Mistral : comment la France a mené des négociations express avec l'Egypte

Les négociations entre la France et l’Égypte ont été très courtes... mais très intenses. Il a fallu l'arbitrage de l’Élysée pour convaincre Bercy de céder les deux Bâtiments de projection et de commandement, de type Mistral.
Michel Cabirol
Les premières discussions sur la revente des deux Mistral entre la France et l'Egypte ont eu lieu le 6 août lors de l'inauguration du canal de Suez

La revente express à l'Égypte des deux Bâtiments de projection et de commandement (BPC), de type Mistral, initialement destinés à la marine russe, est inédite dans les annales des contrats d'armement de cette envergure. Des contrats en général longs, voire très longs, à négocier, les discussions pouvant s'étaler en moyenne entre un an et trois ans. Voire au-delà dans certains cas comme en Inde. Or il n'aura fallu qu'un peu plus de deux mois à la France entre la résiliation du contrat avec la Russie (5 août) et la signature de la vente des Mistral à l'Égypte (10 octobre) pour se débarrasser de ce dossier empoisonnant, qui aurait pu trainer en longueur et plomber le budget. "Sans l'Egypte, les BPC restaient à quai pendant un moment et auraient perdu de leur valeur", souligne un proche des négociations.

Avec cet accord, l'Égypte possèdera d'ici à 2020, une flotte de sept navires de fabrication française de premier rang, dont la frégate multimissions (FREMM) "Vive l'Egypte", livrée en juillet 2015. "L'Égypte et la France confirmait la vitalité et le dynamisme de leur relation stratégique qui s'est développée notamment depuis 2014", explique-t-on dans l'entourage du ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian. Des exercices conjoints auront d'ailleurs lieu dès le printemps prochain entre les deux marines... mais sans les BPC qui rejoindront leur port de base dès l'été 2016, après la formation des futurs équipages. Cette formation se déroulera principalement au premier semestre 2016 à Saint-Nazaire. Retour sur les coulisses d'une négociation express.

Inauguration du canal de Suez

Tout commence sous un soleil de plomb le 6 août dernier lors de l'inauguration du canal de Suez. La chaleur y est étouffante comme toujours à cette période. Ce qui n'empêche pas le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi, qui inaugure en grande pompe l'extension du canal de Suez, d'engager avec François Hollande les toutes premières discussions pour l'acquisition des deux BPC "russes". Sur un navire officiel égyptien qui navigue sur le nouveau canal, les deux présidents conviennent alors de lancer des négociations. Un entretien auquel participe le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian.

Pour autant, la France ne croit pas encore vraiment à la proposition égyptienne. Autour de quelques journalistes lors d'un briefing off du président, François Hollande explique que Le Caire n'a pas les moyens de se les payer. En dépit de ce scepticisme, l'administration française se met en ordre de marche. Le mandat de vente est confié au ministère de la l'Économie, via la Coface très fortement encadré par le cabinet de Michel Sapin. Ce qui aura notamment son importance dans la détermination du prix des navires et influera sur les négociations. "Avec le mandat technique de vente confié à Bercy, les négociations n'ont pas été très simples", reconnait un proche des négociations.

Jean-Yves Le Drian constitue lui aussi une équipe de négociateurs, autour de son cabinet. Le groupe naval DCNS, maître d'oeuvre du programme BPC, est également mobilisé de son côté. Ces trois équipes vont travailler pendant près de deux mois plus ou moins bien ensemble. Notamment lors des trois dernières semaines de négociations qui se sont déroulées pratiquement tous les jours jusque très tard dans la nuit. Ce qui occasionnera quelques bisbilles entre Bercy et l'hôtel de Brienne, surtout à la fin des négociations, et provoquera des interrogations au sein de la délégation égyptienne. Mais sans trop de dommage au final.

Une délégation égyptienne à Saint-Nazaire dès le 8 septembre

Après une période relativement calme correspondant à la trêve aoûtienne en France, les échanges entre les négociateurs égyptiens et français débutent vraiment dès la fin du mois d'août avec des présentations détaillées conjointes des industriels français et la direction générale de l'armement (DGA), au Caire et à Alexandrie. Les doutes initiaux de la France sur les intentions des Égyptiens sont très rapidement levés. Un responsable français s'exprimant sous couvert d'anonymat indiquera même début septembre que les discussions sont "assez avancées", en particulier avec l'Égypte, avec "une partie du financement (qui) viendra de pays du Golfe", mais aussi la Malaisie, le Canada ou l'Inde.

