Spatial militaire : Airbus et Thales enfin prêts à signer une paix... armée

Sous l'égide du ministère des armées, Airbus Space et Thales Alenia Space ont avec la Direction générale de l'armement (DGA) bâti une équipe industrielle commune dans l'observation spatiale pour le programme IRIS, qui succèdera à CSO.
Michel Cabirol
Les investissements d'Airbus sur Pléiades Neo ont été payants face à la frilosité de Thales et de Leonardo à investir de manière équivalente dans l'observation.
Les investissements d'Airbus sur Pléiades Neo ont été payants face à la frilosité de Thales et de Leonardo à investir de manière équivalente dans l'observation. (Crédits : Ministère des Armées)

Airbus Space et Thales Alenia Space (TAS), les frères siamois ennemis, vont signer ce qu'on peut appeler une paix armée, selon des sources concordantes. Sous l'égide du ministère des armées, les deux constructeurs de satellites tricolores ont avec la Direction générale de l'armement (DGA) bâti depuis le début du printemps 2021 une équipe industrielle commune dans l'observation spatiale pour le programme IRIS (deux satellites), qui succèdera à CSO (Composante Spatiale Optique). La ministre des Armées Florence Parly a donné son feu vert lors d'un comité ministériel d'investissement qui s'est tenu en décembre dernier et qui a entériné une co-maîtrise d'oeuvre Airbus Space et TAS sur IRIS.

Ce schéma industriel vaut également pour l'export où les deux rivaux se livraient une concurrence féroce et souvent contre-productive au grand dam du ministère obligé d'arbitrer soit l'un, soit l'autre. Un schéma industriel commun est également en train d'être travaillé sur le même modèle pour le programme CELESTE, qui succèdera à la constellation de trois satellites CERES (Capacité de renseignement électromagnétique spatiale). Une initiative en bonne voie. Cette double opération (IRIS et CELESTE) a enterré pour un certain temps l'idée des pouvoirs publics de fusionner les deux constructeurs. Jusqu'à quand ?

Quelle répartition industrielle ?

C'est en quelque sorte la fin d'une guerre de cinq ans déclenchée par Airbus, qui avait déchiré en 2016 un accord définissant une feuille de route dans l'observation spatiale. Une guerre remportée par Airbus, qui aujourd'hui est en position de force pour imposer un nouveau compromis industriel entre les deux groupes. Car très clairement, les investissements consentis par Airbus dans la constellation Pléiades Neo lui ont donné une nouvelle crédibilité, ont aussi bousculé les équilibres dans l'observation spatiale entre les deux groupes et, enfin, ont fait vaciller les convictions de la DGA et du cabinet de la ministre. TAS avait jusqu'ici le leadership sur l'instrument, il doit désormais le partager avec Airbus. Le pari d'Airbus a été payant face à la frilosité de Thales et de Leonardo à investir de manière équivalente dans l'observation.

Dans le nouveau schéma industriel, un premier satellite (EHRmin), développé et fabriqué principalement par Airbus, devrait être mis en service en 2028, voire en 2029, puis un second (EHRmax) développé par TAS arrivera plus tard, en 2032. Airbus s'appuiera sur la technologie du silice (miroir en carbure de silicium) tandis que TAS développera à Cannes un satellite plus classique avec des optiques comme la France en a eu depuis Helios. Le premier satellite devrait offrir une performance légèrement meilleure que CSO, le second sera en revanche beaucoup plus performant, notamment pour des missions d'identification et de renseignement stratégique.

Pour signer la fin de cette guerre franco-française, qui arrange fortement le ministère, TAS a exigé et a semble-t-il obtenu qu'un seul contrat pour le développement des deux satellites soit signé. C'était une condition d'acceptabilité de l'accord par TAS. Pourquoi ? Parce que le constructeur cannois ne veut pas qu'il y ait de décalage dans le développement des deux satellites pour qu'il ne passe à la trappe après une revue capacitaire demandée par un nouveau ministre. Les industriels attendent en 2023 un contrat de la DGA pour lancer la phase B du programme IRIS, actuellement en cours de dérisquage .

Les syndicats de TAS montent au créneau

Dans le premier satellite, la part de TAS sera réduite à la portion congrue tandis que sur le second, la part d'Airbus se rapprochera de celle obtenue sur CSO. Historiquement, le groupe toulousain fournit la plateforme et le segment sol des satellites espions français. C'est ce qui a fait bondir les syndicats de TAS, qui ont écrit un courrier pour alerter la ministre sur ce "scénario déséquilibrant au détriment de TAS". D'autant que l'équipe de France proposera le satellite d'Airbus à l'export. Ils demandent également le lancement rapide des Projets technologiques de défense (PTD) du projet IRIS EHRmax afin de maintenir les compétences de TAS.

Enfin, ils regrettent que le programme EHRmin "subventionne de façon déguisée l'activité commerciale d'Airbus sans contrepartie significative pour Thales". Clairement, chez TAS, on estime que la stratégie d'Airbus est de se faire payer le satellite successeur à Pléiades NEO avec l'argent de l'État, à travers le développement du premier satellite IRIS. D'autant, constatent les syndicats de TAS, le télescope EHRmin est déjà développé à travers les pré-développement Tango1 et Tango2 et testé dans les salles blanches du site de Cannes. Un très bel instrument réglable en vol.

La guerre à l'export... continue

TAS jouera le jeu à l'export pour la vente du premier type de satellite IRIS. Mais pas question pour le constructeur cannois de se sentir pieds et poings liés si un client souhaite acquérir à l'export un satellite espion français différent. Ni d'ailleurs Airbus, qui n'a pas inclus sa filiale britannique SSTL dans l'accord avec TAS. Chez Airbus, on estime que le modèle actuel devait évoluer même s'il avait recueilli des succès aux Émirats Arabes Unis et au Maroc. "Ce modèle-là n'est plus très compétitif, estime-t-on chez Airbus. Il est un peu trop lourd, trop cher, trop long. Nous avons donc besoin de changer de modèle et d'avoir une équipe industrielle plus ramassée". En somme, une paix armée...

Michel Cabirol

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Commentaire 1
à écrit le 14/02/2022 à 10:00
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Rien de bien nouveau, comme l'état est le client il peut demander ce qu'il veut. Comme d'habitude, l'instrument à Thales, la plateforme à Airbus, la maîtrise d'oeuvre partagée pour sauver la face et la promesse de se faire des bisous à l'export. Et p...

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