« Nous avons en Europe des leaders mondiaux qui gagnent des contrats partout dans le monde » (Hervé Derrey, PDG de Thales Alenia Space)

Dans une interview accordée à La Tribune, le PDG de Thales Alenia Space Hervé Derrey explique les raisons des succès du constructeur de satellites ces deux dernières années. Des succès qui s'expliquant notamment par la maîtrise de la technologie des « Digital Transparent Processor » (DTP), qui est clé pour la performance de la flexibilité des satellites. Cette capacité est très recherchée par les opérateurs de satellites. Il évoque les ambitions de Thales Alenia Space dans le domaine des constellations et ExoMars, un des programmes les plus emblématiques de l'Europe.
Il faut faire un peu attention à ne pas casser ce modèle à travers de nouveaux modèles d'acquisition dans le cadre de France 2030 par exemple. Avec France 2030, on a un risque à ne pas pouvoir financer des feuilles de route technologiques car le taux de co-investissement de la part des industriels est très élevé (Hervé Derrey, PDG de Thales Alenia Space)
"Il faut faire un peu attention à ne pas casser ce modèle à travers de nouveaux modèles d'acquisition dans le cadre de France 2030 par exemple. Avec France 2030, on a un risque à ne pas pouvoir financer des feuilles de route technologiques car le taux de co-investissement de la part des industriels est très élevé" (Hervé Derrey, PDG de Thales Alenia Space) (Crédits : Thales Alenia Space)

LA TRIBUNE- Quelles leçons tirez-vous de cette année exceptionnelle en termes de prises de commandes dans le domaine des satellites télécoms ?
HERVÉ DERREY- 
Thales Alenia Space a effectivement réalisé une année exceptionnelle en termes de prises de commandes. Nous avons confirmé la place de notre produit « Space Inspire » sur le marché des satellites géostationnaires Software-Defined et notre place dans le domaine des télécoms. Je souhaitais tout particulièrement accrocher ce qu'on appelle les « Tier One », les clients qui ont un « go to market » global et une flotte de satellites, qui génère une récurrence. Et excepté Inmarsat, nous avons été sélectionnés par tous les autres grands opérateurs (Intelsat, SES et Eutelsat).

Quelles sont les clés de votre succès ?
Ce qu'il faut comprendre avant tout, c'est qu'une partie des succès commerciaux engrangés cette année, est le résultat d'un travail de longue haleine. Si je prends l'exemple d'Eutelsat, nous travaillons avec leurs équipes sur le concept de Software-Defined Satellite (SDS) depuis pratiquement deux ans. Avant l'approbation de ce projet par leur conseil d'administration, nous avions également effectué un travail pour qu'ils comprennent bien la valeur de notre produit. C'est également le cas avec Intelsat et SES. Ils ont estimé après une évaluation du marché qu'ils avaient un meilleur « business case » avec nous qu'avec nos concurrents. C'est ce qu'ils nous disent.

Mais qu'est-ce qui a fait la différence par rapport à la concurrence qui est très forte sur le marché des satellites télécoms ?
Nous avons un produit complètement générique et modulaire, qui offre la possibilité de rajouter une charge utile additionnelle (« hosted payload »). C'est l'une de nos capacités très intéressantes qui nous permet de créer de la valeur supplémentaire pour nos clients. Elle leur offre un retour sur investissement total très favorable. C'est un élément déterminant dans la compétition. Nos clients ont ainsi le sentiment que nous avons une très bonne compréhension de leurs besoins, notamment en matière de flexibilité.

Pourquoi ?
Nous maîtrisons vraiment le cœur du système que sont les processeurs numériques. Tout l'enjeu de ces nouveaux satellites est d'offrir de la flexibilité en allouant de la capacité là où est le trafic, par exemple en transférant une partie du trafic broadcast vers du Broadband. Tous ces besoins de flexibilité sont également un facteur très important sur l'amélioration du « business case » de nos clients. En réalité, le trafic des opérateurs n'est pas homogène. Il est distribué à la fois géographiquement et temporellement. Si on veut exploiter au maximum les capacités de nos satellites, il faut pouvoir gérer de manière dynamique ce trafic.