Les négociations s'accélèrent... avec l'Égypte, qui montre un grand intérêt et surtout qui veut aller très vite... contrairement aux autres pays intéressés. D'ailleurs le 8 septembre, une délégation égyptienne, menée par le numéro deux de la marine, arrive en France et se rend immédiatement à Saint-Nazaire pour visiter les navires. A partir du 11 septembre, l'amiral égyptien négocie en parallèle avec le cabinet du ministre de la Défense, Bercy et les industriels. "Les rencontres sont quotidiennes et permettent de faire le point sur l'état d'avancement des discussions techniques avec les industriels et d'évaluer le prix auquel les navires seront cédés à l'Égypte", explique-t-on au ministère de la Défense.

Le ministère de la Défense joue à fond le jeu de l'interministériel afin de mieux contrôler Bercy, qui dispose pour le moment du dernier mot. C'est le cabinet de Michel Sapin, qui a fixé le prix des deux BPC. Ainsi l'Hôtel de Brienne rend compte quotidiennement à Matignon et à l'Élysée des progrès des négociations. Pour sa part, le Premier ministre, Manuel Valls, s'implique personnellement dans la répartition des montants entre la COFACE et les industriels concernés par la vente des Mistral. Pour sa part, Jean-Yves Le Drian fait quotidiennement le point avec le président et le Premier ministre afin de les tenir informés de l'avancement des négociations aussi bien industrielles que techniques, qu'ils suivent dans le détail.

Les négociations patinent

Pourtant depuis le début de la semaine du 14 septembre, les négociations patinent en France. Forcément, les négociateurs sont entrés dans le dur en évoquant le prix des deux navires. Le 17 septembre, alors que Laurent Fabius défend à l'Assemblée nationale le projet de ratification de l'accord avec la Russie sur les BPC, le général Al Assar, qui avait été le négociateur égyptien pour les contrats portant sur les 24 Rafale et la FREMM en février dernier, est dépêché par le président al-Sissi pour faire avancer les négociations et lever les derniers obstacles.

La délégation égyptienne, qui est reçue à Bercy et à l'Hôtel de Brienne et qui rencontre les industriels concernés, n'entend pas les mêmes propositions selon où elle se trouve. En outre, DCNS tente d'inclure dans les négociations deux corvettes Gowind supplémentaires qui sont en option dans le contrat signé en mai 2014. Ce dernier portait sur la vente de quatre Gowind de 2.400 tonnes. Mais l'urgence pour l'Etat français n'étant pas sur ce dossier, l'industriel est prié d'attendre avant de négocier les deux Gowind supplémentaires.

Le sprint final

Le général Al Assar s'entretient donc le 17 septembre avec l'homme de confiance du Caire, Jean-Yves Le Drian pour un nouvel échange sur le périmètre de l'accord et les prix. Il repart pour l'Égypte le lendemain matin, pour y être nommé ministre de la Production de défense. Mais le 19 septembre, en pleines journées du patrimoine, la délégation égyptienne, à bout de nerfs, est de nouveau reçue en urgence à l'Hôtel de Brienne pour une négociation de la dernière chance. Elle emprunte une porte latérale pour plus de discrétion. Elle rencontre les conseillers du ministre de la défense chargés de déminer le terrain. Car la délégation égyptienne est très, très près de claquer la porte des négociations.

Les conseillers du ministre rattrapent in extremis le coup. Les deux parties constatent qu'un accord est finalement proche. Pourtant, il nécessite encore un arbitrage au plus haut niveau de l'État français sur le prix des deux navires. Car il diffère entre celui de Bercy, qui ne veut pas céder, selon nos informations, et celui du ministère de la Défense. Ce qui complique singulièrement les négociations. Enfin pour forcer le destin, les conseillers du ministre de la Défense et la délégation égyptienne conviennent d'un échange politique au niveau des deux présidents. Ce qui sauve non pas les négociations, qui auraient pu rebondir ultérieurement, mais l'espoir de conclure rapidement.

