour les compagnies européennes que celui de la Russie, ou inversement la desserte de l'Europe pour les compagnies russes. Avant la crise sanitaire, l'Extrême-Orient représentait environ 6% du trafic avec l'Union européenne, et le sous-continent indien environ 1% pour environ 33 millions de passagers annuels.
Avec la pandémie de Covid-19, le trafic a largement chuté et reste depuis largement réduit : le Japon vient à peine de rouvrir ses frontières après deux ans de fermeture quasi-continue, la Corée du Sud persiste à encadrer fortement les arrivées, et la Chine continue de s'isoler avec sa stratégie "zéro Covid".
La fin de juteuses royalties pour la Russie
En revanche, c'est une manne qui s'envole aussi pour la Russie. Jusqu'ici le pays n'hésitait pas à être très restrictif sur le nombre de compagnies autorisées à survoler son territoire - en général une par pays, comme l'avait appris à ses dépens en 2013 la compagnie française Aigle Azur, aujourd'hui disparue - et à monnayer très cher cet accès avec un système de royalties. Il y a quelques années, cela représentait une manne de 350 millions de dollars, en grande partie reversée à Aeroflot. Selon certaines estimations, cela pouvait représenter à l'époque près de 20% de ses revenus.
Un trafic de plus en plus domestique
D'après l'agence fédérale russe Rosaviatsia, les compagnies russes ont transporté 111 millions de passagers en 2021, soit 87% du trafic de 2019 mais avec une prépondérance accrue des liaisons domestiques. En effet, ce total comprend à peine plus de 21% de voyageurs internationaux, et même seulement 15% si l'on exclut le trafic vers la Communauté des États indépendants (CEI). En 2019, cette part était de 43% (38% hors CEI).
Au trafic des compagnies russes, il faut ajouter celui des compagnies étrangères, qui représentaient environ une vingtaine de millions de passagers avant crise, principalement vers Moscou et Saint-Pétersbourg.
Les échanges avec l'Europe en pointe
En 2018, les échanges avec l'Europe représentaient le principal marché international pour la Russie. Selon l'Association internationale du transport aérien (IATA), plus des deux tiers du trafic international à destination des aéroports russes étaient ainsi en provenance du Vieux Continent, soit plus de 52 millions de voyageurs par an, loin devant l'Asie-Pacifique (22 millions) et le Moyen-Orient (1,4 million). Les vols depuis l'Amérique du Nord ne dépassaient pas les 600.000 passagers.
Ces passagers étaient alors principalement en provenance d'Ukraine, malgré les tensions déjà existantes depuis l'annexion de la Crimée en 2014 et la guerre du Donbass. Venaient ensuite le Kazakhstan, la Chine, puis la Finlande. La première route internationale était néanmoins entre l'aéroport de Moscou-Cheremetievo et Paris-CDG. De nombreuses connexions existaient également avec l'Allemagne et l'Espagne, avec une trentaine de lignes pour chacun de ces pays, contre une douzaine avec la France. En ce qui concerne le cargo, les principaux axes russes sont la Chine, l'Allemagne, les Etats-Unis et le Royaume-Uni.
Le précédent de 2014
Bien que tournées principalement vers le trafic domestique et régional avec les pays de l'ex-URSS depuis la crise sanitaire, et donc moins exposées qu'il y a quelques années, les compagnies russes vont donc tout de même sentir l'impact des sanctions européennes.
Ce fut déjà le cas en 2014 pour la deuxième compagnie russe, Transaero : plus internationale que ses concurrentes, elle avait subi de plein fouet les restrictions prises suite à l'annexion de la Crimée et la chute du rouble. Elle avait fini par être sacrifiée par le Kremlin fin 2015, au profit de la compagnie nationale Aeroflot. Le trafic international des compagnies russes avait d'ailleurs chuté de plus de 15% cette année-là.
Après l'effondrement de l'Union soviétique, le transport aérien russe a déjà mis une vingtaine d'années à se reconstruire, notamment via l'achat d'appareils occidentaux, Boeing et Airbus en tête. Le redécollage a eu lieu à partir des années 2010. Avant crise, l'IATA estimait que le secteur contribuait à hauteur de 23 milliards de dollars au PIB russe, soit 1,8% du total. De même, le secteur générait 1 million d'emplois, dont 300.000 directs. Le transport aérien est également un vecteur d'entrée pour les touristes, dont les dépenses étaient évaluées à 9 milliards de dollars. Et selon les tendances d'alors, les perspectives faisant état d'une croissance de plus de 75% sur vingt ans.
La question des ressortissants bloqués
Effet collatéral de l'arrêt du trafic, des Russes et des Européens vont se retrouver bloqués à l'étranger. Les autorités russes appellent pour l'instant leurs ressortissants souhaitant se rendre en Europe ou rentrer en Russie à passer par des pays tiers n'ayant pas pris de mesures à l'encontre des compagnies russes. Un communiqué cite ainsi pêle-mêle l'Arménie, l'Azerbaïdjan, le Kazakhstan, le Qatar, les Émirats Arabes Unis et même la Turquie. De même, la multimodalité est encouragée avec un trajet en avion jusqu'aux pays frontaliers, puis l'utilisation de moyens terrestres pour entrer sur le territoire de la Fédération de Russie ou la Biélorussie.
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