Est-ce l'ADN de Thales, qui est un concepteur de logiciels critiques, qui vous permet d'avoir cette offre beaucoup plus proche de vos clients ?
Effectivement. Aujourd'hui, il y a un aspect numérique de plus en plus important et nous devons maîtriser ces technologies numériques. En particulier sur ces satellites, il y a un équipement qui est vraiment clé pour la performance de la flexibilité, qui s'appelle « Digital Transparent Processor » (DTP). Il se trouve que la plupart de nos concurrents sous-traitent cette activité alors que nous, nous la développons : nous en sommes à la sixième génération de DTP. Nous maitrisons vraiment cette technologie, qui a été acquise au fil des années à travers les projets militaires. Les militaires ont été les premiers à demander un peu de flexibilité. Nous avons compris ces besoins à travers nos échanges avec ce type de clients.

Quelle est la durée de vie d'un DTP ?
On aimerait qu'une génération de DTP dure le plus longtemps possible en raison des coûts de développement. En moyenne, nous développons une génération de DTP tous les cinq à six ans.

Quelle est votre analyse de la concurrence ?
Tout le monde a bien compris que le DTP était une capacité clé. C'est le même type de capacité qui va être encore plus clé pour les constellations. En même temps, on s'aperçoit dans le domaine des télécoms, qui est tellement exigeant en termes d'innovations et R&D qu'il y a un certain nombre d'acteurs qu'on ne voit plus tellement sur ce marché du Software-Defined. Ils n'ont pas réussi ou n'ont pas voulu suivre. Notamment les américains. Le seul acteur américain présent aujourd'hui est Maxar, mais il reste plutôt sur ses marchés traditionnels.

Sur les projets de constellations (OneWeb, IRIS²...), TAS est-il prêt à dégainer des offres ?
Ces projets sont très ambitieux, très intéressants et massifs. Ce sont tous des projets de très grande envergure. Je considère que le champ des possibles reste aujourd'hui encore assez large en termes de séquencement et de combinaisons entre certains de ces projets, qui pourraient au strict minimum être « synergisés » entre eux. En travaillant sur le projet Telesat, nous avons beaucoup appris. Cela nous a permis d'asseoir un concept système et une architecture système très clairs mais également de dérisquer un certain nombre de technologies clés. Nous avons acquis une forte expertise dans le domaine des constellations et l'écosystème spatial en a vraiment conscience. Ces constellations de nouvelle génération sont de véritables systèmes et, à ce titre, toute la notion de communications entre satellites est très importante. Ce qui n'est pas le cas avec la constellation de première génération OneWeb. Il se trouve qu'Iridium Next, dont nous avons terminé la réalisation il y a quatre ans, n'est pas très éloigné en termes d'architecture système que ce que veulent faire ces nouvelles constellations, soit un réseau Internet dans l'espace.

L'Union européenne souhaite une constellation très sécurisée. Est-ce possible ?
Il y aura un certain nombre de caractéristiques nouvelles. Thierry Breton souhaite par exemple pouvoir intégrer la technologie quantique. Nous ne savons pas encore comment les équipes chargées de préparer l'appel d'offres vont séquencer ces exigences. Sont-elles prévues lors d'une phase ultérieure ou vont-ils demander que certaines de ces capacités soient démontrées dès le départ ? On attend encore les arbitrages, qui devront trancher entre vitesse de la mise en service de la constellation, niveau de performances et niveau fonctionnel recherché.

... Mais la technologie quantique est-elle prête à être mise en service aussi rapidement ?
Tout dépend de quoi on parle. Le quantique est un domaine vaste. Et en ce qui concerne le spatial, il y a deux étapes. D'abord la communication de clé quantique qui est un objectif raisonnablement atteignable. On n'est pas dans la science-fiction. Il existe d'ailleurs des expérimentations en cours. Nous sommes en capacité de signer des projets qui sont plutôt des démonstrateurs que des solutions opérationnelles. En revanche, l'étape suivante avec les communications quantiques qui permettraient à terme à deux ordinateurs quantiques de communiquer, est beaucoup plus lointaine. Dans le cadre de la constellation européenne IRIS², on évoque plutôt des communications de clés quantiques.