Si tout se passe comme prévu, la partie est gagnée. Et c'est le cas. Le 21 septembre, François Hollande reçoit un message de son vieil ami, Jean Yves Le Drian, depuis Abu Dabi où il s'est rendu pour une visite de de deux jours avant de rejoindre le Qatar. Le ministre lui présente les contours de l'accord tel qu'il l'a négocié avec les Égyptiens. Le 22 septembre, La Tribune révèle les négociations entre l'Égypte et la France ainsi que les difficultés rencontrées pour conclure. Dans la journée du 22 septembre, François Hollande s'entretient avec le président al-Sissi et les deux chefs d'État s'entendent pour conclure sur cette base. Bercy doit alors baisser pavillon. "François Hollande a chargé Jean-Yves Le Drian de trouver une sortie par le haut", explique-t-on pudiquement à La Tribune.

950 millions d'euros pour les deux navires

Après son entretien avec le président égyptien, François Hollande appelle Jean Yves Le Drian, qui se trouve alors dans l'avion de retour du Qatar où les nouvelles sont très bonnes pour la France. Il demande à son ministre de la Défense d'organiser lui-même la signature. DCNS reçoit au dernier moment le mandat de la Coface pour signer. Le montant de l'accord s'élève à 950 millions d'euros environ. Un prix qui englobe l'achat des deux Mistral, les adaptations exigées par la marine égyptienne, la formation des équipages (50 millions) et, enfin, le soutien des deux navires pendant quatre ans.

Enfin, le 23 septembre l'Élysée annonce que l'Égypte va acquérir les deux navires de guerre Mistral. "Le président de la République s'est entretenu avec le président Sissi. Ils se sont accordés sur le principe et les modalités de l'acquisition par l'Égypte des deux bâtiments de projection et de commandement de classe Mistral", a indiqué un communiqué de la présidence de la République. "C'est un accord exceptionnel obtenu dans un temps record", explique-t-on dans l'entourage du ministre.

Cinq jours plus tard, les deux présidents se rencontrent le 28 septembre à New-York en marge de la 70ème session de l'Assemblée Générale des Nations-Unies. Au menu de leurs discussions : le renforcement des relations bilatérales entre les deux pays, le problèmes régionaux et internationaux d'intérêt commun ainsi que la situation au Proche-Orient. Enfin, Manuel Valls a finalisé samedi au Caire la vente à l'Égypte de deux navires de guerre. "DCNS vient de signer avec la marine égyptienne le contrat de vente des deux bâtiments Mistral en présence de MM. Sissi et Valls", a annoncé à l'AFP un membre de l'entourage du Premier ministre après son entrevue avec le président égyptien.

Michel Cabirol

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Commentaires 8
à écrit le 13/10/2015 à 17:03
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Et si l'Arabie Saoudite désire un sous-marin nucléaire d'attaque entièrement équipé de lanceurs inter-continentaux à têtes multiples atomiques?? Combien de milliards de vente???????????????????????????????????

à écrit le 13/10/2015 à 15:58
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Qui a payé la facture? Surement pas l'Egypte. Est-ce les démocrates quariens ou saoudiens? Possible.

à écrit le 13/10/2015 à 8:54
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ou comment blanchir l'argent de daesh via les pays du golfe car les milliards sont bien place dans certaine banque elle ne traine pas dans les 4 x4 sur les pistes et ceci ne derange personnes bizare des pays qui n'arrive pas a subvenir a leur ...

à écrit le 13/10/2015 à 5:55
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Ça sent un peu le rance...mais de toute façon, l'État paiera...nous en final. Quant aux droits de l'Homme dont les socialos nous rebattent les oreilles, on s'assoie dessus, ils seraient achetés en même temps que les "Mistral" que ça ne m'étonnerait p...

à écrit le 12/10/2015 à 18:23
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Surtout arrétez de nous prendre pour des neus-neus.

à écrit le 12/10/2015 à 18:19
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Feuilleton à suivre, car on a pas vendu à la Russie sous prétexte de défense des droits de l'homme, etc., alors que 1) l'Égypte de Sissi est bien pire et 2) la Russie payait rubis sur l'ongle tandis que j'ai des doutes sur la capacité de payer de l'E...

à écrit le 12/10/2015 à 17:48
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Une chose est sûre, il faut vraiment imposer un pilote dans l'avion dans des négociations comme celles-là, qui relèvent du domaine stratégique.

à écrit le 12/10/2015 à 16:47
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C'est toujours un plaisir de vous lire M. CABIROL.

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