Grandeur et décadence pour OHB System, dont la croissance a été dopée par Galileo (1,29 milliard d'euros depuis janvier 2010), le système de positionnement par satellites (radionavigation), en étant le fournisseur unique de 34 satellites FOC (Full Operational Capability) de la première génération. Une constellation payée à 100% par l'Union européenne. Mais la roue a tourné en défaveur d'OHB dernièrement : non sélectionné parmi les trois groupes en compétition pour la fabrication de 12 satellites de nouvelle génération, l'entreprise allemande s'est prise un énorme KO le 20 janvier quand la commission européenne a annoncé avoir choisi Airbus Space en Allemagne et Thales Alenia Space (TAS) en Italie pour ce contrat estimé à 1,47 milliard d'euros.
OHB bloque Galileo
Juste avant l'annonce, le constructeur allemand avait pourtant bien essayé de mobiliser en Allemagne (politiques, syndicats, soutiens allemands à la Commission et à l'ESA) pour faire dérailler la décision du commissaire européen, Thierry Breton. Cette fois-ci, il n'a pas réussi. Un porte-parole de la PME allemande interrogé par l'AFP peu après l'annonce, a pourtant minimisé l'impact de cette décision pour OHB System. Il a assuré que "les conséquences économiques pour OHB sont limitées". Il n'en demeure pas moins que le groupe présidé de façon énergique par Marco Fuchs tente maintenant de faire capoter la décision de la Commission sur le plan juridique, en attaquant Airbus sur une possible déloyauté de sa part, en débauchant un cadre d'OHB qui connaissait le dossier Galileo.
Ainsi, OHB bloque le programme spatial le plus emblématique d'Europe, pour, semble-t-il, "obtenir un lot de consolation" de la part de la Commission ou se substituer à Airbus, estime un bon connaisseur du dossier. Par calcul stratégique, plus il retarde le remplacement des premiers satellites lancés par la nouvelle génération de satellites, plus la Commission pourrait être contrainte de lui confier une nouvelle commande de satellites de la première génération. Car "plus il y a de satellites en orbite, meilleure est la performance du système", rappelle une autre source du domaine. Clairement, un récepteur GNSS (Géolocalisation et Navigation par un Système de Satellites) a besoin de trois satellites au minimum sur une zone pour recevoir le signal Galileo (triangulation : position, temps et vitesse). Et pour être plus précis, il en faudrait quatre, comme le GPS.
Une série de dysfonctionnements
En dépit d'un soutien inconditionnel de l'Allemagne, OHB a semble-t-il payé pour toute une série de dysfonctionnements accumulés ces dernières années : multiples retards de livraison des satellites (y compris pour les derniers), nombreux déboires industriels en raison d'un défaut de maîtrise d'oeuvre (horloges atomiques notamment...). Toute cette série de problèmes reflète l'incapacité d'OHB à se hisser en tant que systémier, selon plusieurs observateurs. Un savoir-faire en revanche parfaitement maîtrisé par Airbus Space et TAS. Ainsi, depuis le début du programme, le constructeur allemand n'a jamais semble-t-il pu se montrer à la hauteur des enjeux techniques de Galileo. "OHB n'arrive pas à maîtriser l'intégration des satellites dans son ensemble : plateforme et charges utiles avec les sous-systèmes (calculateurs...)", résume-t-on à La Tribune.
Les déboires d'OHB sur les satellites Galileo ont débuté assez rapidement après le lancement du programme européen. Ils ont fini par éclater sur la place publique en octobre 2013. Pour sortir le programme alors dans une impasse technique, l'Agence spatiale européenne (ESA) et l'Union européenne sont contraintes de demander à l'été 2013 à Astrium (devenu depuis Airbus Space), le rival malheureux d'OHB lors des deux appels d'offres en janvier 2010 (14 satellites) et en février 2012 (8), ainsi qu'à TAS, de jouer les pompiers de service pour aider la PME allemande à remettre le programme sur la bonne orbite. Airbus Space obtient une mission d'assistance à maîtrise d'œuvre. Un comble... quand on connait les rapports difficiles entre les deux groupes à cette époque. Pour sa part, TAS qui avait été interdit de concourir en 2010 pour des raisons de retour géographique, a été appelé pour aider les équipes d'OHB à intégrer les satellites dans les deux chaînes de production de l'entreprise allemande.