ExoMars a été confirmé par la conférence ministérielle de l'ESA. Avez-vous des projets additionnels avec l'éviction des Russes ?
L'ESA a effectivement décidé de maintenir le programme ExoMars, qui n'était plus possible dans sa configuration actuelle, notamment le lander fourni initialement par les Russes. Il reste encore beaucoup de points à définir. Mais notre objectif est de remplacer la contribution des Russes sur la partie du périmètre qu'ils couvraient. Cela a fait l'objet d'un accord dans le cadre de la conférence ministérielle entre deux pays, l'Italie et la Grande-Bretagne. La France a également soutenu ce projet en apportant une participation.

Sur l'exploration spatiale, l'Europe est à la traîne par rapport aux États-Unis, à la Chine et à d'autres pays qui souhaitent se lancer. N'avez-vous pas des regrets de ce refus d'obstacle ?
La messe n'est pas dite sur ce sujet. On va voir ce qui ressort du groupe de travail lancé par l'ESA. Mais il faudra évidemment une impulsion politique forte pour sortir des sujets de ce type. Cela représente des budgets supplémentaires. Nous ne souhaitons pas qu'une telle initiative se fasse au détriment du reste. La France et l'Europe ont aujourd'hui un vrai leadership dans un certain nombre de domaines, notamment dans les satellites. Nous sommes bons. Ce serait dommage qu'un effort pour faire des vols habités se traduise par une réduction de la voilure sur le reste. Dans nos domaines d'excellence, les États-Unis et la Chine réalisent des investissements massifs. Pour garder notre leadership, il faut qu'on garde le focus et qu'on continue nos efforts.

Quel est votre regard sur le spatial européen ?
Quand je suis arrivé sur le secteur, j'ai eu le sentiment qu'il y avait un déferlement de « bashing » sur le spatial européen face à la réussite de SpaceX, qui est effectivement une entreprise exceptionnelle avec un leader exceptionnel. Cela donnait le sentiment que les Européens avaient dix ans de retard, qu'ils étaient complètement à la traîne, qu'on était tous des has beens ou du « old space » etc... Nous avons, nous tous industriels, un rôle collectif pour montrer que l'Europe réalise aussi de très belles choses dans le domaine spatial. Nous avons d'ailleurs en Europe des leaders mondiaux qui gagnent des contrats partout dans le monde. Il faut vraiment que s'arrête cette campagne de « bashing » de l'industrie spatiale européenne.

L'industrie spatiale française bénéficie du soutien du CNES et de l'ESA, notamment sur le plan technologique. Est-ce une des clés de son succès ?
C'est effectivement ce modèle qui marche et qui est la clé du succès de l'industrie française. Cette clé du succès vient également d'une vision sur le long terme : on se projette toujours dix ans en avance en termes de technologies. Cela veut dire qu'il nous faut des feuilles de route technologiques qui nous permettent d'être au rendez-vous au bon moment. Ces technologies doivent s'anticiper, puis maturer. Il faut faire un peu attention à ne pas casser ce modèle à travers de nouveaux modèles d'acquisition dans le cadre de France 2030 par exemple. Avec France 2030, on a un risque à ne pas pouvoir financer des feuilles de route technologiques car le taux de co-investissement de la part des industriels est très élevé. Ce qui potentiellement pourrait remettre en cause notre « business model ». Il faut que collectivement on soit vigilant pour préserver un modèle, qui a fait de l'industrie satellitaire européenne un leader mondial.

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Commentaires 2
à écrit le 06/01/2023 à 6:45
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Bonjour, Oui oui noys gagnions des tac de contrats dans le monde... Mais il n'y a pas de travail, ils y a en Europe 50 000 000 de gents qui n'ons pas d'emplois, e france 5 000 000 de gents sans emplois , même si le gouvernement reconnait 2 milio...

à écrit le 04/01/2023 à 17:35
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On veut nous faire payer du virtuel non désiré avec du réel !

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