
La discrète entreprise Eurenco prend actuellement toute la lumière des projecteurs. Il est vrai qu'elle est le symbole du ministère des Armées qui souhaite relocaliser des activités souveraines en France pour renforcer la résilience de l'industrie de défense. Basée à Sorgues (Vaucluse), cette ETI a pris le risque de réaliser un investissement important de 50 millions d'euros pour relocaliser une activité de poudres de gros calibre à Bergerac (Dordogne), principalement destinées à l'artillerie de 155 mm. En 2007, Eurenco, au bord du gouffre, avait dû rationaliser « son outil industriel en délocalisant cette production sur son site suédois tout en conservant la propriété du savoir-faire technologique en France », a souligné un rapport parlementaire sur les stocks de munitions publié la semaine passée. La poudre était également achetée auprès de fournisseurs italiens, allemands et suisses.
Eurenco souhaite aller vite. Ce site, qui aura une capacité de 500.000 charges modulaires, sera mis en service début 2025 et Eurenco et va recevoir avant cet été les machines de production nécessaires à la fabrication des poudres. Pour soutenir l'initiative d'Eurenco, le ministère des Armées a pour sa part décidé de passer une commande pluriannuelle de charges modulaires (livraison prévue entre 2026 et 2030) et de prendre en charge la requalification des poudres, selon nos informations. Soit un total de 10 millions d'euros. « Il n'y a pas de scénario dans lequel on ne doit pas accélérer et sécuriser la production de munitions. C'est vrai parce que l'Ukraine va connaître des besoins importants dans les semaines et mois à venir ou pour recompléter les stocks des armées », a d'ailleurs estimé le ministre des Armées, Sébastien Lecornu.
Chiffre d'affaires : un bond de plus de 80% en quatre ans
Société publique (détenue par SNPE SA depuis janvier 2023 au lieu de GIAT Industries), Eurenco est en plein boum depuis 2020 et bénéficie à plein de l'instabilité et des risques géopolitiques internationaux pour engranger les commandes. La guerre en Ukraine n'a fait qu'accélérer cette dynamique depuis le déclenchement des hostilités par la Russie il y a tout juste un an. L'export, qui constitue les deux tiers du chiffre d'affaires d'Eurenco, « va être soutenu pendant les dix prochaines années. Aujourd'hui j'ai des commandes fermes jusqu'en 2027 », a affirmé mercredi au ministère des Armées le PDG d'Eurenco, Thierry Francou. Un investissement qui n'a été possible que grâce à l'obtention de ces commandes fermes (acomptes notamment puis la visibilité) qui permettent de sécuriser ce financement. « Ce qui permet d'entretenir une filière souveraine c'est l'export », a-t-il rappelé.
Rencontré lors du salon de l'armement terrestre et naval d'Abu Dhabi (Idex et Navdex), Thierry Francou a indiqué à La Tribune que son entreprise était sur une trajectoire à la hausse en termes de chiffre d'affaires. En 2022, il a augmenté de près de 10%, passant de 275 millions d'euros en 2021 à 302 millions d'euros l'année dernière. « La production des charges modulaires pour les obus de 155 mm a été multipliée par six en France », a précisé Thierry Francou. Et le marché prévoit un chiffre d'affaires de 400 millions d'euros en 2023 et de 500 millions en 2025. Soit une croissance évaluée à plus de 80% en quatre ans. Ses cinq clients les plus importants sont Rheinmetall, BAe Systems, Czechoslovak Group (CSG), Saab et, enfin, Nexter. « Nous sommes qualifiés sur 20% des systèmes d'armes, qui réalisent 80% de parts de marchés mondiales », précise-t-il.
Des tensions sur les matières premières
« Nous pourrions faire plus » en termes de production dans l'ensemble de ses sites, estime Thierry Francou. Notamment en France et en Suède où Eurenco veut toutefois doubler la production. Mais, comme dans la plupart des secteurs industriels, Thierry Francou doit gérer les nouveaux risques liés aux approvisionnements dans un contexte de fortes tensions sur les marchés internationaux des matières premières mais aussi, plus classique, à une éventuelle défaillance d'un de ses fournisseurs. D'autant plus que le PDG d'Eurenco a décidé de relocaliser toute sa chaîne de fournisseurs en France en développant de nouveaux procédés de fabrication. Ce pari souverain reste toutefois un vrai challenge.
« La fragilité de la supply chain a été révélée par le COVID-19. Et Eurenco pourrait être impactée par la disponibilité des matières premières », confirme Thierry Francou. A commencer par l'acide nitrique, un composé chimique instable impossible à stocker plus d'une semaine. C'est également le cas de la nitrocellulose, qui est à la fois l'élément clé de la souveraineté de cette filière et l'élément de base nécessaire à la fabrication des poudres. Avec la remise en service progressive en mars la remise en service de son usine de nitrocellulose de Bergerac qui a subi une grave explosion en août dernier, Eurenco va pouvoir retrouver un peu plus de souplesse. Mais pour la fabrication des poudres pour la chasse, Thierry Francou a son plan B, la Chine.
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