Moins d'un an plus tard, le programme est officiellement remis au carré. Mais manque de chance pour la Commission, les deux premiers satellites fabriqués par OHB et lancés en août 2014 par le lanceur russe Soyuz, sont "mis sur une orbite plus basse que prévue", avait expliqué Arianespace. Des satellites qui aurait dû être injectés sur une orbite circulaire de 23.000 km d'altitude, et qui ont été placés sur une orbite elliptique et plus basse, aux alentours de 17.000 km. Un fiasco pour lequel OHB n'y est évidemment pour rien. Tout comme la panne révélée fin 2014 sur le quatrième satellite IOV (antenne défaillante) fabriqué par Airbus. Sur les quatre premiers satellites de la constellation (IOV) lancés en 2011, puis en 2012, trois IOV fonctionnent encore.
Des horloges toujours défaillantes
A partir de novembre 2016, une mystérieuse épidémie frappe les horloges des satellites de la constellation, qui en ont quatre à bord chacun, révèle La Tribune. Au total, à l'été 2017, ce serait une vingtaine d'horloges, qui auraient des dysfonctionnements et dont dix seraient hors service. Le nombre d'horloges en panne serait aujourd'hui supérieur, estime un bon connaisseur du dossier. Le dysfonctionnement des horloges de Galileo agace alors toute l'Europe. Des experts avancent des problèmes d'intégration rencontrés par OHB "incapable de faire "parler" les instruments entre eux au sein de la charge utile". Résultat, les satellites Galileo sont moins robustes que ceux du GPS américain, selon ces mêmes experts.
Mais, en dépit de ces problèmes majeurs, la commission sélectionne à nouveau OHB en juin 2017 pour la fourniture de huit nouveaux satellites (+ quatre en option) alors que personne ne sait aujourd'hui encore pourquoi ces horloges dysfonctionnent. Puis, en octobre 2017, la commission lève discrètement l'option pour les quatre derniers satellites (157,7 millions d'euros). Personne, et notamment la France, qui avait pourtant des arguments à faire valoir, ne s'est opposée à ce que voulait l'Allemagne : paresse ? Calcul ? Résultat, Berlin est passée en force pour couler le principe de la double source.
Pourtant très favorable à ce principe, la commissaire européenne au Marché intérieur et à l'industrie Elżbieta Bieńkowska s'est fait tordre le bras par les Allemands, via le vice-président de la commission européenne Maroš Šefčovič, selon nos informations. Elle souhaitait commander six satellites à OHB et six autres à un autre fournisseur qui restait à sélectionner. "Lors de l'attribution du dernier lot de 12 satellites, l'évaluation des experts avait pourtant recommandé une double source ce qui au regard des difficultés d'OHB semblait d'une logique implacable", confirme-t-on à La Tribune.
Maroš Šefčovič a donc été chargé "de contrôler" la commissaire sur ce dossier en lui expliquant clairement qu'il "n'est pas évident que cette double source soit nécessaire". Message finalement reçu par la commissaire contrainte d'accepter OHB comme unique fournisseur des satellites FOC de Galileo. Isolée, elle n'a pas pu résister à la puissance de feu du lobbying allemand : du directeur général de l'ESA Jan Wörner et de son directeur de la navigation, le néerlandais Paul Verhoef, aux représentants allemands du Parlement, en passant par le commissaire européen au budget, l'Allemand Günther Oettinger ainsi que le secrétaire général de la commission Martin Selmayr et le directeur des programmes de navigation par satellite de l'UE,
26 satellites lancés
Aujourd'hui, 26 satellites Galileo ont été lancés (22 OHB, 4 Airbus). Les deux premiers satellites du dernier lot commandé en 2017 aurait dû être lancés en 2020 par le nouveau lanceur européen Ariane 62, qui avait pourtant comme back-up le lanceur russe Soyuz. Tout comme Ariane 6, les satellites Galileo fabriqués par OHB ont donc du retard. Officiellement en raison de la Covid-19, qui aurait retardé la fabrication des satellites, selon l'ESA. A ce jour, aucun de ces douze satellites n'a encore été accepté par l'ESA bien qu'ils aient été commandés depuis 2017. Ils sont actuellement en cours de construction et de tests, explique l'ESA. En principe, un lancement des deux premiers satellites du "batch 3" est aujourd'hui attendu autour du troisième trimestre de cette année. Avec, faut-il l'espérer, des horloges, qui ne clochent pas ?
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